La Cour des comptes persiste et signe : "Pour parfaire et consolider la place des ESCG (écoles supérieures de commerce et de gestion) dans l'enseignement supérieur de la gestion, certains choix qui relèvent de la responsabilité de l'Etat doivent être faits".
Les tutelles dans le viseur
Le rapport public annuel de l'institution, présenté à la presse mardi 12 février 2013, reprend dans l'ensemble les critiques formulées dans le pré-rapport qui avait filtré en décembre 2012, à l'encontre des écoles de commerce et de leurs organes de tutelle : le ministère chargé de l'industrie via les CCI (chambres de commerce et d'industrie) pour les aspects financiers, et le MESR (ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche), pour ce qui est des diplômes.
Des autorités de tutelle à qui la Cour reproche globalement de "ne pas se préoccuper beaucoup des écoles de commerce", commente Alain Hespel, président de la formation inter-juridictionnelle chargée d'enquêter sur les écoles de commerce. Explication : "le ministère chargé de l'Industrie, parce que les écoles, ce n'est pas son problème, et le MESR parce que les écoles de commerce fonctionnent bien à la satisfaction générale et qu'il préfère se concentrer sur les universités", estime le responsable.
Une indéniable montée en gamme
Dans la section consacrées aux ESC, les sages reconnaissent tout d'abord la qualité de la formation dispensée par les écoles de commerce françaises, qui, sur un marché dominé par les établissements anglo-saxons, ont "réussi à occuper une position internationale enviable, qui s'est affirmée au cours des vingt dernières années".
De bonnes performances confirmées par le classement 2012 du FT sur les meilleurs masters en management dans le monde : "Sur les 1.000 premières formations, les ESCG placent 19 écoles dans les premières, dont trois dans les 5 premières", note la Cour.
Mais ces progrès en matière d'internationalisation et d'académisation (construction de partenariats internationaux, recrutement de chercheurs "de haut niveau" parfois très bien payés) se sont faits aux prix de "dépenses importantes", note le rapport. Ce qui ne va pas sans poser problème. Si "cette stratégie a été couronnée de succès pour les plus prestigieuses et les plus riches écoles de commerce [...], d'autres écoles se trouvent toujours à la croisée des chemins", souligne la Cour.
La mixité sociale en question
En période de diminution des ressources publiques (1), la recherche d'une taille critique par ces établissements s'est en outre accompagnée d'une augmentation parfois vertigineuse des frais de scolarité (plus de 10.000 euros en moyenne), notamment dans les écoles les mieux classées (+71% depuis 2006 à HEC, contre +16% pour l'ESC de Toulouse depuis 2005) relève la Cour. L'instance de contrôle demande à l'Etat de veiller à ce que cette "forte augmentation" des frais soit compensée par "des systèmes de bourses, de prêts ou d'apprentissage".
Davantage de transparence s'impose : "des obligations claires d'information préalable des candidats aux concours sur les frais à consentir et les systèmes d'aide proposés devraient au minimum être instaurées".
Le rapport plaide pour la mise en place par les ministères de tutelle d'un dispositif "d'évaluation systématique et exhaustif" des effets sur la mixité sociale des initiatives adoptées par les écoles ces dernières années (information, sensibilisation tutorat, bourses, etc.), qu'il juge pour l'instant "insuffisants" (moins de 15% des étudiants des ces écoles sont fils d'ouvriers ou d'employés).
Un constat partagé par le ministère de l'Enseignement supérieur, qui promet d'encourager les écoles à mettre en place davantage de mesures d'accompagnement (aides sociales ou bourses sur fonds propres, cordées de la réussite, développement de l'apprentissage...), et notamment "le recrutement par les écoles en plus grand nombre d'étudiants issus de concours parallèles".
Le président de l'Association française des chambres de commerce et d'industrie insiste de son côté sur le nombre croissant de boursiers accueillis dans les ESC : "Ils représentaient en 2012 plus de 25% de candidats au concours d'entrée et 25% d'étudiants intégrés", explique-t-il.
Une augmentation des formations et des effectifs "mal maîtrisée"
Le besoin de régulation publique concerne aussi "les coûts et la cohérence des choix effectués en matière d'académisation des études et d'internationalisation des cursus", note la Cour.
