Beaucoup d’acteurs s’interrogent sur la faisabilité de la réforme et notamment sur le calendrier de mise en œuvre à la rentrée 2018. Que leur répondez-vous ?
D’abord, je veux rappeler notre méthode : la concertation a permis de construire le Plan étudiants avec l’ensemble des acteurs qui la mettront en place. C’est avec eux que je travaille et c’est pourquoi je n’ai aucun doute sur leur capacité à y parvenir dès la rentrée 2018.
Lors des débats parlementaires, certains groupes politiques ont appelé à reporter l’application de la réforme. Je veux être très claire sur ce point : nous n’avons pas le choix, sauf à revivre en 2018 ce que nous avons vécu cet été. Ce serait non seulement insupportable pour les jeunes tirés au sort et pour leurs familles, mais ce serait illégal : la CNIL nous l’a dit très clairement et le rapporteur public du Conseil d’État vient de faire de même mercredi dernier.
La plupart des mesures qui composent le Plan étudiants ont déjà été mises en œuvre dans certains établissements, il s’agit de les généraliser et de partager les bonnes pratiques : accompagnement des étudiants entre le lycée et l’université, réorientations facilitées, modules de méthodologie, de préparation à la recherche de stage… Mais cela ne concerne pas tous les étudiants, ni toutes les filières.
Le socle des solutions concrètes est là, il faut maintenant passer à une échelle plus importante. Évidemment, l’objectif n’est pas d’y parvenir une fois pour toutes. Il faudra regarder ce qui fonctionne le mieux, trouver de nouvelles idées, s’appuyer sur les innovations pédagogiques développées par certains établissements… Ce qui me rend confiante, c’est que 70 établissements ont répondu au premier appel à projet des nouveaux cursus universitaires et étaient déjà prêts à démarrer à la rentrée 2018.
Le budget dévolu à la réforme est-il suffisant ?
Le gouvernement investit 1 milliard d’euros sur cinq ans : 450 millions d’euros pour revoir les cursus universitaires et 500 millions de crédits budgétaires supplémentaires pour ouvrir des places dans les filières sous tension, créer des postes et reconnaître l’engagement des enseignants-chercheurs… Les recteurs et les présidents d’université travaillent d’ores et déjà au développement d’une offre de formation dès la rentrée 2018. Nous avons donc les moyens de proposer un enseignement personnalisé à tous les étudiants.
Comment faire évoluer les représentations des enseignants du second degré sur les formations du supérieur ? Quel rôle l’université peut-elle jouer ?
Cela fait des années que l’on parle du continuum bac - 3/bac + 3, mais la rencontre entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur n’a pas été organisée de manière systématique : elle reposait très largement sur l’engagement et les initiatives des acteurs de terrain. Mon objectif, c’est qu’il y ait des temps de rencontre formalisés et des moments d’échange structurés. C’est pour cela que j’ai demandé aux recteurs de mettre en place ces commissions mixtes entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.
Les “attendus” de chaque formation seront des points de repère pour toute la communauté éducative.
Le dialogue s’engage ainsi entre les proviseurs et les chefs d’établissements du supérieur. Les lycées connaissent bien les classes préparatoires, les BTS, les IUT, mais moins bien les licences générales. C’est également tout le sens des “attendus” de chaque formation : décrire en quoi consiste chaque formation, ainsi que les connaissances et compétences nécessaires pour y réussir. Ce sont des points de repère pour toute la communauté éducative.
Comment les universités procéderont-elles à l’examen des dossiers de tous les élèves ?
On oublie que les universités évaluent déjà de nombreuses demandes : étudiants internationaux, demandes d’équivalence, plate-forme Campus France… Sur ce sujet-là, les établissements savent regarder ce qui est important et il ne s’agit là pas uniquement des notes des élèves. Cela leur permettra de préparer à l’avance les modules d’accompagnement ou de consolidation en fonction du public qu’ils recevront. C’est très important qu’il y ait ce regard porté sur les demandes dans toutes les filières. Après, il y aura également des outils d’aide à la décision intégrés à la plate-forme, afin de traiter au mieux les dossiers.
Les universités doivent délibérer sur les capacités d’accueil avant le 17 janvier 2018. Quelles garanties avez-vous que les établissements ne restreindront pas ces capacités en vue de sélectionner les étudiants ?
La garantie, c’est que les capacités d’accueil seront soumises au recteur. C’est le rôle de l’État de veiller à ce que les capacités d’accueil soient ajustées aux besoins, par rapport au nombre de bacheliers qui arriveront. Nous le ferons dans le dialogue avec les établissements, cela va de soi, afin de tenir compte des contraintes de l’université. C’est un point déterminant et j’y serai extrêmement attentive.
