L'université de Toulouse Jean-Jaurès devrait se retrouver devant les tribunaux. Une requête, déposée au tribunal administratif de la même ville début octobre 2017, cible l'établissement. En cause : le recrutement d'une enseignante-chercheuse issue des rangs même de l'université à un poste de maître de conférences.
À l'origine de cette saisine, un enseignant-chercheur qui avait postulé pour le même poste en février 2017. Il estime avoir fait les frais d'une politique de recrutement local. Après avoir tenté un recours gracieux, il a décidé d'attaquer la décision prise par l'université.
Le localisme pointé du doigt
"C'est un recrutement interne déguisé", assène son conseil, Maître Florent Verdier. L'avocat bordelais, bien connu pour défendre d'habitude les étudiants sur les questions de sélection à l'entrée en master, ne voit qu'une seule "explication rationnelle" à la décision de la commission en charge du recrutement : le localisme.
Pour le juriste, cette décision est doublement problématique. D'abord, du fait de la composition de la commission. Depuis l'adoption, en 2007, de la LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités), des comités de sélection sont en charge du recrutement des maîtres de conférences et des professeurs d'université. Ils regroupent, à égale proportion, des enseignants-chercheurs de l'établissement et d'autres qui lui sont étrangers.
Dans cette affaire, quatre des six enseignants-chercheurs issus de l'université Toulouse Jean-Jaurès viennent du même laboratoire que la candidate finalement recrutée. Deux membres du comité de sélection, pourtant extérieure à l'établissement, étaient par ailleurs rapporteurs de sa thèse.
L'avocat estime aussi que son "client a un parcours universitaire exemplaire". Difficile de mesurer les qualités humaines respectives des candidats, forcément décisives dans un tel processus. Reste que son client compte quatre fois plus de publications que la candidate retenue et des expériences correspondant exactement à l'offre émise par l'université. Contactée, l'université précise ne pas avoir "été saisie de cette plainte" et refuse de communiquer pour l'instant sur ce cas.
Une jurisprudence floue
"Mon objectif, c'est de dénoncer les pratiques de recrutement de certaines universités, pas de me faire intégrer à Toulouse", précise le requérant, joint par EducPros par téléphone. Il a longtemps hésité à saisir le tribunal administratif, craignant que cette démarche puisse le gêner dans ses futures candidatures. Pour les mêmes raisons, il préfère rester anonyme.
C'est que le localisme clive depuis très longtemps la communauté universitaire. La problématique n'a pas évolué depuis l'adoption de la LRU et les chiffres de l'endo-recrutement n'ont que peu évolué depuis 2008. En 2016, 20 % des nouveaux maîtres de conférences ont été recrutés dans leur propre université. Une statistique qui monte à 44 % pour les professeurs d'universités. "Les chiffres montrent d'ailleurs que l'intégration au sein même des comités de sélection de personnalités extérieures aux établissements ne permets pas de faire diminuer le recrutement local", analyse Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT.
Tous [les contentieux] ne ciblent pas le localisme, mais beaucoup s'intéressent à un problème connexe : l'impartialité du jury.
(E. Roux)
"Malgré tout, l'endo-recrutement est un problème, mais les cas litigieux sont très rares". "Il y a régulièrement des contentieux relatifs aux recrutements, précise de son côté Emmanuel Roux, président de l'université de Nîmes et de la commission juridique de la CPU. Tous ne ciblent pas le localisme, mais beaucoup s'intéressent à un problème connexe : l'impartialité du jury. Des recours favorisés par une jurisprudence encore floue." En juin 2017, le tribunal administratif de La Réunion avait annulé la procédure de recrutement d'un maître de conférences en histoire, estimant "que les conditions dans lesquelles s'étaient déroulés les travaux du comité de sélection n'étaient pas conformes aux exigences de la réglementation applicable".
Un manque de temps qui peut coûter cher
Professeur d'université à la faculté d'économie de Poitiers et auteur de l'article "Le localisme dans le monde académique : une autre approche", Olivier Bouba-Olga nuance : "Même si certains cas sont manifestement injustes, je ne pense pas que l'endo-recrutement soit une grosse problématique en France. Le vrai problème, c'est le temps."
L'ancien doyen de la faculté d'économie de Poitiers a déjà participé à plusieurs procédures de recrutement : "On a peu de temps pour examiner les dossiers et les auditions durent au maximum trente minutes. On manque de temps et de moyens alors que l'on recrute quelqu'un qui, potentiellement, fera toute sa carrière au sein du laboratoire." Un temps que les universités peuvent ensuite perdre devant les tribunaux.