Vous faites partie des quelques candidats à la direction de Sciences po qui avancent à visage découvert. N'est-ce pas compliqué par rapport à vos fonctions à Lille ?
Il me semble impossible d'être candidat à la direction de Sciences po, qui est un établissement public, avec une cagoule sur la tête. J'assume donc publiquement mon choix, et je l'ai expliqué à l'ensemble des usagers de mon établissement. Il est hors de question qu'ils l'apprennent au dernier moment. J'ai d'ailleurs eu des retours très compréhensifs de la communauté lilloise.
Cette procédure de recrutement, dont j'attends, comme les autres candidats, le détail, gagnerait à reposer sur une vraie transparence, en faisant le choix de la publicité du nom des candidats, de leurs CV et de leurs projets.
Ma démarche est claire : je suis aujourd'hui entraîneur du LOSC. Je pense y faire du bon travail. La place au Barça est disponible, je m'engage dans la compétition avec un très grand respect, en restant égal à moi-même et en harmonie avec mes principes. Si je réussis ce sera très bien, sinon j'ai une très belle école à développer à Lille.
Pourquoi êtes-vous candidat à la direction de Sciences po Paris ? Quels sont vos atouts ?
Je l'avoue, j'ai depuis quelques années dans un coin de la tête l'ambition et l'envie d'être directeur de Sciences po Paris. J'ai un lien très fort avec cette école où j'ai passé dix ans – le diplôme, mon doctorat et le début de ma carrière d'enseignant-chercheur- et qui a largement fait de moi, petit boursier provincial, ce que je suis devenu.
Plusieurs points peuvent jouer en ma faveur : je suis un universitaire, je connais bien l'école et y suis très attaché. Je possède aussi une solide expérience de gestion, la vice-présidence de Lille 2 puis la direction de Sciences po Lille, et ce dans un contexte de rigueur budgétaire exacerbée.
Sciences po c'est mon monde, bien que je ne nie ni ne mésestime les différences de taille et de culture entre Lille et Paris.
Vos points faibles ?
Je ne suis ni sur les plateaux de télévision, ni dans les diners en ville, je n'exerce pas actuellement de responsabilités à Sciences po, ni à la tête d'une institution prestigieuse ou d'une administration centrale. Je suis un provincial et je sais bien que cela peut être considéré comme une faiblesse [même si je suis un pur produit de Sciences po Paris et de passage dans la capitale chaque semaine !]. C'est à mon avis une vraie force. Je pense d'ailleurs que cette distance actuelle par rapport à Sciences po me permet de regarder l'école avec une forme de lucidité respectueuse.
Quel est votre projet pour Sciences po ?
J'ai inscrit dans mon projet des convictions et des interrogations, car mes informations sur la situation de l'école sont forcément partielles pour l'instant. Je pense que Richard Descoings, en seize ans, a imprimé sa marque et totalement transformé l'institution. Mais nous sommes désormais arrivés au stade où il faut engager une nouvelle étape. C'est un moment crucial qu'il faut savoir bien gérer en commençant par faire le point sur l'école sous tous ses aspects. Après cet audit, et une fois les usagers consultés et associés à la réflexion, nous pourrons proposer une nouvelle étape.
"Sciences po doit passer à un mode de fonctionnement "normal", et ne plus reposer autant sur le charisme et le dynamisme exceptionnels d'un homme"
Ma conviction est simple. Même si Sciences po a considérablement accru et diversifié ses sources de financement - et c'est tant mieux ! - il reste avant tout un établissement public, avec 60% environ de son budget apporté par l'Etat. Je suis très attaché à cette prévalence publique et je considère que cela renvoie à un devoir au moins, celui d'utiliser la manne de l'Etat de la façon la plus efficace et surtout la plus juste. Il convient donc, à tout le moins, d'être exemplaire et transparent.
