Tout était prêt : les invitations lancées, le buffet commandé, les discours écrits. Mais, finalement, le pot de départ de Jean-Jacques Pollet, prévu en juillet 2015, n'a pas eu lieu. Faute de candidats pour le remplacer, le recteur de Lille a été prolongé à son poste à la dernière minute, jusqu'à ce 9 septembre où il a finalement trouvé un successeur en la personne de Luc Johann, auparavant recteur de Limoges.
Cette anecdote illustre bien l'évolution de la fonction de recteur ces dix dernières années : moins politisé, technicisé, le corps des recteurs, pourtant au sommet de la pyramide éducation nationale, peine aujourd'hui à se renouveler.
"On assiste à une pénurie de candidats", explique Bernard Toulemonde, ancien recteur et ancien directeur de l'enseignement scolaire. Avant le mouvement du 9 septembre, l'âge moyen des 31 recteurs était de 51 ans. Avec l'arrivée de Nicole Ménager à Rouen et Hélène Insel à Reims, 11 femmes occupent désormais cette fonction.
"La LRU en 2007 a marqué un tournant. Les présidents d'université sont devenus des personnages très puissants, aux pouvoirs étendus. Les 'grands' universitaires n'aspirent pas forcément à devenir recteurs... C'est un peu comme si vous proposiez à un agrégé de devenir proviseur... Quelle barbe !" s'amuse cet expert du système éducatif.
Une diversification des profils
Au vu de l'extrême centralisation du système éducatif et des responsabilités qu'ils sont appelés à endosser, il n'est pas aisé de recruter un recteur ou une rectrice. Pour diversifier les profils, en 2010, le décret "recteur" a ouvert à hauteur de 20% le corps aux directeurs et directrice d'administration centrale, non détenteurs de l'habilitation à diriger des recherches, sésame pour prétendre diriger une académie.
Mais le recrutement des recteurs repose surtout sur un subtil mélange de réputation, de buzz positif, et d'appuis auprès des gens qui "comptent" dans le microcosme. Christian Forestier, ancien recteur, est ainsi systématiquement consulté avant un mouvement des recteurs. C'est lui qui a très tôt repéré Ali Saïb, recteur de Caen puis d'Aix-Marseille, et aujourd'hui conseiller de Manuel Valls à Matignon.
La LRU en 2007 a marqué un tournant. Les présidents d'université sont devenus des personnages très puissants, aux pouvoirs étendus.
(B. Toulemonde)
Un métier de communication et de représentation
Pierre-Yves Duwoye, qui vient d'être nommé recteur de Limoges, ancien directeur de cabinet de Vincent Peillon, a longtemps été à la manœuvre pour repérer de nouvel profils.
"On procède à un pré-recrutement. Le directeur de cabinet du ministre concerné, les conseillers de Matignon et de l'Élysée échangent des noms. On se base beaucoup sur l'appréciation et la réputation que tel ou tel nous en ont fait. Chacun mène sa petite enquête par ailleurs puis on croise les informations récoltées", détaille-t-il.
Au nombre des qualités essentielles des prétendants à la fonction, des qualités intellectuelles bien sûr, mais aussi une bonne capacité à communiquer. "En gros, ces recteurs doivent donner l'impression de pouvoir 'causer dans le poste' et de tenir leur rang. C'est un métier de grande communication et de représentation", résume le haut fonctionnaire. Une fois sélectionné, le candidat rencontre son ministre, qui, la plupart du temps, valide le choix de son entourage.
Une étiquette politique moins collante
Bien sûr, les pressions politiques viennent parfois perturber le circuit de nomination. Un ministre socialiste, alors maire d'une grande agglomération, avait ainsi demandé à Vincent Peillon de nommer son premier adjoint. Le ministre n'avait pas donné suite...
"On ne va pas demander sa carte à une rectrice ou un recteur. Mais avoir travaillé dans un cabinet de droite sous la gauche – et inversement – est a priori rédhibitoire", décrypte Pierre-Yves Duwoye.
Une étiquette politique peut surtout, au gré des majorités, accélérer ou freiner les carrières. Les "recteurs disparus", ce club d'anciens recteurs remerciés peu après l'élection de François Hollande, avaient dénoncé une forme de chasse aux sorcières. Pourtant, aujourd'hui, les recteurs et rectrices en poste ne sont pas tous de gauche.
"On assiste à une forme de dépolitisation des recteurs, plus forte en tous cas sous Hollande que durant les quinquennats précédents", observe Bernard Toulemonde. Ancien conseiller du ministre de la Justice Pascal Clément sous la précédente majorité, le recteur Philippe-Pierre Cabourdin, en poste à Reims depuis cinq ans, arrive à Caen.
13 "supers recteurs" désormais aux manettes
Si les enjeux varient selon la taille des académies, les recteurs gagnent pourtant sensiblement la même chose : entre 9.500 et 10.500 euros en moyenne, primes comprises. S'y ajoutent le logement et la voiture de fonction.
Bien que confortable, la fonction de recteur a pourtant perdu de son prestige. La loi Notre, en redessinant la carte des régions et donc celle des académies, confirme cette nouvelle donne. Le Conseil des ministres du 31 juillet a acté la création de "supers recteurs" dans chaque région fusionnée.
Ce recteur de région académique sera l'interlocuteur unique du président du conseil régional et du préfet de région et sera chargé d'harmoniser les politiques publiques en matière éducative. Les "supers recteurs" de ces neuf régions seront ceux des académies d'Aix-Marseille, Besançon (et non Dijon), Bordeaux, Caen (et non Rouen), Lille, Lyon, Montpellier (et non Toulouse), Nancy-Metz (et non Strasbourg) et Paris.
"La création de ces 'supers recteurs', uniquement positionnés sur les fonctions stratégiques, confirme la perte d'aura de la fonction de recteur 'normal', cantonné à des fonctions techniques et honorifiques", analyse Bernard Toulemonde. Un premier pas vers la régionalisation de l'éducation.
Les inoxydables
Ces recteurs professionnels ont fait le tour de France et ont résisté aux changements de majorité.
- William Marois (Nantes)
- Michel Barat (Corse)
- Philippe-Pierre Cabourdin (Caen).
Les politiques
Leur carrière est marquée par un engagement politique.
- Olivier Dugrip (Bordeaux) candidat RPR à Montpellier aux élections municipales de 2001
- Camille Galap (Guadeloupe), candidat PS aux élections municipales de 2014 au Havre.
Les intellectuels
Au vu de leurs cursus, tous les recteurs témoignent de grandes qualités intellectuelles. Mais certains se démarquent particulièrement par la réputation de leurs travaux.
- Gilles Pecout (Nancy-Metz), historien et spécialiste de l'unité italienne
- Emmanuel Ethis (Nice), benjamin des recteurs, sociologue de la culture, spécialiste de la réception du cinéma et de l'étude des publics des grands festivals (Cannes et Avignon).
Les anciens directeurs d'administration
Ils ont fait carrière dans l'administration et ont été nommés après l'adoption du décret ouvrant à hauteur de 20% du corps le recrutement des recteurs aux directeurs d'administration centrale.
- Béatrice Gille (Créteil)
- Hélène Bernard (Toulouse)
- Pierre-Yves Duwoye (Limoges).