Premières images… Vue sur le campus ensoleillé et verdoyant de Berkeley (500 hectares d'espaces verts et de bâtiments au cœur de la ville du même nom). Un employé, sur un motoculteur, tond les pelouses (on apprendra, par la suite, qu'il est le seul pour tout le campus sur sa machine – à la plus grande stupéfaction de la présidence de l'université étant donné le nombre d'espaces verts parfaitement entretenus).
Dans les plans qui suivent, la problématique de l'université de Californie est donnée : comment, avec une dotation fédérale qui se réduit chaque année comme peau de chagrin (elle représente aujourd'hui 16 % du budget, contre 40 % il y a quelques années), une université publique comme Berkeley peut-elle maintenir son haut niveau académique, sans toucher bien sûr aux frais d'inscription afin de continuer à accueillir des étudiants issus de milieux populaires ?
Les problèmes universels de l'université
Le documentaire de Frederick Wiseman, “At Berkeley”, plonge le spectateur dans les arcanes d'une grande université publique rivalisant dans le classement de Shanghai avec Harvard et Stanford (toutes deux privées), confrontée à une crise financière sans précédent.
Sous bien des aspects, le film aborde des problématiques similaires à celles de tout établissement d'enseignement supérieur : comment faire face à une baisse des ressources ? Comment rester compétitif sur le plan international ? Comment résister à la surenchère des salaires des enseignants-chercheurs ? Comment réduire la masse salariale sans impacter la motivation des équipes en place ? De quelle manière amener les personnels à changer leurs modes de travail ? Comment gérer les mouvements de contestation étudiants ?
“At Berkeley”, plonge le spectateur dans les arcanes d'une grande université publique confrontée à une crise financière sans précédent
Des cours comme au cinéma
Du jamais vu. D'autant que le réalisateur, Frederick Wiseman, a pour parti pris de n'apporter ni interview, ni musique, ni commentaire dans ses documentaires. Les différents plans-séquences sont le seul instrument de la narration. Ils s'articulent entre des séances de séminaire de direction où les cadres réfléchissent à toutes les solutions “pour faire de Berkeley une exemple de gestion d'université publique” et des cours dans différentes matières (sciences politiques, biologie, médecine, littérature, marketing...).
L'enseignement dans les universités américaines a été maintes fois décrit dans des films ou romans américains – sauf que là, ce n'est pas du cinéma : le professeur, au milieu de ses élèves, délivrant son savoir sous forme de travaux en groupe ou de stand-up. C'est clair, intelligent et drôle. Un condensé de savoir qui vaut toutes les conférences TED.
28 degrés tout l'année
Malgré tout, on peut trouver quelques bonnes raisons de ne pas aller voir “At Berkeley”. Tout d'abord, le documentaire dure 4 heures 04 ! C'est long, même si c'est passionnant. Ensuite, certains aspects ne sont pas transférables culturellement, notamment les questions que soulève la ségrégation, sur le campus, des communautés black et latino. Enfin, on peut déplorer que la nécessité de faire appel aux fonds privés, via des donateurs, ne soit pas plus explicitement mise en avant.
Heureusement : il faut beau toute l'année sur le campus de Berkeley, les étudiants sont en short et tee-shirt. Ils ressemblent à des touristes, quand on les voit allongés sur les pelouses ou passant dans les allées en skate ou à vélo, avec leur sac à dos. Ce sont eux qui font de Berkeley un campus sur lequel on peut passer quatre heures au cœur de l'hiver, en France, dans une salle obscure.