Pour y parvenir, j'ai la conviction qu'une réorganisation de la gouvernance de Sciences po est nécessaire, articulée notamment autour d'un directeur général des services. L'AERES récemment et le Conseil national de l'évaluation en 2005, ont déjà pointé cette nécessité. Sciences po doit passer à un mode de fonctionnement "normal", et ne plus reposer autant sur le charisme et le dynamisme exceptionnels d'un homme. Rationaliser donc, en assurant une véritable collégialité, tout en gardant bien sûr à l'esprit l'idée de chercher toujours à innover.
La question de la démocratisation vous tient à cœur. Dans quel sens souhaitez-vous faire avancer l'IEP parisien sur ce sujet ?
Je connais assez bien le système CEP . Je pense, après 10 ans d'existence qu'il faut en faire une évaluation complète et sans tabou. Je suis absolument convaincu que l'on peut faire plus et différemment. Le programme PEI mis en place à Lille , et qui fonctionne désormais partout en France dans le cadre du réseau des IEP du Concours commun , me paraît être un "modèle" à regarder et même à rejoindre.
J'ai la conviction qu'il faut accompagner un nombre plus important de lycéens, bien plus tôt dans leur cursus, et élargir les finalités du programme en les aidant non seulement à intégrer Sciences po -et par le concours "classique"- mais aussi à réussir plus généralement leur entrée dans l'enseignement supérieur.
La procédure d'entrée à Sciences po n'a cessé d'évoluer, avec un nouveau concours en 2013. Vous avez votre idée sur la question ?
Pour 2013, la réforme est lancée. Par la suite, il me parait intéressant et ambitieux de regarder dans quelle mesure un concours commun à l'ensemble des IEP aurait du sens. Les gains en visibilité et en démocratisation seraient évidents, car on accueillerait sans doute 20.000 candidats et l'on pourrait organiser les choses dans au moins 20 villes de France et d'outre-mer.
"Il me semble bien plus heureux et utile d'être le Primus inter pares que d'apparaître comme un 1er qui se pense toujours au-dessus des autres"
Plus généralement, je considère que le rayonnement de Sciences po ne sera complet et inscrit dans la durée que s'il n'oublie pas le reste de la France. Etre le leader naturel d'un réseau national d'IEP en organisant ensemble un certain nombre d'actions à forte valeur ajoutée (la démocratisation et le concours, la recherche aussi) permettrait de compléter avantageusement l'image de la maison. Il me semble bien plus heureux et utile d'être le Primus inter pares que d'apparaître comme un 1er qui se pense toujours au-dessus des autres.
La recherche était une priorité de Richard Descoings, vous êtes sur la même ligne ?
Tout à fait. Il faut même aller plus loin, et renforcer la dimension "université de recherche" de Sciences po, en articulant plus fortement les masters et les doctorats, et en augmentant le nombre de thèses préparées et soutenues.
Il était très investi dans le PRES Sorbonne Paris Cité (SPC), qui prévoit à terme la fusion de ses membres. Quelle est votre position sur ce rapprochement ?
Je pense que ce dossier est fondamental et je suis très favorable à ce que Sciences po joue un rôle central dans SPC. Je crois simplement qu'il faut très vite faire de la pédagogie auprès des usagers de Sciences po car à ce jour, SPC suscite beaucoup d'interrogations légitimes auxquelles ils faut répondre en rassurant.
Lire aussi
Sciences po Paris : l’opacité sur la succession de Richard Descoings dénoncée en interne
Sciences po Paris : l'héritage de Richard Descoings
Débats autour de l'échec de la prépa "diversité" de l'ENA avec Pierre Mathiot et Hervé Crès La biographie EducPros de Pierre Mathiot
Dans Nord Eclair : Pierre Mathiot vise Science Po Paris
Sur lemonde.fr : 24 candidats à Sciences-po Paris
Sur Lenouvelobs.fr : Ya-t-il un "scandale Sciences Po" ?
Suivez toute l'actualité de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le compte Twitter d'Educpros et la page Facebook d'Educpros .