Depuis la loi Sapin de 2014 et la mise en place du compte personnel de formation, la formation professionnelle a connu en France une petite révolution. Face à ces nouvelles réglementations, les initiatives menées sur le terrain ont été quelque peu "mises en stand-by", concède François Germinet, président de l'université de Cergy-Pontoise, auteur, en 2015, d'un rapport sur la formation continue universitaire.
Deux ans et demi plus tard, après le lancement de deux appels à manifestation visant à mobiliser les universités sur le sujet, "le constat est mitigé", reconnaît-il. Et l'objectif d'atteindre le milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2020 "ne sera pas atteint".
Malgré tout, 21 établissements ou regroupements universitaires pionniers ont obtenu des financements pour développer leur offre. Et 30 postes ont été attribués aux 12 premiers lauréats de l'appel à manifestation, ce qui a permis, selon le président de l'université de Cergy-Pontoise, "de faire venir des profils qu'on ne trouvait pas dans les universités".
Mais François Germinet regrette l'absence de réelle volonté politique. "Il aurait fallu embrayer sur un appui politique vis-à-vis des entreprises, organiser des réunions au ministère par branche professionnelle pour que les besoins des uns et des autres se rencontrent. Cela ne s'est pas fait, et c'est ce qui explique en partie que la formation continue ne s'est pas développée comme elle aurait dû."
Sur le terrain, des initiatives se sont malgré tout mises en place, portées notamment par les appels à manifestation. Quatre universités lauréates reviennent pour EducPros sur les changements qui se sont produits depuis.
Changement d'échelle à l'université d'Angers
Sélectionnée fin 2016 dans le cadre du premier AMI (appel à manifestation d'intérêt), l'université d'Angers planchait déjà sur le sujet depuis plusieurs années. "En 2013, nous avions mis en place un service marketing et commercial dédié, porté par deux personnes, se souvient Thierry Latouche, directeur de la formation continue au sein de l'établissement. Nous avions également réfléchi aux missions et au positionnement interne des chargés de développement formation continue, avec l'instauration de nouveaux modes de coopération entre la direction de la formation continue et les composantes."
Nous avons élaboré avec les directeurs de composante une feuille de route pluriannuelle 2017-2021.
(T. Latouche)
En 2016, le chiffre d'affaires avait déjà doublé depuis 2014. Preuve, pour Thierry Latouche, que l'impulsion politique avait déjà été donnée. Pour l'université d'Angers, le rapport Germinet, et plus particulièrement l'appel à manifestation d'intérêt, a donc été l'occasion de franchir "une nouvelle étape de développement".
Une fois sélectionné, l'établissement s'est mobilisé en 2017 autour d'un nouveau projet stratégique de formation continue, avec l'objectif de doubler le chiffre d'affaires d'ici à 2021. "Courant 2017, nous avons souhaité implémenter une grille d’analyse et de lecture commune. Composante par composante, nous avons élaboré avec les directeurs une feuille de route pluriannuelle 2017-2021 sur le calendrier du contrat quinquennal, en essayant d'avoir une estimation prévisionnelle du chiffre d'affaires", détaille Thierry Latouche.
Au sein du service d'une vingtaine de personnes, les deux postes obtenus dans le cadre de l'AMI ont été pourvus : un premier poste d'enseignant-chercheur sur le big data – thématique que souhaite développer l'université en formation continue – recruté en 2017, et un deuxième, recruté en 2018, sur la commercialisation numérique de l'offre.
Création d'un service dédié à l'Université Côte d'Azur
Du côté de la Comue Université Côte d'Azur, l'attribution de trois postes a permis d'accompagner le lancement de l'activité de formation continue, qui avait été initié un an plus tôt, en 2016. "Nous avons souhaité dédier ces trois postes à la formation intra-entreprise de haut niveau. Nous avons rencontré les grands groupes de R&D locaux pour connaître leurs besoins et avons trouvé des chercheurs volontaires pour organiser des séminaires", rappelle Jean-Christophe Boisse, vice-président délégué à l'insertion professionnelle et aux relations entreprise au sein de la Comue. Une dizaine de séminaires du genre ont déjà eu lieu.
Parmi les entreprises ayant sollicité le regroupement, Amadeus, une centrale de réservation de l'industrie du tourisme et du voyage basé à Nice, à la recherche d'expertise sur des problématiques de big data et de machine learning. "Nos spécialistes en informatique ont proposé trois grandes conférences qui ont réuni une centaine d'ingénieurs R&D du groupe", raconte le vice-président. Qui se réjouit de voir que ces séminaires débouchent ensuite sur des demandes spécifiques de formation, voire sur des bourses Cifre pour les doctorants ou des contrats de recherche partenariale.
