Enseignant stagiaire ne semble décidément pas être une sinécure. Après la mobilisation, il y a quelques semaines, à l'Espé (École supérieure du professorat et de l'éducation) de Grenoble, où les stagiaires dénonçaient notamment une surcharge de travail, un nouvel indice confirme la difficulté d'entrer dans la profession.
Le 4 mai 2017, lors d'un comité technique ministériel de l'Éducation nationale, la direction générale des ressources humaines du ministère a présenté le "bilan de la campagne de titularisation des personnels enseignants des second et premier degrés", qu'EducPros s'est procuré. Résultat frappant : le nombre de licenciements d'enseignants-stagiaires, c'est-à-dire avant leur titularisation, a doublé entre les années scolaires 2012-2015 et 2015-2016.
Pour le premier degré, la part de licenciements est passée de 1 % en 2012-2013 à 1,8 % en 2015-2016. Pour le second degré, la part de licenciés après la première année de stage est passée de 0,5 % à 1 %. Ainsi, en 2012-2013, sur 9.000 stagiaires, 44 étaient licenciés après la première année, 79 après la seconde et 342 voyaient leur année de stage renouvelée contre, respectivement, en 2015-2016 et sur 15.000 stagiaires, 144, 189 et 758. Les principaux motifs de licenciement sont connus : difficultés autour de la didactique, de la gestion de classe, de la pédagogie, de la posture d'enseignant ou des connaissances de la discipline.
Extrait du document de la DGRH au sujet des licenciements d'enseignants-stagiaires // © Erwin Canard
"1 % sur 15.000 personnes, ce n'est pas si énorme que cela, tempère Jacques Ginestié, président du réseau national des Espé et directeur de celle d'Aix-Marseille. Le nombre de personnes recrutées augmente, donc cela n'est pas illogique." "Quand on recrute plus largement, il y a plus de risques d'avoir des gens dont la volonté n'était pas totalement affinée", renchérit Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa, syndicat enseignant.
L'augmentation du nombre de stagiaires ne semble pourtant pas tout justifier, d'autant que la part de licenciement, pour le second degré, a augmenté entre 2015 et 2016 alors même que le nombre de stagiaires diminuait.
Plus on est en difficultés de vivier, plus on recrute des gens qui ne répondent pas aux attentes.
(S. Crochet)
La sélectivité du concours en question
C'est dans les disciplines recrutant le plus d'enseignants – mathématiques, lettres modernes et anglais – et pour lesquelles le ministère ne pourvoit pas tous les postes, que les licenciements sont les plus nombreux. "Plus on est en difficultés de vivier, plus on recrute des gens qui ne répondent pas aux attentes", pointe Stéphane Crochet.
"Si l'on 'donne' le concours à plus de monde, on est moins sélectifs. Nous sommes alors moins certains que les jeunes soient 'faits' pour le métier", ajoute Jean-Rémi Girard, vice-président du Snalc, autre syndicat enseignant.
Un constat qui interroge aussi sur la nature du concours. Stéphane Crochet s'interroge : "Le concours permet-il de bien saisir si le candidat est apte ? Nous entendons beaucoup de stagiaires expliquer qu'ils ont un 'choc' lors de leur stage. Le concours devrait mieux refléter la réalité."
Une (trop) lourde année de stage ?
Cette augmentation des licenciements pose également question sur la formation même des enseignants. D'autant plus que les démissions de stagiaires sont, elles aussi, à la hausse. Elles sont passées de 1,9 % à 2,8 % des stagiaires du premier degré entre 2014-2015 et 2015-2016 et, sur la même période, de 1,4 % à 1,7 % pour le second degré. "Les augmentations des licenciements et des démissions correspondent à des échecs. Cela signifie soit que la formation n’est pas parvenue à mener les stagiaires au niveau requis par l’employeur, soit que le métier n’est pas fait pour eux", estime Jacques Ginestié.
Parmi les raisons invoquées, la question de la difficulté de l'année de stage, qui a secoué l'Espé de Grenoble, figure en bonne place. "L'année de stage est très lourde. Les stagiaires en difficulté se retrouvent dépassés et n'ont pas le temps de se reprendre", souligne Alain Billate. "Le mi-temps entre responsabilité en classes et préparation du master fait que les gens sont tellement sous tension qu'ils échouent", justifie Stéphane Crochet. Mais, au-delà des suppositions, "nous n'avons pas beaucoup d'éléments pour comprendre cette hausse", admet Jacques Ginestié.
Une étude "qualitative" demandée
Pour valider ces hypothèses, syndicats et Espé demandent une étude qualitative plus poussée. "Il faut aller à la rencontre de ces ex-stagiaires pour savoir ce qui ne leur a pas convenu et apporter des modifications au concours, au processus de mutation ou à la formation, ou aux trois", indique Stéphane Crochet. "Nous devons regarder s’il y a un profil type de licenciés ou de démissionnaires", juge le directeur du réseau des Espé. Le comité de suivi des Espé, piloté par le recteur de l'académie de Versailles, Daniel Filâtre, pourrait travailler sur ce sujet prochainement.
Des stagiaires de l'Espé de Paris se sont réunis en assemblée générale, fin avril 2017, afin de porter des revendication similaires à ceux de Grenoble : année de stage trop chargée, cours déconnectés des besoins, etc. En revanche, il n'y a pas de grève annoncée. En effet, "la période n'est pas propice à la mobilisation car il n'y a plus de cours en Espé et les stagiaires sont en période de titularisation. Ce serait suicidaire !" déclare Alain Billate, du Snes. Les stagiaires souhaitent ainsi "marquer le coup pour l'avenir et aider les futurs stagiaires", rajoute le syndicaliste.