Les sacro-saints amphis, symboles s'il en est de l'université et de la transmission du savoir sont-ils voués à disparaître, au profit de plus petits espaces dûment équipés en tableaux interactifs et mobiliers modulables high tech ? La question peut sembler un brin provocante, mais force est de constater que ces espaces semblent aujourd'hui assez peu compatibles avec une amélioration des interactions entre étudiants et enseignants. Malgré tout, ne serait-ce que pour des raisons purement matérielles et budgétaires, leur destruction paraît illusoire...
Vers une transformation plutôt qu'une disparition
"Bien sûr que les cours dispensés devant 250 jeunes peuvent poser des problèmes, admet Fabrice Chemla, vice-président formation initiale et continue à l'UPMC. Mais ce sont souvent des obstacles techniques, d'acoustique, de visibilité. Rien d'insurmontable." Surtout, souligne-t-il, "plus prosaïquement, les amphis tels que nous les utilisons et pratiquons sont une réponse à la massification de l'enseignement supérieur."
Florence Koehler, chargée de mission à la DGESIP (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) et coordinatrice d'un guide sur les campus du futur suggère ainsi "la transformation des grands amphis en de plus petits, dotés d'outils permettant des enseignements interactifs."
Le rôle de l'enseignant interrogé
Avant tout, c'est le rôle et la place de l'enseignant qui sont remis en question. "Ce n'est pas la position de l'enseignant sur l'estrade qui doit changer, c'est son positionnement pédagogique. La rigidité du système TD - TP - cours magistraux doit s'estomper", selon Fabrice Chemla. Catherine Couturier, responsable du service universitaire de pédagogie de l'université d'Artois, en est convaincue : "Si l'on continue à penser que l'on peut arriver dans un amphi en pensant que l'on est le seul détenteur du savoir et que les étudiants vont écouter religieusement le cours pendant trois heures, il y a de fortes chances que l'on soit déçu".
"La valeur ajoutée d'un enseignant n'est plus dans la présentation du cours, mais dans sa capacité à concevoir des dispositifs pédagogiques qui rendent les étudiants acteurs de leurs apprentissages", poursuit Catherine Couturier. Ce qui n'est selon elle pas du tout incompatible avec un cours en amphi : "on peut faire en sorte d'avoir des amphis actifs, imaginer des activités qui impliquent les étudiants, qui leur permettent d'interagir avec leurs pairs et avec l'enseignant."
Si l'on continue à penser que l'on peut arriver dans un amphi en pensant que l'on est le seul détenteur du savoir, il y a de fortes chances que l'on soit déçu.
(C. Couturier - Université d'Artois)
Plus d'interactivité
Et les expériences se multiplient. Ainsi, avec les "buzz groupes", l'enseignant demande aux étudiants de former des groupes de 4 à 6 personnes. Chaque groupe se voit poser une question et nomme un rapporteur qui aura pour rôle de transmettre la réponse lors de la restitution. Tous les étudiants du groupe doivent donner une réponse à la question ou au problème, puis le groupe s'entend sur une réponse commune. Les rapporteurs donnent ensuite la réponse de leur groupe à l'ensemble de l'amphi. Une discussion peut ensuite avoir lieu.
Autre méthode, celle intitulée "penser-comparer-partager". Les étudiants réfléchissent individuellement à une question posée par l'enseignant et notent leur réponse par écrit. Ils comparent leur réponse avec leur voisin ou en petit groupe pour arriver à une solution qui fasse consensus au sein de ce groupe. L'enseignant interroge les groupes d'étudiants et note les réponses au tableau ; cette étape est là encore suivie d'une discussion plénière.
Quand de petits boÎtiers réveillent un cours en amphi
Pour réveiller des amphis ronronnants, plusieurs universités ont investi quelques milliers d'euros dans des boîtiers électroniques. C'est le cas de l'université de Bretagne-Sud, où une petite dizaine d'enseignants les utilisent depuis la rentrée 2014. "On sait que l'attention des étudiants a tendance à baisser au bout de 20 minutes. Ces boîtiers permettent de la relancer", explique Laurent Le Toux, du service universitaire de pédagogie. Les usages sont multiples. Ils peuvent permettre à l'enseignant, après une session de cours, de poser des questions à choix multiples aux étudiants et de vérifier ainsi l'état d'acquisition du savoir transmis. Ils peuvent aussi servir à sonder l'audience sur tel ou tel sujet, à lancer un débat, etc .
On sait que l'attention des étudiants a tendance à baisser au bout de 20 minutes. Ces boîtiers permettent de la relancer.
(L. Le Toux - UBS)
Laurence Molinero, maître de conférences en droit administratif, assure un cours de L2 en amphi et a été l'une des premières à tester ces boîtiers. "Je les utilise pour l'instant en fin de chapitre, sur la base du volontariat, pour interroger les étudiants sur les points de cours abordés. Ils ne sont pas notés, mais ils pourraient l'être. C'est extrêmement positif, pour eux et pour moi. Cela me permet vraiment d'avoir une idée en direct de ce qu'ils ont assimilé et compris. Surtout, de manière assez étonnante, cela délie les langues. Le fait de voir s'afficher le pourcentage de bonnes et mauvaises réponses, d'être sollicités sur telle ou telle question les rend moins timides. Quant à moi, je le vois aussi comme un outil d'auto-évaluation, qui me renseigne sur ce que je suis parvenue à transmettre ou ce qui nécessite peut-être plus d'explications".
Et si l'université ne possède pas de boîtiers, il reste toujours la bonne vieille méthode des cartons de couleurs...