"Il y en a qui vont pleurer quand ils vont apprendre que leur licence va fermer…", glisse une étudiante avec ironie en pénétrant dans l'amphi Diderot. Jean-Luc Vayssière, président de l'université Versailles-Saint-Quentin, a réuni enseignants, administratifs et étudiants lors d'une assemblée générale le 20 novembre 2013. L'occasion de rassurer sa communauté, inquiète après une semaine d'annonces fracassantes sur la situation catastrophique de l'établissement, dont les finances ne permettent plus de payer ses personnels sans un appui supplémentaire de dernière minute de l'Etat.
Un soutien du ministère au-delà des salaires des personnels
"Quand je lis que l'université est en faillite, c'est faux", s'est-il d'entrée indigné. "Nos difficultés ne sont pas nouvelles. Nous avons voté, lorsque nous avons découvert leur ampleur au printemps dernier, un plan de réduction des dépenses de 7 millions d'euros sur les trois ans qui viennent. Pour 2013, l'Etat s'est engagé à nous apporter une avance, afin d'assurer le versement des salaires et primes des personnels, fonctionnaires et contractuels, mais aussi de payer certaines dépenses indispensables [factures urgentes, tenue de colloques internationaux déjà programmés, achat du papier…]. Soit environ 5 millions d'euros, que nous devrons rembourser quand nous serons en meilleure santé. Il y a des avancées, le soutien de l'Etat est réel, il a la volonté de nous accompagner", a-t-il exposé.
Outre l'urgence de la situation actuelle, et les économies à venir, les personnels et usagers de l'université n'ont pas manqué de poser la question sensible des responsabilités. Car si de nombreuses universités rencontrent d'importantes difficultés financières, Versailles est dans une situation qui semble inédite. "Comment en sommes-nous arrivés là ?", interpellait dans un communiqué une intersyndicale unissant la CGT, le Snesup et l'Unef.
La faute à l'Etat ?
"L'autonomie a donné la possibilité à l'Etat de diminuer les dotations des universités, tout en disant que s'il n'y a plus d'argent, c'est la faute des présidents. C'est exactement ce qui se passe, a dans un premier temps dénoncé Jérôme Deauvieau, qui prenait le micro au nom de l'intersyndicale. Il faut rappeler que notre université ne reçoit pas les moyens dont elle a besoin pour fonctionner normalement, tout comme de nombreux autres établissements."
Le maître de conférences en sociologie, élu Snesup, a proposé un mode d'action simple : "il faut mettre le ministère devant ses responsabilités en votant pour la première fois depuis notre autonomie un budget sincère, c'est-à-dire déséquilibré, même si cela est interdit".
Si le président Vayssière ne s'est pas engagé sur cette préconisation, il a confirmé la sous-dotation de son établissement, en emplois et en fonctionnement, "un problème originel des universités nouvelles, a-t-il décrit, tout comme la faiblesse du fonds de roulement."
Des erreurs de gestion de l'université...
Plus problématique : l'équipe dirigeante précédente, avec Sylvie Faucheux à sa tête et Jean-Luc Vayssière qui était vice-président du conseil d'administration, a-t-elle fauté ? C'est l'opinion clairement affichée par le ministère, et également évoquée par les personnels.
"Les étudiants n'ont pas à pâtir des choix faits par la direction de l'UVSQ, qui semble avoir été incompétente", s'est inquiété un élu de l'Unef.
Geneviève Fioraso a souligné elle dans un communiqué la sévérité du rapport d'observations provisoires de la Cour des comptes et de l'audit flash réalisé à l'été 2013 envers les gestionnaires de l'université, qui auraient commis des "erreurs de prévisions et de gestion", conduisant à cette situation.
"L'université a développé une politique qui n'était pas soutenable, en termes de dépenses avec, de plus, des prévisions budgétaires irréalistes voire insincères, selon la Cour", accuse-t-elle.
Le ministère pointe deux phénomènes : l'augmentation jugée très importante de la masse salariale sur deux ans et l'engagement dans deux PPP (partenariats publics-privés), dont les coûts ont été fortement sous-évalués, sans oublier des prévisions de recettes bien supérieures à la réalité.
