La République numérique passera-t-elle par l'accès ouvert aux publications scientifiques ? Le projet de loi, présenté en Conseil des ministres le 9 décembre 2015, prévoit en tout cas que les chercheurs puissent publier sur Internet et gratuitement leurs articles issus de recherches financées majoritairement par des fonds publics.
Il leur faudra néanmoins attendre un peu après la première publication dans la revue scientifique : six mois s'ils travaillent en sciences, technologie et médecine et 12 mois si leurs recherches se situent dans le champ des sciences humaines et sociales.
Un débat qui dure depuis 15 ans
Le débat agite la communauté scientifique depuis de nombreuses années. Au début des années 2000, avec la numérisation de l'édition scientifique, certains chercheurs pensant que l'accès à la recherche ne pouvait être payant ont lancé des plateformes de revues en ligne en libre accès. Le projet à but non lucratif PLOS, en biologie et médecine, ou la plateforme du service public Revues.org, en SHS, ont d'ailleurs rencontré un certain succès.
D'autres ont proposé de créer des archives numériques, comme arXiv ou le pendant public français HAL, dans lesquelles les chercheurs peuvent verser leurs articles destinés aux diverses revues, rassemblant de ce fait un grand nombre de la production scientifique.
Mais beaucoup de revues, et souvent les plus prestigieuses, propriétés de grands groupes (Elsevier, Springer, Wiley et Informa), sont restées payantes et freinent juridiquement la republication des articles par les chercheurs dans les archives.
Or, les chercheurs ont de plus en plus de mal à accéder à ces revues : le prix des abonnements a très fortement augmenté, notamment en sciences, technologies et médecine, et les bibliothèques universitaires ne peuvent pas offrir aux chercheurs l'accès à toutes ces revues. Les chercheurs passent alors parfois par des voies peu académiques pour récupérer les articles indispensables à l'élaboration de leur recherche.
Aucune contrainte
Les chercheurs ont donc poussé les pouvoirs publics à s'engager pour que les résultats de la recherche financée par le public soient accessibles à tous. Avec un certain succès, puisque l'Union européenne a décidé, en 2012, que les recherches qu'elle finançait devraient être publiées en accès ouvert 6 mois après publication en sciences, technologies et médecine et 12 mois en SHS. Elle a encouragé les États européens à faire de même.
Poussée par l'UE, la France a donc décidé d'introduire l'accès ouvert dans son droit. Mais contrairement à la règle mise en place par l'UE, la France n'impose aucune contrainte, elle ne fait qu'autoriser l'auteur à publier son article une fois l'embargo passé.
Contrairement à la règle mise en place par l'UE, la France n'impose aucune contrainte, elle ne fait qu'autoriser l'auteur à publier son article une fois l'embargo passé.
De ce fait, aucun acteur n'est réellement satisfait. Marc Minon, de Cairn.info, plateforme française de revues en SHS privée, déplore des délais d'embargo trop courts pour maintenir la possibilité d'un modèle économique alternatif privé et a peur de l'existence d'un "agenda caché" qui inclurait d'ici peu l'obligation administrative pour les chercheurs de republier dans les archives leurs articles.
Heidi Chavin, en charge du secteur recherche au Snesup, estime, quant à elle, que dans un système où presque tout le travail (de la recherche en elle-même, à l'évaluation en passant par l'écriture) est fait par les chercheurs, "il ne devrait pas y avoir d'embargo sur les publications financées par les deniers de l'État".
Spécialiste de l'open access, Mélanie Dulong de Rosnay, chargée de recherche au CNRS, regrette que les financements doivent être majoritairement publics pour que les conditions de la loi s'appliquent et rappelle que le ministère prévoit d'aider les éditeurs français pour compenser les éventuelles pertes.
Elle souligne néanmoins une avancée importante du projet de loi : les données issues de la recherche publique seront désormais considérées comme des biens communs.