Sexisme et harcèlement dans les écoles d’art : le rapport choc du Sénat
Des comportements sexistes dans les écoles d’art, des relations sexuelles entre profs et étudiantes banalisées : c’est ce qu’a révélé un rapport choc du Sénat*. Critique sur la représentativité de ce document, l’ANdEA (Association nationale des écoles supérieures d'art) souhaite néanmoins créer une commission pour évaluer la réalité de ces pratiques.
"Une pratique scandaleuse", "un véritable fléau" : c'est en ces termes qu'un rapport d’information du Sénat a révélé en juin 2013 la banalisation des comportements sexistes dans les écoles d'art. "Les étudiantes témoignent ainsi devoir constamment se battre contre des propos déplacés, des sous-entendus sexuels ou des comportements ambigus, tel celui d'un enseignant qui ferme la porte à clef pendant un entretien", souligne le document.
Recours au sexe comme monnaie d'échange
"L'éventail des comportements sexistes est large, allant de l'insulte sexiste ou homophobe jusqu'au harcèlement sexuel", a affirmé Giovanna Zapperi, professeure d'histoire et de théorie de l'art à l'École nationale supérieure d'art de Bourges, auditionnée par la délégation du Sénat qui s'est penchée sur la question. "Quant aux relations sexuelles entre professeurs et étudiantes, elles sont banalisées et tolérées par l'institution quelle que soit la nature de cette relation, a également précisé l'enseignante : recours au sexe comme monnaie d'échange, relation occasionnelle consentie ou relations d'ordre sentimental", a-t-elle ajouté.
Une sous-représentation des femmes dans le corps enseignant
Selon l'enseignante, "l'omerta sur le sujet résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : la sous-représentation des femmes dans le corps enseignant et aux postes de direction ainsi que l'absence d'une réflexion approfondie sur la pédagogie". Ces établissements sous tutelle du ministère de la Culture, accueillent 60 % d'étudiantes. Dans les écoles de Beaux-arts par exemple, les élèves doivent montrer leurs travaux, lors de rendez-vous réguliers en tête à tête avec un enseignant. Une pédagogie qui pourrait être plus propice aux dérives. Selon le rapport du Sénat, "la proximité entre l'enseignant et l'étudiant peut déboucher sur une relation asymétrique dans laquelle l'étudiant est confronté à l'arbitraire de la part de l'enseignant".
Une commission pour étudier la réalité de ces pratiques
Rédigé par la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, cette section du rapport publiée en juin 2013 n'avait pas fait de bruit. Mais dans un communiqué diffusé le 16 décembre 2013, l'AndEA a tenu à réagir avec véhémence. "Les pratiques sexistes, homophobes et de harcèlement sont inacceptables, mais je n’ai pas apprécié le ton caricatural et le rapport à charge qui ne repose sur aucune base méthodologique ou statistique", indique Emmanuel Tibloux, directeur de l’ENSBA-Lyon (École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon) et président de l’ANdEA. Malgré tout, à l’avenir, annonce-t-il, l’ANdEA intègrera des étudiants et des étudiantes en son sein afin de "poursuivre la dynamique d'ouverture engagée depuis 2012". Emmanuel Tibloux a également fait part de son projet de monter une commission destinée à étudier précisément la réalité des pratiques discriminatoires dans les établissements.
Des générations de "Lolitas" sous l'égide de mentors
Contactée par letudiant.fr, Brigitte Gonthier-Maurin s'est réjouie de la création de cette commission. Et d'ajouter : "La ministre Aurélie Filippetti m'a assuré que le ministère de la Culture allait créer un groupe de travail sur cette question". Elle raconte aussi : "C'est parce que le problème du sexisme dans les écoles d'art revenait spontanément lors des auditions que la délégation a décidé de s'y intéresser. Reine Prat, inspectrice générale au ministère de la Culture et auteur de deux rapports sur le sujet de l'égalité hommes-femmes, les avait alertés lors de son audition. "Dans les écoles d'art (…), des générations de ‘Lolitas’ travaillent sous l'égide de mentors qui sont le plus souvent des hommes, le plus souvent d'un certain âge".
Les étudiants relatent les scandales sur Internet
Le rapport du Sénat préconise "d'engager une réflexion approfondie qui permette de faire remonter les problèmes, sans attendre une multiplication d'actions directes venant d'étudiants exaspérés, et de proposer une charte de déontologie professionnelle sur ce sujet qui serait distribuée à tous les étudiants dès le début de leur scolarité". Car les étudiants n'hésitent plus à mettre le problème sur la place publique, en passant par le Web.
À l'École supérieure d'art d'Avignon, un an de bataille entre une partie des étudiants et le directeur Jean-Marc Ferrari a finalement abouti à la suspension de ce dernier le 18 septembre 2012, après que les étudiants soutenus par le syndicat SUD aient relayé les accusations de harcèlement sexuel et moral portées contre lui. Le site Epicureweb.fr qui a relaté l'affaire publie une copie du procès verbal déposé par une étudiante. Celle-ci raconte qu’au moment du concours elle avait croisé le directeur qui lui aurait dit : "C’est sûr que tu vas êtes prise, ça suffit de prendre des boudins". Le directeur l’aurait ensuite poursuivie de ses assiduités toute l’année scolaire avec force "clins d’œil et gestes déplacés".
À l'École nationale supérieure d'art de Bourges, les étudiants avaient également réagi par une performance artistique à une série de propos sexistes tenus par des enseignants. Une lettre justifiant leur action a été publiée sur un blog. Plus largement, le rapport a dénoncé l’absence des femmes aux plus hauts postes de la scène artistiques et de la Culture en France, que ce soit en bande dessinée, en art contemporain ou dans le milieu du théâtre et de la musique.
* La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes. Rapport d'information de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 27 juin 2013.