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Entrée à l'université : la réforme à l'heure de la faisabilité

Erwin Canard, Laura Taillandier Publié le
Entrée à l'université : la réforme à l'heure de la faisabilité
En quelques semaines, les universités devront s'organiser, et notamment se pencher sur la mise en place de parcours personnalisés pour leurs futurs étudiants. // ©  Simon LAMBERT/HAYTHAM-REA
Mise en place de parcours personnalisés, examen des dossiers de candidature des lycéens, calibrage des capacités d’accueil, définition des attendus... La mise en œuvre de la réforme de l'entrée à l'université dès la rentrée 2018 soulève de nombreuses questions sensibles. Et font craindre une première année "compliquée" dans les établissements du supérieur comme dans les lycées.

L'année 2018 sera une année charnière pour la mise en place de la réforme de l'entrée en premier cycle. En ligne de mire, la rentrée de septembre, qui, de l'aveu des différents acteurs de l'enseignement supérieur, s'annonce complexe.

"C'est une réforme bureaucratique menée au pas de charge, qui demande un travail de colosse. Toutes les évaluations n'ont pas été menées pour voir si la réforme était réalisable humainement et le diable se cache dans les détails. Quand on creuse, on se rend compte que peu de choses ne semblent tenir pour la rentrée prochaine", estime Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup FSU, opposé à la réforme. Franck Loureiro, cosecrétaire général du Sgen-CFDT, se veut plus pragmatique : "Il faut accepter que la rentrée 2018 ne soit qu'une première étape et qu'elle soit un peu dure. Mais il y a de l'huile dans les rouages."

"Une année compliquée" en perspective pour les universités

La réforme, qui mise sur la personnalisation des parcours et l'accompagnement de la diversité des étudiants, repose avant tout sur la capacité des universités à développer ces dispositifs sur-mesure au plus vite.

Un souhait trop ambitieux ? "Je ne suis pas inquiet sur la question de l'ingénierie pédagogique. Ce n'est pas le plus compliqué, même si tout ne sera pas fait de façon optimale pour la prochaine rentrée. Nous savons monter des formations. Reste à articuler ces parcours de remise à niveau avec les licences", relève Gilles Roussel, le président de la CPU.

La vraie inconnue, c'est le nombre d'étudiants à accueillir dans les parcours personnalisés.
(G. Roussel)

Pour le président de l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, "la vraie inconnue, c'est le nombre d'étudiants à accueillir dans ces parcours spécifiques". "Les capacités d'accueil auront-elles été bien taillées ? Qui seront les enseignants qui souhaiteront s'investir dans ces parcours ? Y en aura-t-il suffisamment ?" interroge-t-il. Et de concéder : "Nous travaillons un peu à l'aveugle. Il faudra une année de calage pour s'organiser au mieux. Car cette année s'annonce compliquée, autant d'un point de vue de l'organisation que du coût."

Hervé Christofol, quant à lui, est dubitatif sur la personnalisation des parcours, notamment au regard des moyens alloués par le gouvernement à la réforme. "Nous n'aurons pas de formations pour deux ou trois étudiants. Ce qui est envisagé, ce sont des cours en ligne et nous en connaissons les limites sur le plan de l'apprentissage", avance-t-il.

Recruter les nouveaux directeurs d'études

Selon les mesures annoncées le 30 octobre 2017 par Frédérique Vidal et Édouard Philippe, ce sera à un directeur d'études de veiller, dans chaque établissement et par grand champ disciplinaire, au bon déploiement de ces dispositifs pédagogiques. "Son rôle sera centré sur le suivi du parcours des étudiants dans le cadre du contrat de réussite. Mais tout dépendra de l'établissement. Chacun doit trouver les modalités d'organisation qui lui conviennent. Ce ne sera pas forcément un profil enseignant", détaille Gilles Roussel. Pour le Sgen-CFDT, ce nouveau rôle "appelle encore des précisions" : "Ce n'est pas la même chose d'occuper cette fonction en psycho ou en chimie. Le nombre d'étudiants n'est pas le même."

Pour la CPU, une chose est sûre : "Le temps de les recruter, ce ne sera pas ces directeurs d'études qui se chargeront de l'examen des dossiers des lycéens pour la rentrée 2018, mais les responsables de formation, rappelle Gilles Roussel. Il faudra aider ces derniers, évaluer les moyens mis en place pour les décharger de certaines activités et les épauler administrativement. Nous comptons sur les moyens supplémentaires qui seront ajoutés au budget 2018."

Gérer la masse des dossiers de candidature

Autre défi pour les universités : examiner la masse de dossiers de candidatures qui leur parviendront avec l'avis du conseil de classe du lycée. "Nous n'examinerons pas tous les dossiers ! Dans la majorité des cas, quand les notes sont moyennes et que l'avis du conseil de classe est favorable, il n'y a pas de raison de regarder la lettre de motivation. Nous ferons quelque chose d'assez simple pour la rentrée 2018 et nous nous concentrerons sur un nombre restreint de dossiers", décrypte Gilles Roussel.

"La grande question est : sur quels éléments nous baserons-nous pour examiner ces dossiers ? Tous les détails doivent encore être fixés. Quelles données aurons-nous sur les étudiants ?" se demande le président de la CPU.

La définition centrale des "attendus"

C'est la question centrale de la réforme : quels seront les attendus pour chaque formation ? "Dans beaucoup d'endroits, un certain nombre de choses existent déjà de façon informelle. Nous allons mutualiser les expériences", illustre Gilles Roussel.

