Les écoles d’ingénieurs croyaient le débat clos depuis que Valérie Pécresse avait exclu la mise en place par l’AERES d’un label pour les masters d’ingénierie strong>en janvier 2011. Mais les universités n’ont pas abandonné leur idée pour autant. Une dizaine d’entre elles sont en train de constituer le réseau FIGURE (Formation à l’ingénierie par des universités de recherche) pour développer un modèle complémentaire de formation aux métiers de l’ingénieur. Parmi elles : Aix-Marseille 2, Lille 1, Lyon 1 , Montpellier 2, Nancy 1, Poitiers , Toulouse 3, l’UPMC mais aussi l’UTC (Université de technologie de Compiègne). Leurs présidents doivent signer strong>une charte d’ici la mi-juillet pour officialiser le réseau et clarifier ses principes.
Donner une nouvelle image de l’ingénierie
Cursus continu de cinq ans avec une sortie au niveau licence puis un master, maîtrise d’un domaine de spécialité, pédagogie par projet, contact étroit avec les entreprises… La charte reprend en grande partie le référentiel établi par l’AERES dans son rapport de fin 2010 sur les masters d’ingénierie. Rapport rédigé par Robert Chabbal, ancien directeur général du CNRS et partisan d’un système de formation à l’américaine (bachelor et master of engineering).
"Nous ne souhaitons pas faire une copie des écoles d’ingénieurs mais nous inscrire dans une démarche originale" (P. Porcheron)
Il s’agit pour les universités existantes de créer de nouvelles formations ou de convertir des masters afin d’accroître leur attractivité. « Pourquoi ne pas donner une image nouvelle à l’ingénierie ?, se demande Patrick Porcheron, vice-président formations de l’UPMC et du réseau FIGURE. Nous ne souhaitons pas faire une copie des écoles d’ingénieurs mais nous inscrire dans une démarche originale qui s’inspire davantage des universités américaines. Cela passe par un rééquilibrage entre sciences fondamentales (maths et physiques), sciences de l’ingénieur et sciences humaines et sociales. »
Et le vice-président argumente : « déjà aujourd’hui, un grand nombre de nos diplômés de masters occupent des postes d’ingénieurs ». Près de 400 000 personnes exercent en effet en France un métier d’ingénieurs sans en avoir le titre contre près de 600 000 ingénieurs diplômés, selon les derniers chiffres du CNISF.
Levée de bouclier
Du côté des écoles d’ingénieurs, la levée de bouclier ne s’est pas fait attendre. CDEFI, CGE, BNEI, CNISF… Toutes les instances représentatives ont fait connaître leur opposition à ce projet de réseau dans les jours qui ont suivi sa divulgation. La CDEFI conteste ainsi que « des universités seules soient capables de se coopter entre elles en se reconnaissant aptes à former à des métiers sans y associer les milieux professionnels concernés ». Pour le président de cette Conférence, Christian Lerminiaux, « ces universités cherchent avant tout à alimenter leur doctorat en créant un regain d’intérêt pour leurs masters scientifiques. »
« Il y a grand risque de porter atteinte à la visibilité du titre d’ingénieur » (CGE)
La crainte des écoles d’ingénieurs ? La confusion que pourrait engendrer l'existence de masters d’ingénierie à côté des écoles d’ingénieurs. La CGE en est convaincue : « Il y a grand risque de voir apparaître des labels sans véritable qualité associée et porter atteinte derechef à la visibilité du titre d’ingénieur ». Une critique que Patrick Porcheron balaie d’un revers de main : « ces écoles se sont-elles poser cette question quand elles ont introduit des mastères dans le paysage ? Tout ceci me semble des combats d’arrière-garde. Nous proposons un autre modèle que celui existant. Il n’y a pas lieu de s’énerver inutilement. »
Tensions AERES-CTI
En toile de fond ressurgissent aussi les tensions passées entre l’AERES et la CTI. Si certaines universités jugent la Commission des titres d’ingénieur trop dogmatique et peu encline à faire évoluer les formations qu’elle accrédite, les écoles d’ingénieurs prennent sa défense. « La CTI souffre parfois de son image de vieille dame. Pourtant, ses évolutions récentes vont dans le bon sens », estime ainsi Christian Lerminiaux. A l’inverse, les écoles estiment que l’AERES sortirait de son rôle si elle se mettait à délivrer des labels. Pour les formations d’ingénierie, le label devrait en fait être délivré par le réseau FIGURE lui-même. Quant à l’AERES, elle devrait évaluer ces masters comme les autres.
Quid des écoles internes ?
Cette initiative "marquerait une volonté manifeste de se positionner contre le titre d’ingénieur" (CDEFI)
Autre pierre d’achoppement : la coexistence, au sein des universités, du réseau de masters d’ingénierie et d’écoles d’ingénieurs. Un grand nombre des établissements du réseau FIGURE possède en effet en interne une école d’ingénieurs. Pour le BNEI, les universités feraient mieux de soutenir leur école interne plutôt que de les mettre à l’écart. Là encore, Patrick Porcheron parle de complémentarité : « les écoles internes ont souvent été conçues pour assurer la promotion sociale et former des ingénieurs très opérationnels. Les diplômés de masters d’ingénierie auront une base conceptuelle plus forte et seront destinés à des métiers plus ‘corporate’.» Une complémentarité que récuse la CGE : « la lecture des principes proposés ne montre en rien de différences fondamentales dans l’approche hormis peut-être le mode de sélection ».
Pour réconcilier tout le monde, le CNISF en appelle à la concertation entre universités et écoles. Mais la CDEFI ne l’entend pas de cette oreille. Selon elle, la création du réseau FIGURE « porte atteinte au dialogue permanent et au respect mutuel que l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur conduisent depuis plusieurs années pour se réformer ». Elle en appelle à « l’intelligence collective pour qu’il soit mis un terme à une initiative qui, si elle devait être confirmée, marquerait une volonté manifeste de se positionner contre le titre d’ingénieur et les écoles qui le délivre ». Pas sûr que des discussions s’engagent de si tôt…
L’académie des technologies s’intéresse aux formations universitaires d’ingénieurs
L’académie des technologies va-t-elle mettre tout le monde d’accord ? A son programme pour le second semestre 2011 figure la question des formations d’ingénieurs à l’université. Un rapport devrait résumer ses travaux à la fin de l’année.