Depuis le début du mois de février, les universités françaises connaissent un mouvement des étudiants et des personnels contre la loi ORE. Cette loi modifie en profondeur les conditions d’accès à l’enseignement supérieur. Si elle propose de vraies avancées pour accompagner la diversité des publics et leur permettre une meilleure intégration dans les cursus de formation supérieure, elle instaure également, par le tri des lycéens, des modalités permettant la sélection des étudiants en fonction de leur profil académique. Votée en mars dernier, cette loi s’applique désormais à l’ensemble des établissements.
Pensée pour éviter les tirages au sort dans les quelques filières dites "en tension", la loi ORE et les faibles moyens qui l’accompagnent ne permettent pas d’améliorer l’accueil et la réussite des étudiants dans un contexte de progression démographique importante, pourtant prévisible de longue date.
Accueillir tous les étudiants et les accompagner dans une perspective de réussite et d’insertion professionnelle doit rester un vrai projet de l’enseignement supérieur public, de démocratisation et d’émancipation de la jeunesse de notre pays. Cette ambition n’est possible qu’en garantissant réellement l’accès des néobacheliers aux formations auxquelles ils aspirent.
Cela suppose, au-delà des modalités d’accès à l’enseignement supérieur, de mettre en place un vrai dispositif public d’orientation et d’accompagnement des étudiants tenant pleinement compte des projets des bacheliers.
Cela nécessite également des moyens humains et financiers récurrents à la hauteur de cet objectif au moment où la plupart des universités gèlent des postes d’enseignants, d’enseignants-chercheurs et de personnels BIATSS pour simplement maintenir les budgets à l’équilibre, au moment aussi où de nombreux établissements doivent faire face à des amphithéâtres et groupes de travaux dirigés surchargés, où le recours aux vacataires et aux personnels contractuels progresse, où les tâches administratives sont de plus en plus lourdes, tandis que les financements lourds, extra-budgétaires du PIA façonnent un nouveau paysage de l’ESR, mettant en concurrence les établissements et renforçant la concentration des moyens sur quelques-uns d’entre eux.
Seule la concertation et la reprise d’un dialogue responsable permettront d’apaiser la situation de blocage.
Toutefois, les capacités d’accueil définies dans chacun des établissements obligent aujourd’hui à trier les dossiers des étudiants. Cette nouvelle modalité pose un vrai problème éthique car elle ne reconnaît plus systématiquement l’universalité du baccalauréat comme diplôme d’accès à l’enseignement supérieur. Elle aura également des conséquences immédiates sur les personnels en modifiant le sens même de leur métier, les détournant des tâches qui assurent ordinairement la réussite des élèves et étudiants. Elle exige par ailleurs un travail important d’analyse des dossiers des étudiants sur l’ensemble des formations alors qu’il aurait sans doute été plus simple de se concentrer sur les filières "en tension", en y affectant des moyens humains et financiers à hauteur des besoins.
Le légitime mécontentement exprimé par la communauté des personnels et des étudiants depuis plusieurs semaines touche de nombreuses universités et bloque complètement certaines d’entre elles. L’arrêt ou la perturbation des activités dans ces établissements fait peser de très lourdes menaces sur le bon déroulement des activités pédagogiques et scientifiques et met en péril la tenue des examens de fin d’année.
Pour éviter des conséquences dramatiques pour les étudiants, les personnels et plus globalement pour les universités, nous appelons le gouvernement à ouvrir rapidement des négociations avec toutes les parties prenantes de ce conflit pour discuter des modalités concrètes de mise en œuvre de Parcoursup. Seule la concertation et la reprise d’un dialogue responsable permettront d’apaiser la situation de blocage dans laquelle se trouvent plusieurs établissements et d’ouvrir de réelles perspectives pour un meilleur accueil de tous les étudiants et favoriser leur réussite.
Les signataires de la tribune
- Joël Alexandre, université de Rouen-Normandie
- Olivier David, université Rennes 2
- Nathalie Dompnier, université Lumière-Lyon 2
- Rachid El Guerjouma, Le Mans université
- Yves Jean, université de Poitiers
- Hélène Velasco, université Bordeaux-Montaigne