Pour le Sgen-CFDT, la définition des attendus fait partie des points de vigilance. "Comment vont-ils être construits ? La question a bien avancé dans les filières en tension, comme en Staps, mais un vrai travail reste à faire pour toutes les autres formations et c'est là où le calendrier risque d'être serré", note Franck Loureiro. Selon lui, les universités pourront piocher "dans les maquettes standardisées" des formations et "rendre ces informations compréhensibles aux élèves". "Il faudra aussi les harmoniser pour qu'il n'y ait pas trop de différence entre les établissements."

Les capacités d'accueil seront-elles garanties ?

Autre point de vigilance identifié par les acteurs, celui des capacités d'accueil. Désormais, les universités pourront, dans les filières en tension, sélectionner les étudiants en fonction de la cohérence de leur parcours et des caractéristiques de la formation. "Qui nous dit que les universités ne restreindront pas leurs capacités d'accueil en mettant elles-mêmes des filières en tension, généralisant ainsi la sélection ?" interroge Hervé Christofol.

"J'espère que la Dgesip jouera son rôle. Une université ne peut pas modifier arbitrairement d'une année sur l'autre ses capacités d'accueil. Les maquettes sont habilitées... C'est également le rôle du Cneser, du conseil d'administration de l'établissement de veiller au respect des règles, sans oublier la menace des dotations aux établissements..." énumère Franck Loureiro.

Qui nous dit que les universités ne restreindront pas leurs capacités d'accueil en mettant elles-mêmes des filières en tension ?
(H. Christofol)

D'après l'avant-projet de loi, ce sera le rôle de l'autorité académique d'arrêter, après proposition de l'établissement, les capacités d’accueil des formations. "Le recteur a les moyens de travailler avec les présidents d'université et les régions pour réfléchir à l'offre de formations", assure Alain Boissinot, ancien recteur de l'académie de Versailles. "Nous n'avons jamais réfléchi au calibrage souhaitable de l'offre de formations. Nous le faisons sous la pression d'APB, mais cette question mérite d'être posée. Et le recteur peut être ce pivot."

En revanche, comme celui-ci "n'a pas de rôle hiérarchique", c'est avant tout un "dialogue" qui va devoir s'engager : "Cela ne peut être qu'un travail de coopération, de discussion avec les universités. C'est faisable, mais cela demandera du temps." Un discours que tempère Hervé Christofol : "On a vu ce que donne le rôle du recteur sur le droit à la poursuite d'études dans la réforme du master..."

Le conseil de classe peut-il jouer son rôle ?

Du côté des établissements du second degré, l'heure est également au questionnement, notamment sur le rôle alloué au conseil de classe."Cela ne peut pas être mis en place", assène tout bonnement Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, syndicat des personnels de direction. "Il y a 35 élèves par classe en moyenne, qui formuleront dix vœux. Donc 350 vœux à étudier en une heure… " La qualité de ces avis serait alors relative. "Il y a un risque de déversement d'avis favorables faute de temps, le conseil de classe devant examiner tous les vœux puisqu'ils ne sont plus hiérarchisés", prévient-il. Le conseil de classe pourrait également être tenté de sélectionner les vœux plutôt que d'être exhaustif.

Il y a 35 élèves par classe en moyenne, qui auront dix vœux. Donc 350 vœux à étudier en une heure… 
(P. Tournier)

Franck Loureiro balaie cette inquiétude : "Cela fait bien longtemps que les conseils de classe durent plus d'une heure et que tout se prépare et se construit bien en amont dans l'année. " De son côté, Frédérique Rolet, cosecrétaire générale du Snes-FSU, remet en question la capacité du conseil de classe à évaluer les vœux. "Nous pouvons juger les compétences globales du jeune, mais il s'agira d'évaluer l'adéquation du profil de l'étudiant avec chacun de ses vœux. C'est quand même très compliqué, quand on sait qu'il existe plus de 12.000 formations du supérieur…"

Il faudra également recruter près de 20.000 professeurs principaux pour la rentrée 2018. "Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, mais ça me semble trop précipité", estime Frédérique Rolet, rejointe par Philippe Tournier : "Je ne sais pas comment trouver un professeur principal supplémentaire. D'autant que nous peinons déjà à en trouver en début d'année…" Les prochaines semaines s'annoncent donc cruciales, tant dans les universités que dans les lycées.

Des lycéens et étudiants mobilisés
Du côté des lycéens, la réforme ne passe pas. Pour le SGL (syndicat général des lycéens), majoritaire, les annonces de la ministre correspondent à "une sélection qui ne porte pas son nom". "Il y a beaucoup de propositions faites, mais sans moyens derrière", estime Ugo Thomas, le président de l'organisation, qui prend l'exemple de l'année de remise à niveau : "Nous avons peur que ce ne soit qu'une tête d'affiche pour rassurer les parents." Le SGL ne repousse pas l'idée d'une mobilisation lycéenne : "Nous y réfléchissons actuellement avec les autres organisations jeunesse. On peut effectuer des tractages, des actions filtrantes… Et si manifestation il y a, ce devrait être le 16 novembre."

Cette date est également retenue par l'Unef, qui voit dans ces mesures une fermeture des portes de l'université, et lance le site sélection-université.lol, pour signer une pétition pour demander l'abandon de la réforme.

Tous les étudiants ne sont pas du même avis. À l'inverse, la Fage salue une "réforme ambitieuse". "Par l’introduction du principe du dernier mot au bachelier plutôt que la sélection sèche ou du tirage au sort, chaque jeune décidera de son choix final d’orientation", juge la fédération. Mais de préciser : "Des réponses transitoires doivent être apportées pour la rentrée 2018." Pour éviter tout refus d’étudiants dans une formation en tension, elle exige la mise en place d’un plan d’urgence pour augmenter les capacités d’accueil des établissements concernés.

Erwin Canard, Laura Taillandier | Publié le