Parmi les nombreuses écoles françaises qui se développent en Chine, l'Enac a construit un modèle original, lié à son statut particulier d'école nationale de l'aviation civile formant des professionnels de l'aéronautique : ingénieurs, mais aussi pilotes, contrôleurs aériens…
Or, la Chine voit depuis quelques années son transport aérien croître à un rythme effréné : le nombre de voyageurs explose pour atteindre 400 millions de passagers par an, et le gouvernement chinois a annoncé en 2012 vouloir construire pas moins de 70 aéroports d'ici 2015. De leur côté, les compagnies multiplient leurs commandes d'avions.
Dans ce contexte, la Chine doit faire face à d'importants besoins de formation. L'occasion pour l'Enac de s'installer dans le pays, avec deux objectifs, comme le dit son directeur Marc Houalla : "renforcer notre notoriété au niveau mondial en faisant briller le transport aérien français, et accroître les ressources propres de l'école".
Soutien des entreprises aéronautiques
Pour accompagner son développement en Chine, l'Enac dispose d'un atout de taille : le soutien des industriels français du secteur aéronautique, à commencer par Airbus.
Pour les entreprises, l'enjeu est moins de recruter les personnels formés que de garantir la sécurité des avions, fondamentale pour leur image. "Il est primordial que l’exploitation des appareils se fasse avec un niveau de sécurité maximum. Bien évidemment la formation des personnels contribue à atteindre cet objectif, d'où l'intérêt de travailler en amont, au niveau de la formation", affirme Cora Hubert, chef de projets coopération internationale engineering d’Airbus.
"La sécurité du transport aérien reste la préoccupation majeure toute l’industrie du transport aérien, ajoute-t-elle. Il faut dire que quels que soient le constructeur et la compagnie aérienne, un accident d'avion nuit globalement à l'image des entreprises aéronautiques.
Pour Cora Hubert, "ce type de partenariat contribue à renforcer nos liens avec la Chine et à mieux faire connaître nos standards européens en matière de sécurité aérienne." De fait, les étudiants chinois qui suivent les cursus mis en place par l'Enac sont formés aux méthodes Airbus, étudient leurs modèles et suivent, entre autres, des interventions de professionnels de l'entreprise. Plus largement, les enseignements contribuent à développer leur fibre francophile. De quoi les inciter, plus tard, à acheter des appareils du constructeur français plutôt qu'à se tourner vers son concurrent Boeing.
Quels que soient le constructeur et la compagnie aérienne, un accident d'avion nuit globalement à l'image des entreprises aéronautiques
Une implantation pas à pas
En 2003, l'Enac a ainsi ouvert trois mastères spécialisés en sécurité du transport aérien, soutenus par l'industrie aéronautique européenne. Labellisés par la CGE (Conférence des grandes écoles), les cursus sont montés en collaboration avec l'Isae (Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace) et ont aujourd'hui formé 500 professionnels dans les domaines de la navigabilité, des opérations aériennes et de la maintenance aéronautique. Deux nouvelles spécialités doivent en outre voir le jour à la rentrée 2013 : la gestion du trafic aérien et l'exploitation des aéroports.
En 2004, ce sont les ministères de l'Education français et chinois qui sollicitent l'Enac, ainsi que l'Isae et l'Ensma pour lancer le SIAE (Institut sino-européen d'ingénierie de l'aviation) : celui-ci est créé en 2007 sur le campus de la CAUC (université chinoise de l'aviation civile) à Tianjin, à une centaine de kilomètres de Pékin. C'est précisément là, dans cette ville de 12 millions d'habitants, qu'Airbus a installé une usine d'assemblage pour les A320. EADS, Safran, Thalès et Eurocopter sont également partenaires du projet.
A l'issue d'une formation de six ans et demi (voir encadré), les 80 étudiants de la première promotion vont être diplômés en juillet 2013. Un mois plus tôt, l'école aura reçu la visite de la CTI (Commission des titres d'ingénieurs) : "obtenir l'accréditation française est une demande de la Chine et le signe de sa volonté d'aller jusqu'au bout de la coopération", souligne Thierry Liabastre, le co-directeur français du SIAE.
Concernant le financement, les investissements ont été réalisés en majorité par la Chine qui a aussi pris en charge 6,3 millions d'euros de fonctionnement, sur un budget total de 11 millions pour la période 2007-2013. Une participation qui devrait augmenter pour la deuxième phase, la coopération ayant été prolongée jusqu'en 2018. Côté français, outre une contribution du ministère de la Défense et de celui des Affaires étrangères, l'Enac a mis à disposition le co-directeur français ainsi que des enseignants, les industriels apportant 60 % de la partie française.