L'université ne fait pas partie des établissements les plus sous-dotés en emplois et en fonctionnement, estime également le ministère, et n'aurait pas de difficultés liées au GVT [progression de la masse salariale en raison de l'évolution de carrières des personnels] plus importantes qu'ailleurs.
L'université a développé une politique qui n'était pas soutenable, avec des prévisions budgétaires irréalistes voire insincères (G.Fioraso)
Un audit approfondi a été lancé. "J'attends avec impatience ce rapport, pour comprendre pourquoi une université comme la notre n'est pas dans une situation soutenable. Nous ne roulons pas sur l'or et nous ne vivons pas dans l'opulence !", s'est défendu Jean-Luc Vayssière, surpris de la "violence" des propos de la ministre. Le président a tenu à rappeler la très forte croissance du nombre d'étudiants entre 2010 et 2013 et le développement de l'activité de formation et de recherche sur cette période, tout comme de l'immobilier.
"Nous avons des problèmes d'anticipation et de visibilité depuis le passage aux RCE (Responsabilités et compétences élargies), a-t-il reconnu. Il est certain que nos outils de gestion et le personnel nécessaire sont très insuffisants. Mon prédécesseur a impulsé une politique de développement très forte, nous nous sommes aperçus un peu tard que cela n'était pas soutenable. Nous allons rétablir la situation, le ministère nous fait confiance."
L'ancienne présidente, Sylvie Faucheux, ne souhaite pas s'exprimer étant donné sa fonction actuelle – rectrice de l'académie de Dijon. Elle prépare sa réponse à la Cour des comptes.
Nous ne roulons pas sur l'or et ne vivons pas dans l'opulence ! J.-L.Vayssière)
... Et Des abus ?
Enfin, au delà des erreurs, ce sont aussi les "frasques" de la précédente équipe dirigeante qu'ont dénoncé les personnels. "La Cour des comptes évoque des frais de bouches astronomiques, cite notamment Jérôme Deauvieau. Nous avons alerté très tôt des nombreuses dérives qui ont produit la mise à sac financière de l'université. J'espère que tout cela est derrière nous."
"Il y a pu avoir des excès de ci de là, mais j'ai œuvré à la rationalisation des choses", a simplement répondu Jean-Luc Vayssière, rappelant la confidentialité qui prévaut dans la procédure de la Cour des comptes.
"Nous nous sommes trompés ailleurs, a ajouté le professeur Jean-Yves Mollier, présent depuis "un quart de siècle" dans l'établissement. Nous avons recruté sur des chaires d'excellence. C'était une fumisterie coûteuse. Il faut revenir à nos fondamentaux, l'enseignement et la recherche." Le professeur d'histoire a demandé également la mise en place d'une commission indépendante avec personnels et étudiants, en parallèle de l'audit en cours, afin de "rassurer tout le monde", ce que Jean-Luc Vayssière a accepté sur le principe.
Objectif : Se débarrasser des PPP
Dernier point clé : les PPP doivent être rompus, ont prévenu les représentants de l'intersyndicale. "Nous devons mobiliser tous nos juristes pour trouver la faille, au moins dans l'un des deux contrats", a scandé le professeur Mollier. Jean-Luc Vayssière a indiqué avoir justement demandé à l'Etat la renégociation d'un des PPP.
Prochaine étape : les personnels ont appelé à poursuivre la mobilisation en se réunissant de nouveau la semaine prochaine, avec en ligne de mire le conseil d'administration de l'université de décembre, au sujet du budget.
La biographie de Jean-Luc Vayssière
La biographie de Sylvie Faucheux
Le communiqué du ministère de l'Enseignement supérieur (pdf)
Le communiqué de l'intersyndicale suite à la rencontre avec Jean-Luc Vayssière
L'audit flash réalisé à l'université de Versailles - Saint-Quentin en Yvelines (pdf)
Les billets de Pierre Dubois : Versailles : pourquoi le déficit ? et Versailles : cessation de paiement