Il y a eu les Mooc, il y a désormais la classe inversée. Si la méthode n'est pas vraiment nouvelle, elle suscite l'intérêt d'une communauté enseignante de plus en plus attentive à la pédagogie dans l'enseignement supérieur. Preuve s'il en faut : les ateliers sur le sujet ont fait salle comble lors d'un colloque organisé à Brest du 15 au 17 juin 2015 sur les questions pédagogiques. À cette occasion, AgroParisTech et l'École de biologie industrielle ont présenté leurs expérimentations, soulignant des avantages mais également des limites.
Des étudiants plus actifs
À AgroParisTech, Valérie Camel a transformé une partie de ses cours magistraux en classe inversée, en licence 3 et master 1. "Je leur distribue le polycopié la semaine précédant le cours, ainsi que des petits papiers pour leurs questions que je récupère 24 heures ou 48 heures avant la séance", explique l'enseignante en chimie analytique au sein de l’école d’ingénieurs. Cette année, elle a ainsi récolté 80 papiers de ses 92 étudiants de master 1. Ce qui a débouché "sur des questions intéressantes, mais en séance cela manque quand même un peu d'interactivité", reconnaît-elle.
Côté étudiants, c’est plutôt un succès : "Ils trouvent l’approche novatrice et formatrice, mais cela leur demande plus de temps de travail qu’un cours traditionnel", décrit Valérie Camel. "Cela leur permet d'être plus actifs, ajoute-t-elle, et augmente leur sentiment de maîtrise ou de compétence, ils ont plus de contrôle sur les tâches."
Des cours difficiles à étudier seuls, en amont
À l’École de biologie industrielle, Nathalie Guilbert, enseignante en procédés, a pratiqué plusieurs expériences sur différentes tailles de classe, notamment en petits groupes de TD d'une vingtaine d'étudiants. Le contenu du cours est entièrement rédigé, et transmis aux élèves avant la séance.
"Les résultats n'ont pas été très probants : 65% des étudiants ont eu du mal à aborder un cours par la lecture, raconte-t-elle. Notamment parce qu'ils avaient du mal à se concentrer sur des documents conséquents." D'ailleurs, sur un total de 75 étudiants, 20 estiment que cette méthode n'est pas faite pour eux, rapporte l’enseignante. Et l'interactivité a vite décru. "Cela a marché la première semaine, et puis plus rien ! Ils n’avaient pas de questions... Je devais donc refaire une séance magistrale traditionnelle. Et je me rendais compte que beaucoup d'entre eux n'avaient pas compris le cours !", confie-t-elle.
Désormais, l’enseignante, qui prône une intégration ponctuelle mais pas systématique de cette méthode, a pris le parti de fournir un polycopié mais d’en laisser une partie vierge, "afin de construire avec eux les figures". En parallèle, pour appréhender les bases du cours, des quiz, notés avec un faible coefficient, leur sont proposés sur une plateforme Moodle.
La classe inversée peut renforcer les faiblesses des uns et consolider les compétences des autres
(N. Roland)
Une méthode pas adaptée à tous
Enfin, c'est un autre attrait de la classe inversée qui peut poser problème, souligne Nicolas Roland, chercheur à l’université libre de Bruxelles. Si cette dernière permet en principe de développer des compétences importantes – savoir trier des documents, les synthétiser et les reformuler – ce n'est pas forcément une évidence pour tous.
"Ceux qui réussissent dans les classes inversées et dans les Mooc sont ceux qui sont capables de chercher l'information, qui ont des compétences de littératie médiatique, des capacités d’autorégulation et d’esprit critique", avance le chercheur. In fine, "on les évalue sur des compétences qu'ils n'ont pas et sur lesquelles on ne les forme pas. Cette méthode peut donc renforcer les faiblesses des uns et consolider les compétences des autres", décrit-il.
Attention donc à ne pas l’ériger en modèle, avertit François Coppens, enseignant en philosophie à la Haute école Léonard-de-Vinci (Louvain). "Le danger serait de dire qu'il ne faut plus faire de cours magistraux, et d'imposer la classe inversée comme LA méthode. Il y a des situations où c'est parfaitement adapté, dans d’autres cas le cours magistral reste la bonne solution."
Une "Critique de l'innovation technopédagogique dans l'enseignement supérieur". C'est l'intitulé de l'intervention de Nicolas Roland, chercheur à l'université libre de Bruxelles, lors du colloque des QPES (Questions pédagogiques dans l'enseignement supérieur) fin juin 2015 à Brest.
Dans sa ligne de mire : les Mooc. La majorité d’entre eux témoignent, selon lui, d’une absence de scénario pédagogique, de tâches peu adaptées au contenu, d’absence de tuteur, d’évaluations sans feedback individualisé, voire d’interactions avec l’enseignant quasi nulles. En bref, le chercheur leur reproche d’être "pédagogiquement pauvres".
Parmi les explications, il pointe "la recherche pédagogique numérique", qui "se concentre sur l’impact de telle ou telle technologie sur l'apprentissage plutôt que sur les usages des enseignants et des étudiants", et préconise une démarche de recherche-action centrée sur les utilisateurs.