est-on arrivé au maximum de l’autonomie qu’il convient d’accorder aux universités ?
"Loin s’en faut ! Par-delà les données de la politique franco-française, il faut garder l’œil rivé sur les bonnes pratiques internationales. On est loin du compte. Dans le rapport final des Assises de l’enseignement supérieur organisées par le ministère à l’automne 2012, et qui contient pas moins de 121 propositions, l’autonomie des établissements n’est citée que trois fois, dont deux pour en souligner les risques et dangers. Pas une seule proposition ne concerne le sujet. Ce silence assourdissant est le point d’équilibre entre les deux gauches, celle qui veut plus d’autonomie et celle qui en veut moins ou pas du tout.
Il faut garder l’œil rivé sur les bonnes pratiques internationales
Or, l’autonomie de 2007 est une version très légère de l’autonomie universitaire. L’association européenne des universités (European University Association, EUA) a conduit en 2011 une étude comparative sur l’autonomie des universités dans 28 pays européens. Il en ressort que la France occupe la 16e position en matière d’autonomie organisationnelle (celle qui permet la définition de ses règles de fonctionnement par exemple), la 22e place pour l’autonomie financière, la 27e et avant-dernière place pour la gestion autonome des ressources humaines, la 28e et dernière place pour l’autonomie académique (choix des étudiants, création de diplômes, évaluation de la qualité, etc.).
Ce "benchmark" international situe bien les choses : l’autonomie de la loi LRU de 2007 permet à la France de ne pas occuper la dernière place sur tous les tableaux mais elle est très loin d’instaurer des universités autonomes au sens international."
Extrait du chapitre 2 "Le boom de l'autonomie" - pages 39 à 40.
à Dauphine, comment se passe la sélection ?
"À l’origine, Dauphine s’est mise à pratiquer la sélection sans avoir le droit de le faire. Cette illégalité n’avait pas échappé à certains étudiants dont la candidature avait été rejetée. Ils saisissaient un avocat pour menacer de faire invalider le recrutement de toute la promotion. Pour éviter d’en arriver là, notre administration cédait discrètement à ces rares cas de chantage. Mais, à partir de 2002, ce phénomène a pris une réelle ampleur.
Mon prédécesseur a pris la décision d’enclencher la transformation en "grand établissement". Cette décision, adoptée avec beaucoup de précautions et après bien des bronca, a permis de légaliser la sélection et de déroger à la loi commune des universités. Ce basculement fut évidemment un saut symbolique important. C’est ce qui rend Dauphine tellement sulfureuse !
En devenant autorisée à sélectionner, Dauphine menaçait le monopole des grandes écoles et déstabilisait la position des autres universités, fort envieuses de sélectionner, mais empêchées de le faire par leur statut. [...]
C’est ce qui rend Dauphine tellement sulfureuse !
L’adoption de ce décret n’est pas allée sans difficulté. Jusqu’au dernier moment, Matignon a hésité, craignant que cet exemple ne mette le feu aux poudres dans les autres universités. Ce qui est admis comme une évidence pour les écoles ou pour les IEP l’est beaucoup moins pour Dauphine, parce que c’est une université. Elle en a tous les traits et elle en porte le nom. Dès lors, tout ce qui concerne Dauphine est susceptible de concerner n’importe quelle autre université ; c’est du moins ce que prétendent ceux qui dénoncent nos évolutions et font de Dauphine un épouvantail.
La légalisation de la sélection à Dauphine représentait donc un enjeu majeur. En devenant "grand établissement", Dauphine a conquis le droit de délivrer des diplômes sélectifs. À la place du DEUG, qui était le diplôme national en deux ans postbac ouvert à tout bachelier, nous avons créé un diplôme d’établissement pour chacune de nos filières. Ce diplôme d’établissement en deux ans existe encore, il n’est qu’une étape vers la licence en trois ans mais il reste le socle légal de la sélection à l’entrée de l’université."
Extrait du chapitre 3 "Vous avez dit 'sélection'" ? - pages 53 à 55.
Comment Dauphine est-elle classée ?
"Les classements internationaux sont, certes, imparfaits mais, année après année, ils sont devenus des thermomètres de la qualité universitaire et de l’attractivité des établissements. Il faut les soumettre à la critique, mais les ignorer serait une erreur. Il faut accepter cette réalité même si elle nous déplaît. Dauphine a pris en compte ce que disent ces classements pour s’adapter et penser ses changements. Nous voulons avancer vers le haut des classements, non par vanité, mais parce que nous n’avons pas le choix.
Parmi nos travaux en cours, il y a cet objectif : progresser dans tous les classements
Dans le classement de Shanghaï, Dauphine est 280e, bien loin donc des premiers. Mais nous sommes en compétition avec des universités omni-sciences qui réunissent toutes les disciplines, nous ne comptons pas de médecins, de physiciens, de chimistes,de biologistes, etc., et nos chercheurs ne publient pas d’articles dans les revues de sciences dures Nature ou Sciences. Malgré ce handicap, Dauphine est une des vingt universités françaises classées. Parmi nos travaux en cours, il y a cet objectif : progresser dans tous les classements. L’un d’entre eux, très significatif, nous donne des raisons d’espérer : dans le top 100 des universités mondiales ayant moins de cinquante ans d’âge, Dauphine est présente, bien qu’en compétition là encore avec des universités omni-sciences."
