"Faire une thèse est un travail divertissant, et 'dans une thèse comme dans l'cochon, tout est bon' – il n'y a rien à jeter [...].
L’important est de faire les choses avec passion. Si vous avez choisi un sujet qui vous intéresse, si vous avez décidé de consacrer vraiment à la thèse la période, même brève, que vous vous êtes donnée (nous avons posé une durée minimale de six mois), vous vous rendrez compte que la thèse peut être vécue comme un jeu, comme un pari, comme une chasse au trésor. Il y a une satisfaction sportive à donner la chasse à un texte introuvable, une satisfaction de déchiffreur d’énigmes à trouver, après y avoir réfléchi longtemps, la solution d’un problème qui semblait insoluble.
Vivez votre thèse comme un défi. Vous vous mettez vous-même au défi : au début de votre travail, vous vous êtes posé une question à laquelle vous ne saviez pas encore répondre. Il s’agit de trouver la solution en un nombre fini de coups. Parfois, la thèse peut être vécue comme une partie à deux joueurs : votre auteur ne veut pas vous confier son secret, vous devez le circonvenir, l’interroger avec adresse, lui faire dire ce qu’il n’a pas voulu dire mais qu’il aurait dû dire. Parfois, la thèse est une partie de solitaire : vous avez toutes les pièces, il s’agit de les faire aller à la bonne place [...].
Une thèse bien faite est un produit dont on ne jette rien.
Si vous avez fait votre thèse avec passion, vous aurez envie de continuer. En général, pendant qu’on travaille à sa thèse, on ne pense qu’au moment où on l’aura enfin terminée : on rêve des vacances qui suivront. Mais si vous avez fait un bon travail, il est normal, après la thèse, de sentir monter en vous une grande frénésie de travail. On veut approfondir tous les points négligés, développer les idées qui nous étaient venues à l’esprit mais que l’on a dû écarter, lire d’autres livres, écrire des essais. C’est le signe que la thèse a activé votre métabolisme intellectuel, qu’elle a été une expérience positive. C’est aussi le signe que vous êtes alors victime d’un élan compulsif pour la recherche, un peu comme le Chaplin des "Temps modernes" qui continue à serrer des boulons même une fois son travail fini : vous devrez faire un effort pour vous freiner.
Mais une fois que vous vous êtes freiné, vous vous apercevrez peut-être que vous avez une vocation pour la recherche, que la thèse n’était pas seulement le moyen d’obtenir la "laurea", et celle-ci le moyen d’avancer dans la carrière ou de satisfaire vos parents. Et il n’est pas dit non plus que se proposer de continuer à faire de la recherche signifie se consacrer à une carrière universitaire, espérer obtenir un poste, renoncer à d’autres emplois plus immédiats. On peut consacrer un temps raisonnable à la recherche même en exerçant une autre profession, sans enseigner à l’université. Dans bien des domaines, un bon professionnel doit aussi continuer à étudier.
Elle aura été comme un premier amour : il vous sera difficile de l’oublier.
Si vous vous consacrez d’une manière ou d’une autre à la recherche, vous découvrirez qu’une thèse bien faite est un produit dont on ne jette rien. En premier lieu, vous pourrez en tirer un ou plusieurs articles scientifiques, éventuellement un livre (en la retravaillant quelque peu). Mais au fil du temps, vous vous rendrez compte que vous reviendrez à votre thèse pour y puiser du matériau à citer, vous réutiliserez vos fiches de lecture en vous servant peut-être de parties qui n’étaient pas entrées dans la rédaction finale de votre premier travail ; les parties accessoires de votre thèse deviendront des points de départ pour de nouvelles recherches… Il pourra vous arriver de retourner à votre thèse, même des dizaines d’années plus tard. Elle aura été comme un premier amour : il vous sera difficile de l’oublier. Au fond, c’était la première fois que vous faisiez un travail scientifique sérieux et rigoureux, et c’est une expérience qui compte."