Avec ses 13.500 étudiants, son campus dispersé sur cinq sites (Pau, Tarbes, Bayonne, Mont-de-Marsan et Anglet) et sa proximité avec deux grandes métropoles universitaires, Toulouse et Bordeaux, l'université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA) fait figure de petit poucet. Pourtant, au pied des Pyrénées, le président Mohamed Amara se réjouit. En février 2017, son établissement, en partenariat avec l'Inria et l'Inra, a été labellisé Isite pour son projet E2S, dédié à la transition énergétique et environnementale.
Le site a obtenu 6 millions d'euros annuels pendant quatre ans, soit 24 millions d'euros, sans période probatoire de deux ans contrairement à d'autres sites. Au total, sur cette durée, c'est une enveloppe globale de 86 millions d'euros qui financera le projet. Le consortium UPPA/Inra/Inria, les industriels et les collectivités (à hauteur de 14 millions d'euros) venant compléter le budget.
Une université fragile financièrement
Pour cette université en difficulté financière, pointée du doigt par la Cour des comptes en mai 2017, l'obtention du label est vue comme une aubaine. Un plan de retour à l'équilibre, voté début 2016, est en plein déploiement. "Nos finances sont fragiles. Mais nous sommes aussi dans une situation de projection sur l'avenir meilleure que ceux qui n'ont pas obtenu le label, commente Mohamed Amara. Avec cet Isite, c'est aussi l'image de l’établissement qui a changé. Certaines universités nous demandent de partager notre expérience. Le regard de la tutelle et des collectivités a changé… même si cela ne se traduit pas toujours en euros."
Loin des problèmes de gouvernance
En 2015, lors de la première vague du PIA 2, le site palois avait déjà fait acte de candidature pour tenter de décrocher un nouveau label, l'Isite. Ce dernier avait été créé pour mettre en valeur des projets plus thématiques que les Idex. Mais le consortium échoue, à cause de sa petite taille. Aujourd'hui, il est le seul Isite qui ne comprend qu'une seule université en son sein. C'est aussi le plus petit de France. "Être petit et seul, c'est l'accord parfait en termes de gouvernance, résume Mohamed Amara. La question de la gouvernance qui pourrit la vie des autres labellisés ne nous concerne pas. Ici, il n'est pas question de fusion ou de statut dérogatoire."
Depuis le 1er janvier 2018, l'université a d'ailleurs revu son organisation interne. Auparavant construite autour de 10 composantes (Staps non inclus), l'université est désormais formée de trois collèges : études européennes et internationales, sciences et technologies, et sciences humaines et sociales. Objectif : "un schéma plus intégrant, pour équilibrer la visibilité de l'ensemble, donner par exemple de la visibilité au site bayonnais, et rompre avec la logique facultaire", explique Olivier Lecucq, responsable de la réorganisation, et vice-président du conseil d'administration.
Recrutements ambitieux et internationaux
Pour la seconde candidature, le projet a été retravaillé notamment avec les industriels du tissu local. Dans le périmètre de l'Isite, sur les thématiques énergie et environnement, l'université compte environ 600 chercheurs et enseignants-chercheurs, "mais le chiffre est dix fois plus élevé à l'échelle du territoire", pointe Gilles Pijaudier-Cabot, directeur exécutif d'E2S-UPPA et ancien directeur de l'ISA-BTP, école d'ingénieurs locale. L'ambition est de disposer sur ce périmètre de 1.000 chercheurs d'ici à quatre ans, dont 150 dans le privé.
La question de la gouvernance qui pourrit la vie des autres labellisés ne nous concerne pas. (M. Amara)
Pour y arriver, le financement Isite va venir booster les recrutements. À quatre ans, les projections sont ambitieuses : 50 % de doctorants en plus (soit 125 doctorants supplémentaires), 50 % de publications en plus, et plus de 50 % des cours de master dispensés en anglais.
Car l'internationalisation est un autre axe du projet Isite. Outre les masters en anglais, l'université prévoit de recruter 30 % d'étudiants internationaux en plus. "Si nous voulons augmenter le nombre de nos étudiants en master, il faut aller les chercher à l'international, et leur attribuer des bourses, comme le font les grandes universités américaines et européennes", assure Gilles Pijaudier-Cabot. L'appel à projets "académie des talents", lancé par l'université, prévoit d'attribuer des bourses "au mérite" de l'ordre de 6.000 euros en L3, de 8.000 euros en M1 et de 10.000 euros en M2. Dix-neuf étudiants ont déjà été sélectionnés.
La crainte d'une université à deux vitesses
Si l'obtention du label Isite a permis à l'université de revoir ses ambitions à la hausse, les syndicats sont quant à eux moins enthousiastes. Le 12 octobre 2017, le Snesup-FSU publiait un communiqué dénonçant la situation paradoxale dans laquelle se trouve l'UPPA. "D'un côté, l'université reçoit une manne d'argent public dans le cadre de l'Isite et de l'autre l'établissement, qui fait face à des exercices déficitaires successifs depuis près de sept ans, fait supporter des restrictions en termes de postes et de budget aux composantes", explique Françoise Rivière, élu Snesup au comité technique et au conseil d'administration de l'université. "La campagne d'emplois 2018 se limite à quatre postes pour 12 départs en retraite, alors que les demandes des UFR sont bien supérieures", poursuit l'élue, qui s'inquiète d'une "opacité de la gouvernance de l'Isite" et craint "la création d'une université à deux vitesses".
Un défi : rester pluridisciplinaire
Pour Mohamed Amara, la réponse est claire : "Il n'est pas question de devenir une université à deux vitesses, ou une université technologique. Nous resterons pluridisciplinaire." Ce qui pose tout de même la question des disciplines non concernées par les financements Isite, soit 40 % du champ global couvert par l'université. Sur les 1.400 personnels que compte l'université (dont 766 personnels enseignants), 40 % n'entrent pas dans le périmètre d'E2S.
Une difficulté intrinsèque à l'Isite, selon Mohamed Amara, qui préfère y voir un défi à relever. "D'autres chercheurs, notamment de sciences humaines et sociales, peuvent rentrer dans le périmètre de l'Isite. Il y a par exemple des choses à faire pour nos juristes sur le droit de l'environnement", pointe-t-il, espérant faire entrer 10 % du potentiel de l'université dans le périmètre de l'Isite.
Gilles Pijaudier-Cabot ne dit pas autre chose. Et ce dernier entend bien tirer profit du label Isite. "Ceux qui n'ont pas eu cette chance sont en grande difficulté. Dans le contexte de baisse des crédits pour la recherche, l'université de Pau serait devenue un collège de l'université de Bordeaux. L'Isite est la porte de sortie de cette université."
La Comue d'Aquitaine n'est pas la priorité
Quel avenir pour la Comue d'Aquitaine, à laquelle appartient l'UPPA ? Suite à la volonté de l'université de Bordeaux de quitter le regroupement, le président Mohamed Amara balaie la question d'un revers de main. "Si Bordeaux sort effectivement de la Comue, nous en tirerons bien sûr les conséquences, mais garderons nos collaborations avec l'université. C'est une question de hiérarchie des priorités. Aujourd'hui nous avons un Isite à faire vivre. Qu'on ne nous encombre pas l'esprit avec d'autres problématiques d’organisation sur le territoire aquitain, qui ne sont pas prioritaires pour nous."