L’université de Strasbourg a ainsi été montrée du doigt alors qu’elle a été exemplaire. Par conviction, elle a décidé, à l’été 2017, qu’aucun étudiant de Staps ne serait laissé de côté et s’est retrouvée en première ligne, critiquée sur la façon dont elle accueillait ces élèves. Cette année, elle a donc augmenté ses capacités par rapport à ce qui avait été initialement prévu début 2017. Au final, elle augmente ses capacités d’accueil pour la rentrée 2018.
Il ne faut pas non plus oublier que l’on peut réajuster les capacités d’accueil. Ce n’est pas statique. Et il faut comparer ce qui est comparable : cette année, certaines universités ont affiché des capacités au sens nombre du nombre de places assises maximales, quand d’autres ont donné la capacité d’accueil des néobacheliers en essayant d’estimer le nombre de redoublants. L’année dernière, il n’y avait pas de règle en la matière et nous faisons actuellement le point avec les recteurs et présidents d’université pour que les choses soient clarifiées sur la plate-forme Parcoursup.
Pourquoi avoir choisi de mettre fin à la hiérarchie des vœux ? Ce système ne conduira-t-il pas à ce que les meilleurs élèves trustent toutes les places ?
La hiérarchie des vœux a généré un problème majeur : nous avons eu des lycéens qui avaient obtenu leur vœu 8 mais qui se rendaient compte a posteriori qu’ils préféraient leur vœu 12… Nous pensons résoudre ce problème en permettant au lycéen de progresser dans sa réflexion le plus tard possible. Désormais, chaque fois qu’un lycéen obtiendra deux “oui” à ses vœux, il conservera celui qu’il préfère.
Désormais, chaque fois qu’un lycéen obtiendra deux "oui" à ses vœux, il conservera celui qu’il préfère.
C’est en effet très compliqué de demander au mois de mars à un lycéen s’il préfère une licence d’histoire renforcée ou une licence de géographie sans renforcement. Si on lui propose de hiérarchiser ses vœux avant d’avoir cette réponse, c’est problématique.
En outre, le processus fait que dès qu’on a deux “oui” on peut choisir celui que l’on préfère. Cela permettra de libérer très vite des places. Le système fonctionnera en continu et pas en bloc comme dans le système précédent.
Le cahier des charges des attendus a été rendu public. Ils sont assez généraux. Qui décidera comment mesurer l’adéquation entre ces attendus et le profil de l’étudiant ? Comment ne pas aboutir à des licences à plusieurs vitesses ?
Pour définir les attendus, les doyens se sont réunis et ont précisé ce qui était commun à leur champ de formation et relevant de leur domaine de compétence. Ces attendus, informatifs, donnent aux lycéens toutes les clefs pour comprendre en quoi consiste telle ou telle formation. Ils permettent aussi au bachelier de savoir quoi mettre pour motiver ses choix.
Ces attendus sont volontairement généralistes : cela paraît peut-être évident qu’il faille des compétences en science pour suivre un cursus de psychologie, mais je ne suis pas persuadée que cela est le cas pour tous les lycéens !
Cela permettra aux établissements d’identifier l’accompagnement de leurs étudiants : ce sont des outils pédagogiques. C’est sur cette base également que les étudiants ambassadeurs pourront parler aux lycéens. Nous attendons maintenant les attendus des établissements qui préciseront les attendus “nationaux” en fonction des spécificités des parcours proposés, même s’ils n’ont aucune obligation de le faire.
Désormais, les inscriptions en dehors de l’académie seront possibles partout. Il s’agira d’un quota fixé par le recteur, pour donner une forme de respiration dans le dispositif. Mais la règle reste l’inscription dans l’académie d’origine. C’est essentiel : si le pouvoir d’attraction des métropoles est très fort, il faut aussi prendre en compte la qualité de vie, le coût du logement, les facilités de transport, etc.
Les modes de compensation des notes à l’année seront-ils revus ?
Je veux être très claire sur ce sujet : le principe de la compensation des notes ne sera bien sûr pas remis en cause. Ce serait absurde ! Mais le cœur de la réforme que nous menons, c’est l’instauration de parcours d’enseignement supérieur plus personnalisés. Cela induit forcément de retravailler l’"arrêté licence" afin de trouver des modalités de compensation adaptés à ces parcours plus flexibles.
Après l’adoption de la loi, nous conduirons une nouvelle concertation sur cette question, pour adopter de nouvelles règles. Celle-ci aura lieu dans le courant du premier semestre, avec l’ensemble des organisations représentées au Cneser (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche).