C'est le grand mystère de ce quinquennat. Conformément à un engagement de François Hollande, 5.000 postes supplémentaires ont été ouverts par l'Etat pour l'enseignement supérieur, dont les trois quarts pour les universités. Mais ont-ils bel et bien été créés ? Rien n'est moins sûr. S'il n'y a aucun doute sur le fait que la masse salariale correspondant à ces emplois a été transférée aux établissements, ces derniers, en proie à des difficultés financières, ont pu utiliser cet argent pour d'autres dépenses et nul ne semble capable d'établir un bilan précis de cette mesure.
Pas de bilan détaillé
Officiellement, Thierry Mandon, le secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, assurait à la rentrée 2016 que les trois quarts des emplois ont été créés, mais l'enquête détaillée menée par le ministère auprès des universités s'est arrêtée au bout de deux ans. La CPU (Conférence des présidents d'université) a également renoncé à suivre ce casse-tête chinois. Et les données recueillies par le Sgen-CFDT auprès d'une vingtaine d'universités semblent montrer qu'en 2015, "on se situait plutôt autour de 60 % de créations nettes d'emplois", fait savoir Franck Loureiro, secrétaire général du syndicat.
Le ministère n'a pas la volonté politique de faire un bilan chiffré.
(X. Vandendriessche)
"En réalité, nuance Xavier Vandendriessche, président de l'université Lille 2, le ministère pourrait faire ce bilan chiffré des créations nettes d'emplois dans les universités, mais il n'a pas la volonté politique de le faire, ce qui n'est pas surprenant."
Une opération de communication pour les syndicats
Depuis le début du quinquennat, en effet, ces 5.000 postes sont un sujet récurrent de tensions entre le ministère et la communauté universitaire, qui y voit "un plan de communication politique plus qu'une réelle volonté d'améliorer la situation sur le terrain", analyse Franck Loureiro.
Le ministère aurait pu présenter son effort budgétaire, réel, sous la forme d'une augmentation de la dotation de fonctionnement, mais "il était bien plus rentable politiquement de se placer sur le terrain des créations de postes, pour apparaître en rupture avec l'ère Sarkozy, caractérisée par les suppressions de fonctionnaires", poursuit le secrétaire général du Sgen-CFDT. Une stratégie jugée "contre-productive" et qui a contribué à "braquer les personnels, qui n'ont pas constaté sur le terrain, une amélioration de leurs conditions de travail".
1.200 personnels enseignants en moins entre 2012 et 2015
Le son de cloche est le même du côté du Snesup, dont le secrétaire général, Hervé Christofol, décrivait la rentrée 2016 comme "la plus difficile depuis 2009, c'est-à-dire l'année du transfert de la masse salariale aux universités". S'appuyant sur des chiffres de la Cour des comptes, il estimait alors que les universités auraient gelé 11.000 ETP (équivalents temps plein) titulaires sur cette période.
De fait, selon les données publiées par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, entre les rentrées 2012 et 2015, le nombre de personnels enseignants (enseignants-chercheurs titulaires, enseignants non permanents hors vacataires et enseignants du second degré) travaillant dans les universités (IUT compris) a chuté de 1.200.
Des chiffres pouvant s'expliquer par le choix fait par certaines universités de faire face aux 120.000 étudiants de plus sur quatre ans, en augmentant le volume d'heures supplémentaires ou celui des vacations.
Des créations d'emploi à géométrie variable
Pourquoi tous les postes supplémentaires n'ont-ils pas été créés, malgré le transfert de la masse salariale ? Alors que le ministère augmentait d'une main le plafond d'emplois et la masse salariale des universités, de l'autre il ne compensait ni l'évolution naturelle de la masse salariale due au vieillissement des personnels (le fameux GVT – glissement vieillesse technicité), ni l'afflux d'étudiants supplémentaires qui a fait l'objet d'un financement pour la seule rentrée 2016. Les universités se sont alors retrouvées prises en tenaille, chaque établissement déployant des stratégies différentes en fonction de sa situation financière.
En proie à d'importantes difficultés en 2011 et 2012, l'université d'Angers – l'une des moins bien dotées avant l'attribution des postes supplémentaires – n'a commencé à créer des postes qu'à partir de 2014, ceux ouverts par l'État en 2013 ayant tous été gelés.
Sur la période 2013-2017, seuls 42 emplois supplémentaires sur 140 ont finalement été pourvus, soit un petit tiers de ce qui était prévu, indique ainsi l'université. Des emplois s'ajoutant au remplacement de tous les départs à la retraite et en mutation. "Ces créations nettes nous ont seulement permis de maintenir un ratio d'encadrement des étudiants stable malgré la hausse des effectifs", détaille ainsi Christian Robledo, président de l'université angevine.
Ces créations ont seulement permis de maintenir un ratio d'encadrement stable.
(C. Robledo)
L'université Lyon 3 a, elle, opté pour la stratégie inverse : si 75 % des 121 postes ont été créés, ils l'ont été pour l'immense majorité au cours des deux premières années. L'établissement a ensuite freiné la dynamique et en 2017, aucun poste sur 17 n'a vu le jour, afin "d'anticiper la progression du GVT et la croissance des effectifs, qui entraîne nécessairement une hausse des dépenses de fonctionnement", rappelle Pierre Servet, directeur de cabinet et vice-président chargée du conseil d'administration.
Le profil des nouvelles recrues, l'autre inconnue
À Lille 2, université qui souffrait du plus grand déficit de postes (480), "80 à 90 % des postes" ont été créés, affirme le président, Xavier Vandendriessche, qui souligne que ses effectifs ont crû de 25 % sur la période. L'université a par ailleurs recruté "principalement" des enseignants-chercheurs permanents et non des Prag [professeurs agrégés], afin d'éviter une secondarisation du premier cycle", pointe-t-il.
Car c'est l'autre grande inconnue de ces emplois : comment connaître le profil des personnes recrutées ? La dotation de 60.000 euros par ETP prévue par l'État peut permettre de financer aussi bien un poste de BIATSS (bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens de service et de santé) qu'un maître de conférences, un Ater (attaché temporaire d'enseignement et de recherche) ou encore un Prag, qui effectuera le double du volume d'enseignement d'un enseignant-chercheur. Face à cette opacité, difficile pour les personnels de se projeter dans le quinquennat qui s'ouvre.