Université Descartes, Paris, mardi 16 juin, 20h15. Le grand amphi de la fac fait salle comble. Les étudiants écoutent attentivement un des dirigeants d’Uber expliquer la stratégie du nouvel entrant pour contrer le monopole des taxis. Même écoute attentive pour le cofondateur d’Ornikar : cette start-up Web veut réduire le coût du permis de conduire et gagne régulièrement les procès que lui intentent des sociétés d’auto-écoles installées.
À l’évidence, la création d’entreprise en mode start-up semble attirer les étudiants. Le plan national étudiant pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat (Pépite) entré en vigueur en septembre 2014 se propose d'accompagner ces jeunes, bacheliers, étudiants ou jeunes diplômés intéressés par l'entrepreneuriat, quels que soient le cycle d'études et la filière de formation.
Moins de 1.000 bénéficiaires
Pourtant, pour sa première année universitaire de mise en place, le plan affiche un premier bilan statistique en demi-teinte. Certes, 29 Pépites ont été créés et labellisés, maillant tout le territoire. Mais pour ce qui est de la mesure phare – le statut d’étudiant-entrepreneur – le démarrage est poussif : seulement 925 candidatures se sont fait jour pour 643 retenues par les comités d'engagement au sein de chaque Pépite qui accordent, ou pas, le statut.
L’objectif d’un passage à l’acte de 20.000 étudiants-entrepreneurs en quatre ans paraît encore loin. Encore peu connu, le nouveau statut n'a, il est vrai, guère fait l'objet de grande publicité pour sa première édition. La campagne 2015 pour recueillir un maximum de candidatures d'ici à fin juin a bénéficié de davantage de communication.
évangéliser la communauté universitaire
Diffuser l’esprit d’entreprendre au sein des établissements d'enseignement supérieur – à commencer par les universités – est aussi l'objet d'une mini révolution culturelle. "Beaucoup d’enseignants-chercheurs ne sont pas au courant du dispositif ou, pire, ne sont pas fans de l’entrepreneuriat", constate Bernard Quinio, vice-président de l’université Paris Ouest-Nanterre en charge de la formation tout au long de la vie et responsable du Pépite PON. Bernard Quinio a dû prendre de son temps pour expliquer aux membres du conseil d‘administration la démarche.
"L'état d'esprit évolue, même si les enseignants ultra convaincus par le plan restent minoritaires", déclarait en mars 2015 à L'entreprise Jean-Pierre Boissin, en charge de la coordination nationale du plan Pépite et professeur à l'IAE de Grenoble.
Un peu de subventions, beaucoup d’huile de coude
Autant qu'aux barrières culturelles, la diffusion de l'esprit entrepreneurial dans le monde universitaire se heurte à la faiblesse des moyens octroyés. 4,6 millions d'euros, c'est le montant total de la dotation ministérielle dont bénéficie le plan Pépite… sur trois ans ! "Nous avons une subvention de 100.000 euros du ministère via la Caisse des dépôts. Ça nous permet de payer notre chargé de mission et de développer un site Internet dédié. On nous donne tout juste les moyens de mettre le pied à l’étrier. Tout le reste, c’est du bénévolat, du temps passé", soupire un responsable de Pépite francilien, qui se demande comment il gérera, à la rentrée 2015, à moyens constants les candidats au statut si leur nombre dépasse 40. "Au nom du principe du 'silence vaut accord', nous devons répondre dans les deux mois."
D'autres Pépite sont mieux lotis : certaines régions abondent les subventions de l'État. C'est le cas en Rhône-Alpes, Nord Pas de Calais ou Aquitaine. "Beelys", le Pépite lyonnais, a ainsi recueilli à lui seul 140 candidatures au statut d'étudiant-entrepreneur et l'a accordé à 100 étudiants.
Le casse-tête du coworking
Autre frein : les difficultés de mise en place des lieux de coworking, un des supposés avantages offerts par le statut. Ils doivent permettre de rompre l’isolement, travailler dans un environnement professionnel et décloisonner les liens avec les autres établissements.
"Nous n’avons pas encore trouvé d’espace commun", déplore Bernard Quinio pour le Pépite PON : du coup, les étudiants-entrepreneurs de l’université Paris X restent entre eux à Nanterre, ceux de l’école de commerce EDC entre eux à Paris, etc.
Actuellement, la plupart des espaces de coworking existants ne regroupent que 4 ou 5 personnes et ne favorisent guère les rencontres entre étudiants de filières et d’établissements différents. La taille critique espérée serait plutôt de l'ordre de 40 à 50 personnes pour favoriser vraiment l‘émulation et l’innovation.
Un dispositif à renforcer
Un problème dont a bien conscience le chargé de coordination nationale, Jean-Pierre Boissin. Dans les pistes d'amélioration pour susciter plus de vocations : la numérisation complète du dossier d'inscription et de suivi en ligne, une réunion en juin et en octobre du comité d'engagement (et non plus une seule fois par an) pour permettre aux étudiants de candidater durant l'été (et non jusqu'à fin juin actuellement), etc.
Pour muscler les Pépite, Jean-Pierre Boissin plaide aussi pour un renforcement de la coordination nationale afin de pouvoir créer un observatoire et capitaliser sur les bonnes pratiques existantes. Le chargé de mission propose également la création de postes dédiés à l'entrepreneuriat dans les Comue ou encore l'élargissement du statut à des jeunes du secondaire ou des quartiers sensibles.
Trois questions à Jean-Pierre Decool, député du Nord "Un chèque mission étudiant pour faciliter l'entrepreneuriat"
Jean-Pierre Decool, député du Nord, est l'auteur avec Bernard Gérard, député du Nord (tous deux Les Républicains), d'une proposition de loi déposée le 30 avril 2015 sur le bureau de l'Assemblée nationale. Elle reprend les propositions de la CNJE (Confédération nationale des juniors entreprises) et pourrait être discutée à l'automne.Comment améliorer le statut d'étudiant-entrepreneur ?
Nous voulons créer un dispositif complémentaire : le chèque "mission étudiant". Ce dispositif permettra aux étudiants porteurs de projet ou aux administrations des écoles et universités de confier des missions professionnalisantes à ces étudiants en quête d'expérience professionnelle. Ce chèque mission doit simplifier l'emploi de ces jeunes entrepreneurs : trop d'étudiants à haut potentiel doivent exercer un petit boulot sans rapport avec leurs études, c'est du gâchis.
Vos propositions visent aussi à redonner de la cohérence aux charges sociales que paient les étudiants qui travaillent. Où est le problème ?
Aujourd'hui, les étudiants qui travaillent pendant leurs études sont assujettis à un doublon de charges sociales. La proposition de loi vise à les supprimer. Par exemple, un étudiant qui choisit le statut d'auto-entrepreneur pour exercer paie actuellement deux fois la cotisation d'assurance maladie car il est déjà couvert par la Sécurité sociale étudiante.
Vous proposez également de réaménager l'emploi du temps des étudiants...
À l'image de ce qui est fait pour les sportifs de haut niveau, les établissements doivent proposer un réaménagement d'emploi du temps pour faciliter la pratique de projets professionnels et personnels. Par exemple, concentrer les études sur trois jours. Ma nouvelle assistante parlementaire travaille ainsi du lundi au mercredi pour moi et suit ses cours du jeudi au samedi matin !