L'effort d'internationalisation s'est traduit dans certaines écoles par une "augmentation mal-maîtrisée des formations et des effectifs", au point que certaines n'arrivent pas à remplir leurs formations. Les effectifs des ESC sont passés de 90.000 en 2006 à 133.800 en 2011. Pour éviter de nouvelles dérives, la Cour veut imposer la mesure systématique des coûts et des marges, formation par formation.
Elle préconise également les rapprochements entre écoles, ou encore les partenariats avec les universités, avec un intérêt particulier pour une logique d'ordre régionale. Avec une réserve : les fusions entre écoles de régions différentes ne sont "pas toujours synonymes de gains de productivité", glisse la Cour.
"C'est un travail d'ensemble, nous n'avons pas étudié tel ou tel regroupement, précise Patrick Lefas, président de la 3e chambre. Mais la question des regroupements territoriaux va se poser de plus en plus en matière de formation", assure-t-il.
Mieux Contrôler la qualité des diplômes
Le développement de l'offre de formation et des titres des écoles de commerce a pu même créer parfois la confusion dans l'esprit des étudiants et des employeurs sur "les réalités des contours des diplômes, des titres et accréditations délivrés", pointe la Cour.
Les sages appellent ainsi à un renforcement du contrôle de la CEFDG (commission d'évaluation des formations et des diplômes de gestion) sur la qualité des diplômes des écoles (qu'ils soient délivrés en France ou à l'étranger) et sur les obligations des écoles d'informer les étudiants sur l'appellation des diplômes, à commencer par le master dont certains établissement (hors-échantillon) font un usage abusif. "Le MESR s'est contenté de constater. Il a envoyé quelques lettres de rappel et s'est arrêté là !", regrette Alain Hespel.
Régler la question du statut
Plus largement, la régulation doit enfin passer par une réflexion sur le statut des ESCG et "la place des CCI et de l'Etat dans le dispositif". "La plupart des écoles sont toujours des services des chambres de commerce, relève Alain Hespel. Or, ce n'est pas un statut qui leur permet de se développer."
Le statut associatif adopté par certains établissements dans un souci d'émancipation de la tutelle consulaire ne garantit pas non plus "par lui-même, les moyens nécessaires" pour parvenir à une autonomie satisfaisante, relève la Cour. Elle envisage d'autres possibilités, comme la société anonyme (SA) qui va être adoptée par HEC, ou pourquoi pas un statut d'établissement public sur le modèle de celui d'une université ou d'une grande école "autorisant une tutelle minimale de l'Etat sur les comptes et la stratégie des écoles".
Dans tous les cas, le challenge est double : donner aux écoles le moyen de mener une stratégie de croissance adaptée à leur profil, tout en leur garantissant une autonomie en matière de gouvernance.
Partageant encore une fois le constat de la Cour, Geneviève Fioraso promet que la question sera examinée dans le cadre du travail interministériel sur le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Quant à l'AFCI, elle ne peut "que souscrire à cette remarque qui rejoint une réflexion amorcée il y a deux ans [...] visant à créer un statut ad hoc à objet éducatif pour ces écoles, tout en préservant un rôle significatif pour les représentants des entreprises."
(1) La part de financement provenant des CCI est passée 35% il y a une dizaine d'années à 11% seulement aujourd'hui, précise le rapport.
Le rapport de la Cour des comptes - partie sur les écoles supérieures de commerce et de gestion (PDF)
L'ensemble de rapport de la Cour
Dans la section du rapport consacrée aux suites données aux recommandations, la Cour alerte sur "les dérives persistantes" du CNED (Centre national d’enseignement à distance). Son cas "illustre celui d'un établissement qui n'a ni anticipé, ni réussi à suivre la transformation profonde des modes d'enseignements qu'entraine le développement en ligne", pointe Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes.
Déjà épinglé en 2005, le centre, "en dehors de quelques évolutions tardives et d’ampleur limitée", n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour endiguer l’érosion "inquiétante" de ses inscrits, passés de 400.000 à 200.000 en quinze ans, estime la Cour.
"Pour enrayer la forte désaffection du public, qui privilégie de plus en plus l'offre concurrentielle, pour conforter sa mission de service public, le CNED doit rapidement adopter une stratégie à la fois modernisatrice et réaliste, disposer de moyens humains adaptés et mieux les gérer", insiste Didier Migaud.