Nous entendons bien passer à une échelle plus industrielle.
(J.-C. Boisse)
Pour accompagner l'activité, un service dédié a été créé, le 1er janvier 2018. Une année test. Le chiffre d'affaires devrait atteindre 110.000 euros, mais les projections sont d'ores et déjà ambitieuses : 200.000 euros en 2019 et 400.000 euros en 2020.
"Nous avons apporté la preuve que cela fonctionnait et nous entendons bien passer à une échelle plus industrielle", indique Jean-Christophe Boisse. À la rentrée 2018, 11 diplômes universitaires doivent être ouverts et trois nouvelles entreprises ont signé des conventions pour l'organisation de séminaires de formation.
Améliorer l'analyse des coûts à Strasbourg
Avec un service dédié qui a généré, en 2017, 11,2 millions de chiffre d'affaires, l'université de Strasbourg n'est pas une débutante. Un beau résultat, qui connaît malgré tout des variations, dans un contexte économique plus complexe ces dernières années. "Certains domaines ont baissé de 20 % à 30 %, des formations arrivant à saturation", précise Marc Poncin, directeur du service, qui compte 55 personnes.
Avec les deux postes alloués par l'AMI, l'université a recruté un contrôleur de gestion et un développeur informatique. "Pour gagner des ressources externes, il faut maîtriser l'analyse des coûts, pointe le directeur. Dans le cadre de notre développement, nous voulions nous outiller pour approfondir ce pont précis et sécuriser nos comptes, sachant que nous développons chaque année environ 800 formations." Un point essentiel selon Marc Poncin, pour qui "l'analyse en coûts complets est une sécurité en cas de contrôle de la Direccte [Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi]".
Pour gagner des ressources externes, il faut maîtriser l'analyse des coûts.
(M. Poncin)
Autre piste engagée depuis le rapport Germinet : une réflexion sur le statut même du service, régulièrement confronté à différents freins juridiques et économiques. "Par définition, le service fonctionne avec le Code du commerce et le Code du travail, alors que l'université fonctionne avec le Code de l'éducation, ce qui complique l'identification et la gestion des coûts. Aujourd'hui, nous n'avons pas la possibilité d'être dans une position d'entreprise, nous sommes un peu bloqués en termes de levier de développement."
Dans ce cadre, un éventuel dépôt de candidature pour l'appel à projets société universitaire du PIA 3 est envisagé, "même s'il s'agit d'une décision politique et que, jusqu'à présent, rien n'est acté", ajoute Marc Poncin.
Des stages courts de "haute qualité" à Sorbonne université
"Un moyen de fédérer la formation continue, dans le cadre de la fusion qui se profilait entre l'UPMC et Paris 4." C'est ainsi qu'Alain Gonzalez, directeur de la formation continue à Sorbonne université, décrit l'"effet d'aubaine" qu'ont représenté le rapport Germinet et l'AMI en 2016. La fusion entre l'UPMC et Paris 4 n'étant effective que depuis le 1er janvier 2018, les services de formation continue n'ont pas encore été mutualisés.
Pour autant, précise Alain Gonzalez, "nous avons pensé la réponse à cet appel à projets comme la préfiguration de notre feuille de route. La stratégie développée a été de prolonger ce qui se faisait déjà à l'UPMC, à savoir considérer la formation continue comme un enjeu de développement de l'image de marque de Sorbonne université". En résumé : "On ne crée pas une offre sans embarquer un laboratoire et donc des chercheurs reliés".
Il n'est pas question de faire beaucoup de volume, ou d'avoir d'objectifs chiffrés.
(A. Gonzalez)
Pour l'établissement parisien, "pas question de faire beaucoup de volume, ou d'avoir des objectifs chiffrés", résume Alain Gonzalez. Il s'agit de répondre aux besoins des entreprises en proposant des stages courts, de haute qualité, allant de trois à 30 jours. "20 % de l'offre de formation continue se faisait en stage court en 2015. Aujourd'hui ce taux est monté à 30 %", assure le directeur.
Parmi les cibles de cette offre de stages courts "premium" : les alumnis : "Nous pensons qu'au-delà des dons aux fondations, nos anciens, notamment ceux partis à l'étranger, peuvent aussi avoir besoin de leur université deux, trois ou cinq ans après leur diplôme dans le cadre d'une transition professionnelle, par exemple."
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