Comment évaluer sa capacité à travailler en équipe ? Quels progrès ont été faits et quels efforts reste-il à fournir ? En se connectant depuis son ordinateur ou son smartphone à C4B (Competencies for business), un étudiant d'Audencia peut, en quelques clics, cartographier ses compétences, se situer par rapport à ses camarades ou encore découvrir la vision que ses pairs et ses enseignants ont de lui.
Lancé en 2016, l'outil développé par les équipes de la business school nantaise devrait faire rentrer l'approche par compétences dans le quotidien de ses étudiants. "La plupart de nos élèves, passés par les classes prépas et habitués à la notation classique, ont souvent du mal à voir l'intérêt de la démarche. Cela demande un vrai changement de culture..." reconnaît Carole Le Rendu-Lizée, professeure associée en ressources humaines et responsable de la démarche C4B au sein de l'établissement.
Ici, le sujet n'est pas nouveau. "Il y a une vingtaine d'années, Audencia a été l'une des premières écoles à réfléchir à une pédagogie par compétences, au-delà de la notation classique", relate Carole Le Rendu-Lizée. Dès 1995, l'établissement crée un référentiel et introduit, en fin de cursus, un grand oral durant lequel les étudiants font le point sur les compétences acquises dans le cadre des cours, des stages ou de la vie associative. Mais le classeur papier – tout comme les compétences répertoriées – ayant un peu vieilli, une grande refonte a été lancée en 2014.
"Il s'agissait à la fois de mieux répondre aux attentes des entreprises, notamment en matière de gestion de l'incertitude ou de capacité à mobiliser les équipes dans des contextes internationaux, mais aussi de s'adapter aux usages des étudiants", détaille Carole Le Rendu-Lizée.
Élaboré par un groupe de professeurs, d'étudiants et de responsables de recrutement, le nouveau portfolio digitalisé ne compte plus qu'une quinzaine de compétences managériales transversales mettant davantage l'accent sur les fameuses "soft skills" (savoirs-être), plébiscités par les recruteurs.
La plupart de nos élèves habitués à la notation classique ont souvent du mal à voir l'intérêt de la démarche. C'est un vrai changement de culture...
(C. Le Rendu-Lizée)
DES OUTILS D'ÉVALUATION ET D'AUTOÉVALUATION
L'école a profité de la refonte pour intégrer au portfolio numérique des outils d'autoévaluation et d'évaluation. Sur la base de fiches réflexives accessibles en ligne et de tests de personnalité, l'étudiant est invité, avec l'aide de l'équipe "carrière", à se prononcer sur les compétences acquises dans le cadre des cours, des stages ou de la vie associative.
"Dans la majorité des cas, le portfolio est seulement un CV amélioré, remarque Carole Le Rendu-Lizée. Nous avons voulu y ajouter une dimension d'évaluation. "Les professeurs, à travers les notes obtenues en cours, mais aussi les maîtres de stages et même les pairs, dans le cadre de certains travaux de groupe, complètent les informations visibles par l'étudiant sur l'application.
Une V2 de C4B est en cours de test : grâce à un partenariat avec Skilvioo, entreprise spécialisée dans la gestion et le pilotage des compétences, le portfolio s'ouvre aux compétences "métiers". Les étudiants pourront confronter leurs compétences à celles du poste qu'ils visent. Et même aller plus loin, en piochant dans d'autres référentiels des capacités qui les distinguent. "Ils pourront formaliser l'ensemble sous forme d'un CV numérique, diffusable aux recruteurs via le réseau de l'école", souligne Carole Lerenzu-Lizée. De la définition du profil à la valorisation auprès des recruteurs, la boucle est bouclée.
À DIJON, À CHAQUE PROGRAMME SON RÉRENTIEL
À Burgundy School of Business (ex-ESC Dijon), le dispositif "Building up Skills for Business" (BSB), déployé depuis 2006 dans le sillage d'Audencia, a proposé d'entrée "un référentiel métiers plus détaillé." La démarche a mobilisé toutes les composantes de l'école, accompagnées de 34 entreprises, pour définir avec précision les compétences que ces dernières attendaient.
