Sciences po Paris envisage de créer un premier niveau de diplôme à bac + 3. Est-ce également l'avenir pour les IEP (instituts d'études politiques) de région de délivrer un Bachelor ?
Benoît Lengaigne (Sciences po Lille) : Je suis farouchement contre ! La chose la plus précieuse pour une grande école est son diplôme. Or, si on commence à mettre sur le marché un Bachelor, le diplôme à bac + 5 va perdre toute crédibilité. La phrase "je suis diplômé de Sciences po Lille" doit rester univoque.
Gabriel Eckert (Sciences po Strasbourg) : J'y vois pour ma part une certaine logique avec le schéma 3 + 2. Il faut se poser la question de la singularisation du diplôme ou de sa moindre intégration au schéma LMD. Est-ce qu'une entrée en quatrième année suppose une sortie d'étudiants en troisième année ? Pour l'instant, ce n'est pas tranché, ni au sein de mon IEP, ni au sein du réseau du concours commun [qui rassemble Sciences po Aix, Lille, Lyon, Rennes, Saint-Germain-en-Laye, Strasbourg et Toulouse].
Rostane Mehdi (Sciences po Aix) : Je n'ai pas d'a priori sur ce diplôme intermédiaire, j'en comprends les enjeux, mais je crois que nous avons à Sciences po Aix bien d'autres questions à régler pour le moment.
Annonciatrice ou non de la délivrance d'un Bachelor, une réforme du concours commun (qui prévoit aujourd'hui une entrée à bac et à bac + 1) est en tout cas d'actualité. L'idée étant de supprimer l'accès à bac + 1 au profit d'une entrée commune à bac + 3. Le confirmez-vous ?
G.E. : Il y a en effet un vrai sujet sur l'architecture du concours commun. À Strasbourg, nous n'avons pas d'entrée en quatrième année à ce jour et je suis très partisan de cette évolution. Cependant, cela remet en question l'admission en deuxième année : je ne suis pas certain qu'il faille maintenir trois niveaux de recrutement.
B.L. : Je plaide pour une augmentation du nombre d'étudiants entrant en première année et une diminution en deuxième année. C'est plus lisible et cela éviterait les redites : les étudiants qui arrivent en deuxième année ont des connaissances différentes en fonction de leur cursus antérieur. Aucune décision n'a été prise mais le sujet est à l'agenda.
Par ailleurs, on peut se demander si les différentes épreuves qui constituent le concours commun jouent efficacement leur rôle de filtre et nous permettent de recruter les étudiants curieux que nous recherchons. Quand on corrige les copies, on se rend compte qu'il y a quatre patrons de dissertation selon quatre prépas différentes. En annonçant les thèmes, nous sommes face à un dilemme : on favorise la démocratisation tout en augmentant le bachotage. Un oral commun pourrait peut-être pallier ces défaillances, mais cela demande une organisation folle.
La phrase "je suis diplômé de Sciences po Lille" doit rester univoque.
(B. Lengaigne)
Où en sont vos relations avec Bordeaux, Grenoble et Paris ? Allez-vous travailler davantage ensemble à l'avenir ?
B.L. : La signature de la convention sur la gestion de la marque qui a eu lieu en janvier 2015 est historique. Je l'ai vécue comme un rapprochement qui dépasse nos différences.
G.E. : Il est difficile à ce jour de tracer une ligne claire d'évolution de nos relations, mais nous avons tous conscience qu'il faudra plus coopérer ensemble à l'avenir.
L'internationalisation est un axe stratégique pour les IEP. Comment aller plus loin ?
G.E. : Nous lançons à la rentrée un Certificate of European Studies pour les étudiants qui ne sont pas ou très peu francophones. Actuellement, sur un peu plus de 100 accords, 73 concernent des pays européens. Avec cette formation en anglais, l'objectif est d'attirer des étudiants d'Amérique du Nord, d'Asie ou Océanie, et de développer des nouveaux partenariats.
B.L. : Toutes les langues sont enseignées dans notre programme mais je pense qu'il faut changer la façon de les aborder, en privilégiant les cours en langue, notamment, pas uniquement la grammaire.
Il y a en effet un vrai sujet sur l'architecture du concours commun.
(G. Eckert)
À Lille et Strasbourg, vous êtes actuellement confrontés à une problématique immobilière qui se traduit par un manque d'espace. Le déménagement est-il proche ?
B.L. : Nous occupons une ancienne usine textile qui est trop petite et n'a pas avalé le passage des trois à cinq ans. Les discussions sur le chantier ont débuté en 2008 et nous sommes en situation de pouvoir dire que nous déménagerons d'ici fin 2016 dans l'hyper-centre de Lille.
G.E. : À Strasbourg, nous pouvons tabler raisonnablement sur un déménagement en 2017 ou 2018. D'ici là, nous allons travailler sur la nouvelle offre de formation, en la pensant dans le nouveau bâtiment qui sera beaucoup plus grand. Les amphithéâtres nous permettront d'accroître les promotions : de 200 étudiants en première année, nous pourrons passer à 250, ce que permet parfaitement le concours commun.
Sciences po Aix a risqué l'exclusion du réseau du concours commun suite à l'affaire des faux diplômes. La page est-elle tournée aujourd'hui ?
R.M. : Issu de l'université Aix-Marseille, je connaissais les difficultés de Sciences po Aix dès mon arrivée. Mon projet est de ce point de vue très clair : veiller à ce que l'institut renoue des relations de confiance avec son environnement. Nous devons sortir de la stratégie de développement autarcique mise en place par mon prédécesseur.
Je suis pour ma part dans une logique de collaboration avec l'université et j'envisage des doubles diplômes ou des projets de recherche communs. Concernant l'enquête préliminaire sur l’affaire des externalisations des diplômes, elle est en cours et je n'ai pas d'informations nouvelles à livrer sur ce sujet.
G.E. : Sciences po Aix a été réintégré sans réserve au réseau. La réunion fin juin 2015 a pleinement pris acte de l'évolution d'Aix. Et la personnalité de Rostane Mehdi est un gage de sérieux.
Lire la biographie de :
- Gabriel Eckert, directeur de Sciences po Strasbourg
- Benoît Lengaigne, directeur de Sciences po Lille
- Rostane Mehdi, directeur de Sciences po Aix