Le scandale qui touche Facebook, tout comme la présence accrue de Google dans les universités posent la question de la place des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) dans l’éducation. Quel est votre point de vue ?
Nous vivons un moment très intéressant : les plates-formes et les services proposés par les grands éditeurs américains sont abondamment utilisés, parce qu’ils offrent un service très agréable. Toutefois, ces solutions utilisent massivement nos données. Mais elles les utilisent parce que nous y avons consenti, il n’y a pas eu de mensonge…
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que les utilisateurs se rendent compte que leur consentement a pu avoir des conséquences importantes, que leurs données ont pu être vendues, réutilisées, partagées, parfois volées et manipulées…
Nous assistons à la prise de conscience des citoyens. Ceci intervient dans un contexte très particulier, puisque le RGPD [règlement général pour la protection des données] entrera en vigueur partout en Europe le 25 mai 2018, assorti, en France, d’une loi pour la protection des données [en cours de vote au Parlement]. Cette réglementation crée des obligations majeures, lourdes et financières pour les éditeurs de solutions numériques. Désormais, eux aussi devront faire preuve de transparence.
La question de l’utilisation des données personnelles des élèves est cruciale. Un message de la DNE [direction du numérique pour l’éducation], autorisant les enseignants à utiliser les solutions des GAFAM a d’ailleurs fait l’objet de vifs débats, il y a quelques mois...
À partir du moment où l’on utilise un service hébergé à l’étranger, la question des données se pose. Si je n’ai pas de dogme quant aux solutions à privilégier, je reste vigilant lorsque celles-ci stockent des informations sur nos élèves, sans que l’on ne connaisse l'utilisation qui en sera faite. Si l'on prend le cas spécifique de Google, l’offre éducation est très responsable vis-à-vis des données des élèves. Mais il faut s’inscrire, être informé de cette offre.
Le danger, c'est que les établissements utilisent les produits Google classiques, avec une politique de la donnée moins contraignante. C’est pourquoi les enseignants doivent être formés et informés. La note de la DNE était maladroite car elle n’entrait pas dans ce niveau de détail.
Vous évoquez l’importance d’informer et de former les enseignants. Pourquoi ?
Il existe des solutions proposées par les logiciels libres, dont certains enseignants s’emparent. Mais comment développer cet usage à une plus grande échelle ? C’est la vraie question. Je n’ai rien contre les offreurs payants, si leur solution est meilleure. Mais il se trouve qu’il existe des produits open source plus performants, sur certains sujets.
Il faut être en capacité de les choisir, ne pas céder à la facilité, en formant et informant les enseignants, qui maîtrisent souvent mieux les solutions fournies par les grands éditeurs américains parce qu’ils les ont utilisées au cours de leur formation ou au quotidien, dans leur vie privée. Mais il ne faut pas être dogmatique et pouvoir choisir la meilleure solution et non la plus pratique.
Il ne faut pas être dogmatique et il faut pouvoir choisir la meilleure solution et non la plus pratique.
Quid de la filière EdTech française, qui se développe mais qui peine parfois à décrocher des marchés avec le ministère de l’Éducation nationale ?
La filière EdTech française développe peu, voire pas de services de bureautique comme ceux que proposent les grands éditeurs. En revanche, elle offre des solutions dédiées à la pédagogie. Tout ceci nécessite, pour les établissements ou les académies, de pouvoir acheter les produits, ce qui est actuellement complexe.
Il faut redonner la capacité aux établissements, aux académies de faire des choix sur certaines briques numériques, en lien avec leurs collectivités. Cela pose des questions de financement, mais aussi de respect des programmes scolaires. C’est tout l’objet des travaux actuels menés par le ministère de l’Éducation nationale, avec lequel nous travaillons étroitement.
Vous évoquez la formation des enseignants. N’est-il pas primordial de sensibiliser également les élèves aux enjeux du traitement et de la protection des données ?
C’est en effet une brique essentielle. Il faut passer de la phase d’émerveillement à celle de la compréhension. Aujourd’hui en France, 20 % de la population ne sait pas du tout utiliser une interface numérique. Pour eux, nous venons de lancer une Stratégie nationale pour l’inclusion numérique. L’objectif est de pouvoir détecter, orienter ces personnes et financer leur accompagnement.
En ce qui concerne les jeunes, plusieurs éléments entrent en ligne de compte. Dès le primaire, il faut continuer à former les élèves à l’analyse critique des médias. Ce point devient fondamental, à l’ère des réseaux sociaux. Il faut également les sensibiliser au phénomène numérique, pour qu’ils dépassent le stade de la naïveté face à un écran.
Cela doit commencer dès le primaire et se poursuivre au collège, dans les cours de technologie par exemple. Au lycée, les humanités numériques et scientifiques, ainsi que l’option de spécialité en sciences informatiques, créées par la réforme du baccalauréat, donneront un bagage commun scientifique et la possibilité, pour ceux qui le souhaitent, d’acquérir des compétences fines en la matière.
En matière de numérique, les élèves doivent dépasser le stade de la naïveté face à un écran.
Quant à l’enseignement supérieur, il faut se demander, pour chaque formation, comment le numérique peut enrichir l’apprentissage. Et puis il y a un autre sujet, crucial, celui des filières dédiées au numérique. Dans le cadre de l’annonce de la stratégie Intelligence artificielle, Emmanuel Macron a insisté sur ce point. Il faut diplômer plus d’ingénieurs, avoir plus de chercheurs, créer de nouvelles formations dédiées… Le besoin économique est là.
Vous rappelez très souvent l’importance de recruter des jeunes filles. Pour quelles raisons ?
Les filières numériques sont très masculines et, surtout, pour la troisième année consécutive, la part de jeunes filles diminue. La situation est dramatique. Une véritable mobilisation générale est nécessaire. Depuis quelques mois, nous œuvrons au sein d’une coordination réunissant une trentaine d’organisations et des employeurs du secteur.
Ce mouvement devrait aboutir à la création d’une structure juridique commune, appelée Femmes@numérique. Il n’y a pas de solution miracle : il faut organiser plus d’ateliers dans les écoles, plus de rencontres. Il faut nourrir les imaginaires et donner à voir des modèles féminins de réussite.
L’actualité est aussi marquée par la mobilisation contre la réforme de l’entrée à l’université. Le numérique semble s’imposer comme une nouvelle manière de contourner les blocages : cours diffusés sur Facebook, votes électroniques, examens en ligne...
C’est bien connu, c’est toujours dans la contrainte que l’on innove ! Mais regardez toutes ces innovations. Il y a quelque chose qui ne change pas : d’un côté, il y a un professeur qui souhaite transmettre les savoirs qu'il détient et de l’autre, il y a des élèves qui ont envie de les recevoir. S’ils n’ont pas droit de le faire dans un établissement fermé, alors la technologie permet de le faire à distance.
Il faut bien voir que dans le cadre de la mobilisation actuelle, les présidents et une grande partie des élèves subissent les blocages. Cette situation n’est pas acceptable : elle met en danger les étudiants les plus fragiles.
Cette réforme a créé le portail Parcoursup, qui fonctionnera, comme APB, avec des algorithmes. En quoi le nouveau système serait-il plus transparent que l’ancien ?
Parcoursup est une révolution, dans le sens où jamais la procédure d’affectation après le baccalauréat n’a été aussi transparente. Le code source de l’algorithme national de Parcoursup sera rendu public. L’algorithme d’affectation utilisé par chacun des établissements le sera également.
Ce qui ne sera pas rendu public, c'est la somme des décisions de chacun des établissements. Les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures, ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise.
Encore faudra-t-il avoir les compétences nécessaires pour comprendre et "traduire" les algorithmes rendus publics…
Sur les deux types d’algorithmes (national et local), en effet, il faudra, pour les comprendre, disposer de compétences précises. En revanche, chaque étudiant pourra poser des questions très précises sur son cas et obtenir les informations dans un langage très compréhensible.
Tout ceci sera rendu possible grâce aux algorithmes et au jury d’enseignants qui évalueront chaque dossier de candidature. Avec Admission postbac, les dossiers n’étaient pas observés. Dans le cadre de Parcoursup, ils seront tous étudiés. Et c’est en cela que cette réforme constitue une révolution.