Après la vague d’émotion et l’expression de la solidarité de la communauté universitaire, suite aux attentats à "Charlie Hebdo" et porte de Vincennes, vient la question de l’action. Si l’école est directement concernée, avec les cas de contestation des minutes de silence dans certains établissements, l’université est elle aussi interpellée, comme lieu de transmission du savoir aux jeunes générations.
Les organisations étudiantes, syndicales et les responsables d’établissements d’enseignement supérieur ont rencontré Najat Vallaud-Belkacem et Geneviève Fioraso le 12 janvier 2015. Avec un retour unanime : pas d’incidents à signaler dans les écoles et les facs, ont confirmé les élus étudiants (Unef, Fage, UNI, PDE et Union des étudiants juifs de France – UEJF), les présidents des conférences (présidents d’université, grandes écoles, écoles d’ingénieurs) et les syndicats (Snesup, Unsa, SNPTES, SGEN, FO).
"C’est une force de l’université, estime William Martinet, président de l’Unef. Le capital culturel et les perspectives d’intégration dans la société la protègent des risques de repli."
Lutter contre l’obscurantisme
Ce qui n’empêche pas les désaccords. "On a pu entendre ici ou là : 'pourquoi on devrait faire cette minute de silence ?', 'pourquoi cette liberté d’expression est accordée à certains et pas à d’autres ?', ou encore des parallèles faits avec Dieudonné", relate Sacha Reingewirtz, président de l’UEJF.
"Tout remettre en question, c’est notre rôle – dans le respect de la loi bien sûr, souligne Jean-Loup Salzmann, président de la CPU (Conférence des présidents d'université). Il faut combattre tous les négationnismes par la discussion."
"Il faut aussi s’attacher à déconstruire les discours conspirationnistes qu’on entend sur certains campus ou sur Internet", ajoute le président de l'UEJF. Une "lutte contre l'obscurantisme qui s'accompagne d'une défense de notre modèle, note William Martinet. L’université, c’est la rationalité."
Créer le débat
Avec justement une réponse envisagée par la communauté universitaire : la mise en place de moments de débat autour des questions soulevées suite à ces attentats. "Il faut créer les conditions d’un dialogue républicain", souligne Alexandre Leroy (Fage). "En posant les sujets comme la laïcité, l’intégrisme religieux, l’intégration, développe William Martinet. On a pu parfois éviter d’ouvrir ces discussions, pour ne pas créer de tensions, tellement le débat était confisqué par l’extrême droite. Mais c’est une nécessité."
Le jeune homme se souvient ainsi d’un débat houleux organisé l’an dernier à Paris 1 sur "Charlie Hebdo" et la liberté d’expression, pour lequel il avait fallu insister auprès de l’université.
On a pu parfois éviter d’ouvrir ces discussions, pour ne pas créer de tensions, tellement le débat était confisqué par l’extrême droite. Mais c’est une nécessité.
Liberté académique et liberté des établissements
Ces échanges avec le ministère n'ont pas donné lieu à des mesures ou décisions particulières au niveau national, comme cela a pu être le cas du côté de l'école. "Chaque président réfléchit à ce qu’il peut faire dans son établissement", confie Jean-Loup Salzmann, qui travaille lui à un colloque sur la France au XXIe siècle et les identités françaises, pour son université.
"Il n'y a pas de mesures spécifiques, confirme Philippe Jamet, à la tête de la Conférence des grandes écoles. Mais des initiatives à soutenir dans les écoles, qui font vivre le débat." Le responsable a également fait part des besoins de formation des personnels des établissements pour mettre en œuvre les règles de sécurité, ou encore de la nécessité d'être vigilant aux effets possibles sur l’attractivité de l’enseignement supérieur français.
Pas question donc de toucher au contenu des formations avec un cours sur les principes de la laïcité par exemple, dans un enseignement supérieur autonome où la liberté académique prime. "Ce n’est pas une circulaire du ministère qui peut organiser les choses. Un cours en licence 1, ça ne se décrète pas. C’est une dynamique qu’il faut créer", estime le président de l'Unef.
"Sur un fait de société comme celui-là, nous sommes un peu désarmés pour une réponse immédiate et concrète, reconnaît Jean-Loup Salzmann. Nous travaillons sur du long terme et il faut poursuivre nos fondamentaux : entraîner ces adultes à la pensée critique."
Les syndicats étudiants ont lancé diverses pistes : opérer une montée en charge du dispositif du service civique, source de mixité sociale, pour la Fage ; élargir l’accès à l’enseignement supérieur pour développer l’esprit critique et lutter contre le communautarisme, pour l’UNI ; valoriser l’engagement étudiant ou encore développer les recherches sur le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, pour l’UEJF.
Après avoir rencontré l'ensemble des acteurs et représentants du secteur éducatif le 12 janvier, la ministre de l'Éducation nationale s'est exprimée devant les recteurs le lendemain.
Concernant l'enseignement supérieur et la recherche, elle a évoqué un axe de travail sur l'implication du secteur pour "éclairer la société dans son ensemble sur les fractures qui la traversent" et "les facteurs de radicalisation".
Elle a souligné le devoir du chercheur d'aider à analyser ces phénomènes pour mieux y répondre et indiqué qu'elle solliciterait à cette fin, avec Geneviève Fioraso, l’ANR (Agence nationale de la recherche).
La formation des enseignants est, de son côté, un chantier clé, a souligné la ministre de l'Education nationale.
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