Après dix ans de conception, chaque programme de formation de l'établissement dispose aujourd'hui de son référentiel de compétences, articulé en trois parties : "connaissances génériques", "aptitudes comportementales" et "compétences métiers". "Dans une logique d'atteinte d'objectifs, chaque compétence n'est évaluée qu'une fois au cours du cursus", indique Christelle Havard, ancienne professeure d'Audencia, aujourd'hui professeure en ressources humaines et responsable de la démarche BSB.
Comme à Nantes, l'établissement a progressivement développé des outils d'auto-évaluation et d'évaluation des compétences. Depuis quelques mois, les étudiants peuvent retrouver dans le "Skills book", livret de compétences virtuel, toutes les informations relatives à son profil.
UN GROUPE COMPÉTENCES AU SEIN DU CHAPITRE DES EM
Si Audencia et Burgundy School of Business gardent une longueur d'avance dans ce domaine, elles ne sont pas, et de loin, les seules à s'intéresser à cette question. Le sujet passionne l'enseignement supérieur, des universités aux écoles d'ingénieurs. "Toutes les écoles de management du top 10 se sont lancées dans la démarche par compétences, avec des degrés de mise en œuvre très différents", assure Julie Perrin-Halot, directrice du Centre QUID (Quality and institutional development) de Grenoble École de management, qui vient de contribuer à la relance d'un groupe thématique au sein du Chapitre des écoles de management, à la CGE (Conférence des grandes écoles).
Toutes les écoles de management du top 10 se sont lancées dans la démarche par compétences, avec des degrés de mise en œuvre très différents.
(J. Perrin-Halot)
Un certain nombre d'écoles – à commencer par l'ESC grenobloise – se sont dotées de portfolio de compétences et testent des outils numériques, afin d'aider les étudiants à "raccrocher leurs expériences à des compétences." Ces avancées s'inscrivent dans un modèle pédagogique mettant de plus en plus l'étudiant en position de co-constructeur de sa formation, basée sur la classe inversée, le travail en mode projet et le développement personnel.
À L'EM LYON, UN "TINDER DES COMPÉTENCES"
C'est le cas par exemple à l'EM Lyon, plus novice sur ces questions. Dans le cadre de sa démarche "Smarter Business School", l'école vient de créer, en partenariat avec IBM, "MakerMatch",une application facilitant l'échange de compétences. Articulée à des tests cognitifs déterminant le profil d'apprentissage (visuel, inductif, déductif) de l'étudiant, l'application lui donne la possibilité de renseigner son profil managérial et de le partager avec ses pairs. Objectif de ce "Tinder des compétences" : faciliter les travaux de groupe et la mise en œuvre de projets associatifs.
En aval, le professeur ayant accès à ces informations sur les profils d'apprentissage, il pourra adapter ses méthodes pédagogiques en conséquence. "Un professeur voyant que 60 % de ses étudiants ont une mémoire auditive saura que la lecture n'est pas forcément le vecteur le plus efficace", démontre Wendy Hédiard, responsable du programme "Smarter Business School".
Dès l'année prochaine, l'outil devrait ainsi contenir un système de badges de compétences, décerné entre étudiants, et, à moyen terme, un système de certification par l'école, dans le cadre d'un e-portfolio diffusable ensuite sur les réseaux sociaux, comme LinkedIn. En parallèle, l'école s'est portée volontaire auprès de l'Union européenne pour tester le référentiel métiers, élaboré avec les pays membres : "Nous rendrons notre avis en février 2017", déclare Wendy Hédiard.
UNE TENDANCE DE FOND
Et le phénomène n'est pas près de s'arrêter. Du développement des accréditations à la logique de formation toute au long de la vie, tout pousse les écoles dans cette direction.
"La réforme de la formation professionnelle nous a obligés à découper nos formations par blocs de compétences certifiables, analyse Julie Perrin-Halot. Ce que l'on observe aujourd'hui dans la formation continue gagnera la formation initiale. À l'avenir, les étudiants et les professionnels additionneront des 'morceaux de formations', assortis de certifications décrochées dans plusieurs établissements." Et si les écoles traditionnelles disparaissaient, tout simplement ?