Extrait du chapitre 4 "le temps des évaluations et des classements" - pages 71 à 72.
Pourquoi avez-vous fait des droits d’inscription un de vos chevaux de bataille ?
"Je pense qu’il est légitime de solliciter une participation financière des étudiants. Mon prédécesseur avait pris l’engagement de ne pas toucher les droits d’inscription au moment du changement de statut parce que c’était une condition politique de l’acceptation de ce nouveau statut. Il avait raison mais, avec le temps, n’étant pas tenu par cet engagement, j’en ai pris publiquement un autre dans mon "programme" électoral. J’ai donc appliqué mon programme. J’enrageais de constater que beaucoup d’étudiants étaient prêts à payer un prix très élevé pour accéder à des écoles de commerce et que nous nous privions de cette ressource.
Quand ce sujet vient en discussion, les positions ne recoupent pas les clivages politiques, les positions sont assez croisées. Les gens plutôt à droite sont sensibles à l’idée qu’il faut compléter le financement public par des ressources privées et les gens plutôt à gauche retiennent plutôt l’aspect d’équité sociale, mais beaucoup se rejoignent sur la nécessité d’une contribution raisonnable et complémentaire au financement public.
J’enrageais de constater que beaucoup d’étudiants étaient prêts à payer un prix très élevé pour accéder à des écoles de commerce
Quand nous nous sommes engagé dans cette voie en 2007, le ministère considérait que c’était une provocation, il m’a donc enjoint de ne rien faire dans ce domaine, ce que je n’ai pas accepté. La loi LRU de 2007 sur l’autonomie venait d’être adoptée, il y avait des élections municipales en mars 2008, bref c’était un sujet sensible que le ministère ne souhaitait pas voir émerger à ce moment-là. D’autant plus que l’Élysée s’était engagé à ne toucher ni aux droits d’inscription ni à la sélection. Or, à partir du moment où Dauphine se mêlait de modifier les droits d’inscription, c’était une faille dans ce "deal". En tout cas, l’UNEF interpellait la ministre dans ce sens-là. Accessoirement, que Dauphine soit appelée "université" rendait le sujet plus sensible que dans le cas de Sciences po qui est toujours passée pour une école "à part".
Il faut savoir qu’il n’est pas possible d’appliquer des droits d’inscription libres sur les diplômes nationaux : les droits des diplômes nationaux sont fixés nationalement. Ils étaient de l’ordre de 130 € en licence et de 320 € en master à l’époque. Pour pouvoir appliquer des droits spécifiques, il fallait créer des diplômes d’établissement "locaux", ce que nous avons fait. Ensuite, le ministère devait reconnaître que ces diplômes d’établissement avaient le niveau du master (cela s’appelle le "grade" de master)."
Extrait du chapitre 5 "Finacement : qui doit payer ?" - pages 75 à 77.
est-ce que le métier de président a évolué ?
"La fonction du président change, comme son environnement. Les observateurs du système s’accordent à reconnaître un changement amorcé depuis déjà un certain temps. Le temps n’est plus où un président pouvait se concentrer sur un rôle d’arbitrage interne. La fonction était compatible avec le maintien d’une activité d’enseignant-chercheur, elle pouvait ne pas être un temps plein. Un président élu pour un mandat unique de cinq ans était voué à retrouver sa carrière d’enseignant-chercheur. Il était dans la continuité de la figure des doyens de fac de droit, de médecine, etc. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.
L’exercice de la responsabilité stratégique du président s’élargit dans deux directions. Elle requiert d’abord une meilleure capacité de pilotage de la politique de l’établissement, le président doit s’appuyer sur une équipe de direction renforcée en nombre et en compétences. Il doit disposer d’outils de pilotage performants et consacrer du temps à la coordination de cette équipe. En même temps que la charge managériale interne a augmenté considérablement, la fonction de président s’est aussi beaucoup élargie.
La fonction du président change, comme son environnement
En effet – deuxième facteur d’évolution du métier de président –, le président devient le porteur de la stratégie de l’établissement auprès des partenaires extérieurs. C’est que la stratégie d’établissement est devenue une réalité substantielle, du fait de l’évolution de la place de l’enseignement supérieur dans la société et de la différenciation des établissements. Pour qu’un établissement remplisse sa mission, il ne suffit pas de recruter des professeurs qualifiés et d’organiser les cursus étudiants, il faut se situer dans le concert international, nouer des partenariats et des alliances, fixer des priorités et des plans d’action, se doter des moyens nécessaires.
Impulser l’élaboration de la stratégie d’établissement et la faire partager à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement : c’est devenu une tâche primordiale et absorbante. Ainsi, le président est de plus en plus mobilisé par les relations avec des parties prenantes plus nombreuses et plus présentes : partenaires universitaires, partenaires internationaux, entreprises, organismes d’évaluation, alumni, donateurs, associations étudiantes,élus, ministère, collectivités territoriales, organismes publics, médias, etc."
Extrait du chapitre 9 "Le métier de président" - pages 170 à 172.
Laurent Batsch, "Paris-Dauphine : Quand l'Université fait Ecole", PUF, 208 p., 14 €.