Philippe-Pierre Cabourdin, à la tête de l'académie de Caen jusqu'à aujourd'hui, est un recteur atypique : il est le premier recteur à ne pas être titulaire d'un doctorat en application de la réforme voulue par le ministre de Nicolas Sarkozy Luc Chatel. Il est aussi l'un des rares recteurs nommés par la droite et ayant travaillé dans un cabinet sous la précédente majorité à être resté en place depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir en 2012.
Des faits qui le poussent à considérer son éviction, actée au Conseil des ministres du 27 juillet 2016, comme politique dans le mail qu'il a envoyé aux autres recteurs le même jour, mail dont EducPros a eu connaissance : "Je suis renvoyé dans mon corps d'origine sans même avoir été reçu et sans avoir pu échanger sur les motivations de cette indélicatesse. Certes, j'ai été nommé par la majorité précédente, mon parcours est atypique... si tel est le cas, il est bien temps de s'en apercevoir !", souligne le recteur.
Et de raconter les circonstances de son limogeage : le directeur de cabinet de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, Bernard Lejeune, "m'a appelé vendredi 22 juillet, premier jour de mes congés, pour me dire qu'à la demande expresse du conseiller éducation de Matignon et avec a priori l'aval de celui du président de la République, je serais débarqué dès ce mercredi. Les explications fournies [...] n'ont pas été très étayées : il n'a rien à me reprocher... la ministre m'apprécie… mais la pression de Matignon est trop forte !", assure-t-il. Ses deux prédécesseurs à la tête de l'académie normande, Christophe Prochasson et Ali Saïb, sont aujourd'hui respectivement les conseillers "éducation" de François Hollande et Manuel Valls.
cinq recteurs en six ans dans l'académie de Caen
Outre l'amertume dont il fait part dans son mail, le haut fonctionnaire s'interroge sur les conséquences de l'instabilité de la fonction de recteur sur la continuité des politiques éducatives : "Le rythme de rotation des précédents recteurs, au-delà de leur implication, explique largement le fait que l'institution a dû s'organiser sans eux. En six ans, de 2010 à 2016, cinq recteurs se sont succédé [dans l'académie de Caen], dont quatre néo-recteurs qui y ont découvert la fonction. Cette instabilité nuit à la qualité du pilotage de l'académie et à la mise en œuvre des politiques."
Le recteur Cabourdin a été nommé en janvier 2016 recteur de région académique, une nouvelle fonction, conséquence de la réforme territoriale et qui s'apparente à celle d'un super-recteur aux fonctions équivalentes à celles d'un préfet. Dans son témoignage, le recteur pointe l'incohérence entre cette récente nomination et son éviction sept mois plus tard : "Ce qui me scandalise, c'est le peu de cas qui est fait de la fonction et l'absence de réflexion quant aux conséquences sur l'académie et le processus engagé au sein de la région académique. Comment expliquer qu'un recteur nommé en janvier recteur de région académique, promu par la ministre officier dans l'ordre national du Mérite, reconnu par ses pairs et par les principaux cadres du ministère pour son professionnalisme, soit ainsi limogé sans que rien ne lui soit reproché ?"
Et d'assurer cinglant : "Cela s'apparente au fait du prince à qui l'on déplaît parce que l'on ne lui a pas fait la cour. Désolé, je n'ai jamais eu la mentalité d'un courtisan ou d'un intrigant." Si l'initiative est rare, elle n'est pas unique. En 2012, à la suite de leur éviction par le ministre Vincent Peillon dès l'élection de François Hollande, une dizaine de recteurs, réunis en un collectif baptisé "Le cercle des recteurs disparus", avaient fait part de leur colère de façon anonyme, sous forme de tribune dans les médias.
C'est Denis Rolland qui a été choisi pour remplacer Philippe-Pierre Cabourdin à la tête du rectorat de Caen. "Un réel motif de confiance pour l'avenir de l'académie", estime l'ancien recteur pour conclure sa missive.