Effet boule de neige
Par ailleurs, l'Enac a remporté en 2012 deux appels d'offres lancés par l'Union européenne pour la coopération avec la Chine, qui ont donné lieu à de nouvelles formations sur le campus de la CAUC à Tianjin : le premier contrat, d'un montant de 2,9 millions d'euros, concerne les ingénieurs électroniciens et les ingénieurs en navigation aérienne, le second les pilotes de ligne, avec un budget de 2,2 millions d'euros.
Forte de son partenariat avec la CAUC, l'Enac a aussi signé un accord avec l'université de Tsinghua à Pékin portant sur deux mastères en management aéroportuaire et management du transport aérien, ainsi qu'un Executive MBA aéronautique. D'autres projets sont en cours, notamment un mastère en navigabilité des aéronefs avec l'université de Beihang et une école de pilotes de ligne pour le compte d'une compagnie aérienne.
"Désormais nous sommes obligés de prioriser nos actions", se réjouit Marc Houalla, qui reconnaît que "sans les industriels, nous n'aurions jamais pu installer notre présence en Chine".
Sans les industriels, nous n'aurions jamais pu installer notre présence en Chine (M.Houalla)
Les retombées pour l'école
Quoique l'Enac entretienne des relations de longue date avec les entreprises aéronautiques en France, "les industriels ne nous connaissaient pas vraiment, en particulier du point de vue de la recherche", observe Marc Houalla. Notre collaboration en Chine leur a permis de mieux comprendre nos travaux et a indirectement contribué au financement de certains contrats en France".
Surtout, les partenariats avec les universités chinoises devraient à moyen terme apporter des revenus à l'école. "Aujourd'hui, l'Etat français est impécunier", constate le directeur, pragmatique. Dans ce contexte, le modèle Enac est le suivant : les industriels investissent au départ dans la formation, tandis que des ressources complémentaires sont apportées par les autorités chinoises, les étudiants eux-mêmes ou les entreprises, en l'occurrence des sociétés aéroportuaires ou de transport aérien. Dans ce contexte, les frais de scolarité s'élèvent, par exemple, à 28.000 € pour les mastères ouverts avec l'université de Tsinghua.
Sur le long terme, les formations en Chine pourraient ainsi permettre à l'Enac de percevoir une sorte de rente, elle qui cherche à accroître ses ressources propres, notamment pour rénover son campus toulousain : l'école y consacre 5 à 6 millions d'euros par an depuis cinq ans.
Tout en s'attachant à pérenniser sa présence en Chine, l'Enac vise désormais d'autres contrées : Oman, la Russie et le Brésil. "Nous voulons développer des modèles Enac dans chacune de ces quatre grandes bases avec un ou plusieurs partenaires et délivrer des diplômes joints, explique Marc Houalla. L'idée est de passer progressivement la main à l'université étrangère tout en gardant un contrôle sur la qualité de la formation". Et en bénéficiant des droits de scolarité induits. L'école se donne quelques années pour relever ce défi.
* Superficie : une centaine d'hectares répartis sur deux campus, le plus ancien ayant été fondé en 1951.
* Effectifs : plus de 20.000 étudiants, 1.500 personnels dont 1.000 enseignants.
* Formations : la CAUC prépare à tous les métiers de l'aviation civile, y compris ceux d'hôtesses et de stewards (ce à quoi ne forme pas l'Enac).
Entièrement dispensée en français, la formation des élèves de l'Institut sino-européen d'ingénierie de l'aviation s'étale sur six ans et demi, ce qui correspond à la durée du "master" chinois.
Après une première année largement consacrée à l'apprentissage du français, auquel s'ajoutent des cours de mathématiques et de physique, les étudiants chinois suivent deux années de classe préparatoire, dont le programme est calqué sur celui de la filière PSI (physique sciences de l'ingénieur) car, explique Thierry Liabastres, co-directeur français du SIAE, "nous avons voulu mettre l'accent sur la physique".
Le cycle ingénieur proprement dit comprend deux années de cours communs suivies d'un semestre de spécialisation en propulsion, avionique ou structure et matériaux. Durant leur dernière année, les élèves préparent leur thèse de "master" chinois avant de réaliser un projet de fin d'études.
Côté effectifs, le SIAE comptera 80 diplômés en 2013 mais ambitionne de former chaque année 150 à 200 ingénieurs chinois. Les frais de scolarité s'élèvent quant à eux, à 5.800 RMB par an, soit environ 720 €. Un montant relativement faible, qui pourrait cependant augmenter à terme. "L'objectif, avance le directeur de l'Enac Marc Houalla, est qu'en 2018, le SIAE soit géré par la partie chinoise et constitue une rente pour l'école."