"L'enseignement supérieur est le moteur de l'apprentissage, attention à ne pas casser ce qui marche !" En ce début 2018, c'est la petite musique que font entendre les établissements, alors que les concertations dédiées à la réforme de l'apprentissage entrent dans la dernière ligne droite. L'enjeu n'est pas mince : chaque année, environ 70.000 étudiants effectuent leur formation en alternance.
La part barème supprimée ?
Le premier motif d'inquiétude des établissements d'enseignement supérieur concerne les sources de financement issues de la taxe d'apprentissage. Le gouvernement souhaite revoir tout le système : moins d'intermédiaires, un prélèvement unifié (souvent évoquée, une taxe unique fixée à 0,8% de la masse salariale) et des sommes collectées servant avant tout à financer des formations proposées en alternance.
Que deviendra alors le barème (ou hors quota), qui peut, jusqu'à présent, être affecté à des formations professionnelles ou technologiques initiales à temps plein ? "Si les financements se tarissent, c'est potentiellement 20.000 places qui pourraient être menacées", confie François Germinet. Pour le président de la commission formation et insertion professionnelle de la CPU (Conférence des présidents d'université), ce projet de réforme ne traite, à tort, que de l'infra-bac.
Côté grandes écoles, les craintes sont identiques. "La part barème a déjà diminué de 30% suite à la réforme de 2014", analyse Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE (Conférence des grandes écoles). Même son de cloche à la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs), qui organisait le 17 janvier un point presse dédié au sujet. "En 2014, suite à la précédente réforme, la perte du barème a été importante pour nos écoles : une baisse moyenne de 33% entre 2014 et 2015, soit une perte par étudiant de 193 euros et une perte globale de 25 millions d'euros", calcule Jean-Louis Allard, directeur de l'école d'ingénieurs du Cesi et chargé de mission alternance à la Cdefi.
"La réforme en cours doit renforcer l'apprentissage en école d'ingénieurs et non le fragiliser", milite Marc Renner, président de la Cdefi, qui fait valoir qu'actuellement 45% des 116 écoles d'ingénieurs proposant de l'apprentissage sont financées à moins de 80% de leur coût de revient pour leurs formations en alternance.
Quelle gouvernance de l'apprentissage ?
L'inquiétude de l'enseignement supérieur tient aussi au possible transfert de la gouvernance de l'apprentissage aux seules branches professionnelles : "Que vont devenir les formations transversales interbranches, telles que le marketing ? Dans l'enseignement supérieur, les filières de formation sont très transversales", souligne François Germinet. Pierre Gattaz, président du Medef, campe quant à lui sur ses positions : les branches professionnelles doivent assurer seules la gouvernance de l'apprentissage. "Il faut un seul pilote dans l'avion et non plusieurs" clamait encore le patron des patrons le 16 janvier 2017, lors de son point presse mensuel.
La réforme en cours doit renforcer l'apprentissage en école d'ingénieurs et non le fragiliser. (M. Renner)
Face à cette situation, les régions ont dénoncé une "privatisation rampante" de l'apprentissage et quitté les groupes de travail de la concertation menée par Sylvie Brunet... Avant de retrouver la table des négociations le 16 janvier, à la suite d'un échange avec Édouard Philippe. "Nous avons obtenu du Premier ministre l'assurance d'un maintien du pilotage public de l'apprentissage par les régions", s'est satisfait Hervé Morin, président de Régions de France, par voie de communiqué.
De leur côté, les grandes écoles, notamment d'ingénieurs, réclament d'être davantage associées à cette future gouvernance. "Les écoles sont les mieux à même d'appréhender la dimension pédagogique de l'apprentissage. Les bonnes pratiques des meilleurs CFA [centres de formation d'apprentis] pourraient être généralisées", plaide Marc Renner.
Le gouvernement devrait dévoiler ses propositions de réforme de l'apprentissage durant la première quinzaine de février, a assuré la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. En attendant, tous les acteurs de l'enseignement supérieur retiennent leur souffle : "Nous sommes confiants mais vigilants. Je ne peux imaginer qu'on mette un frein au développement de l'apprentissage dans le supérieur", résume Marc Renner.