Beaucoup ne manqueront pas d'y voir une première étape vers l'émergence d'un "troisième secteur" de l'enseignement supérieur - à côté du public et des institutions privées "à but lucratif". Un décret qui vient en effet d'être publié au Journal officiel crée une nouvelle "qualification", celle d'établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig).
Pour obtenir cette qualification - qui ne constitue pas un statut à part entière -, les institutions devront remplir un certain nombre de conditions en matière d'offre de formation (cursus à bac+5, grade master), de fonctionnement (but non lucratif), de politique sociale et d'indépendance de gestion. La qualification d'Eespig sera attribuée après examen de leur dossier par un comité consultatif ad hoc, qui devrait voir le jour d'ici trois mois.
Au cabinet de Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, on souligne que le texte s'inscrit dans le droit fil de la loi de juillet 2013, mais aussi dans la perspective des relations nouvelles que l'État entend nouer avec l'enseignement supérieur privé. "L'objectif est de mieux valoriser les établissements qui répondent à des missions d'intérêt général et partagent certaines valeurs, indique-t-on. Nous voulons les distinguer des autres acteurs privés."
Un cahier des charges plus précis sera élaboré dans les prochains mois. La qualification d'Eespig permettra de bénéficier, dans certains cas, d'un "accompagnement financier" - qui devrait cependant rester "très limité", compte tenu des contraintes budgétaires actuelles.
60 établissements concernés au premier chef
Le texte semble taillé sur mesure pour la soixantaine d'établissements de quatre fédérations qui sont déjà sous contrat avec l'État : la Fesic (28 écoles d'ingénieurs et de management de la mouvance catholique), l'UGEI (Union des grandes écoles indépendantes, parmi lesquelles figurent notamment le Cesi, l'Inseec, l'Epita, l'Estaca, Sup de Co Montpellier ou l'EM Normandie), l'Udesca (qui regroupe les instituts catholiques) et la petite UNFL (Union des nouvelles facultés libres). Ensemble, elles représentent quelque 80.000 étudiants sur un total d'environ 450.000 inscrits dans le privé. Déjà, dans son livre blanc publié en 2012, la Fesic plaidait pour la reconnaissance par l'État des institutions sous statut associatif.
L'espoir d'avantages fiscaux
Le président de la Fesic et directeur de l'Ieseg, Jean-Philippe Ammeux, a d'ailleurs joué un rôle clé dans les discussions avec le ministère depuis un an, en vue de l'élaboration du décret. "Nos établissements sont déjà sous contrat avec l'État. Ils participent aux missions de service public, ils sont évalués et contrôlés par différentes instances, plaide-t-il. Nous n'avons pas de capitaux propres, et nous recevons très peu de subventions des pouvoirs publics [environ 900 euros par élève en 2013, NDLR]. Nous vivons dans une précarité qui nous oblige à innover et à être performants. Nous contribuons ainsi de façon significative au développement de l'enseignement supérieur. Notre existence permet à l'État d'économiser 700 à 800 millions d'euros par an. Or jusqu'à présent, nous étions assimilés aux établissements privés à but lucratif."
Nous contribuons ainsi de façon significative au développement de l'enseignement supérieur. Notre existence permet à l'État d'économiser 700 à 800 millions d'euros par an. (J-Ph. Ammeux)
Et de poursuivre : "nous ne réclamons pas d'avantages particuliers, mais nous souhaitons être reconnus pour notre action et traités convenablement - comme une sorte de troisième secteur du supérieur." À plus long terme, cependant, Jean-Philippe Ammeux ne désespère pas d'obtenir aussi certains aménagements fiscaux - par exemple en matière de TVA.
les écoles consulaires candidates
Mais les 56 écoles qui, à ce jour, ont signé un contrat avec l'État ne sont pas forcément les seules concernées par la qualification d'Eespig. Plusieurs autres établissements - par exemple des écoles "consulaires" de management, sous statut associatif - pourraient également se porter candidates. Stéphan Bourcieu, directeur de l'ESC Dijon-Bourgogne, se déclare ainsi intéressé : "Cela nous permettrait de contractualiser avec l'État... et peut-être d'accéder à certaines subventions." Même en temps de restrictions budgétaires, la manne de l'Etat suscite toujours l'intérêt.