"Quelle est l’histoire racontée par le peintre ?" Anne-Cécile Guilbard, maître de conférences à l'université de Poitiers, s'adresse à une vingtaine d'étudiants en licence de lettres. Dans les rangs, un actif et des retraités de l'année tentent au même titre que leurs jeunes camarades de décrypter “les Ménines” de Diego Velazquez. C'est dans le cadre de l'université citoyenne, lancée à Poitiers en 2012, qu'ils ont eu la possibilité de s'inscrire à ce cours sur l'esthétique de l'image, pour la durée du semestre. "C'est ma première fois à l’université, confie une assistante sociale fraîchement retraitée, c'est le lieu idéal pour se cultiver."
Des cours gratuits sans condition d'âge ni de niveau d'études
Si des cycles de conférences payants sont déjà proposés dans la plupart des universités – y compris à Poitiers –, cette dernière a voulu aller plus loin en ouvrant près de 300 cours de licence et master aux personnes extérieures à l'université et aux BIATSS, gratuitement, sans condition d'âge ni de niveau d'études. "Certains viennent pour la culture générale, le contact avec les étudiants, d'autres pour acquérir des techniques pointues et ainsi compléter leur CV", détaille Stéphane Bikialo, vice-président chargé de l'université citoyenne.
Les "étudiants citoyens" ne passent pas les examens car leur inscription ne débouche pas sur un diplôme, mais ils ont la possibilité de rendre des devoirs pour évaluer leur niveau, ou encore de participer aux travaux de groupes. À une condition : respecter le bon déroulement du cours. "Ils sont invités dans un cours qui ne leur est pas adressé", souligne Anne-Cécile Guilbard. L'enseignante-chercheuse interroge néanmoins les auditeurs au début de chaque semestre sur leurs connaissances vis-à-vis du cours. "S'ils ont un niveau avancé, c'est enrichissant."
Le dispositif est appuyé par une campagne d'affichage diffusée à Poitiers et dans la Vienne, qui avait été récompensée par l'Association des responsables de communication de l'enseignement supérieur en 2013.
Diffuser le savoir au plus grand nombre
Inspiré par les universités populaires, le président de l'université, Yves Jean, avait initié ce dispositif quand il était doyen de la faculté des sciences humaines, à l'échelle de sa composante. "J'avais d'abord soumis aux collègues l'idée de donner gratuitement des cours le soir, mais peu ont adhéré. En suivant les conseils d'un confrère sociologue de Limoges, je leur ai alors proposé d'ouvrir les cours de leurs choix aux habitants et ils ont été nombreux à accepter."
À son élection à la présidence en 2012, l'homme a impulsé le projet au niveau de l’établissement. "C’est important de démystifier l’université, de montrer que c’est un lieu accessible. Les cours ouverts aux citoyens, ça ne coûte rien, je ne comprends pas que toutes les universités ne fassent pas ça." Une des premières décisions qu'il a prises a été de ne pas renouveler le poste de chauffeur afin de recruter une assistante pour mettre en œuvre l'université citoyenne.
Mixer les trajectoires
L'idée est également de provoquer la rencontre entre les jeunes étudiants et les adultes, actifs, sans emploi ou retraités. "Ces auditeurs ont beaucoup plus de maturité pour aborder le cours et les mots théoriques ne leur font pas peur, observe le maître de conférences Christian Marcon, qui a ouvert son cours de psychologie sociale de la communication. Ils font des liens avec des moments de leur vie professionnelle, ce qui est utile pour nos étudiants souvent en demande d’exemples."
"On se retrouve avec des gens qui ont une vie différente, poursuit Théo Martineau, étudiant en master de littérature. Ils ont une bibliothèque d’avance. Et en voyant leur enthousiasme, on prend conscience de la chance qu’on a de suivre des études."
On se retrouve avec des gens qui ont une vie différente. Ils ont une bibliothèque d’avance. On prend conscience de la chance qu’on a de suivre des études.
(Un étudiant)
Pas assez de diversité
Mais loin d'attirer un public varié sur le plan générationnel et socioculturel, l'université citoyenne de Poitiers compte une majorité de cadres supérieurs et professions intermédiaires, curieux, déjà habitués à aller à l’université et souvent retraités. En bref, le portrait-robot de l'étudiant de l'université du temps libre. "Beaucoup sont d'anciens profs, confirme l'étudiant en master, on ne voit pas encore d'étudiants cuisiniers ou mécaniciens, comme sur la campagne d’affichage. C'est lié à la mythologie de l’université, je pense."
L'institution poitevine compte sur le bouche-à-oreille pour élargir son public. Mais pas seulement. "Il faut utiliser tous les canaux possibles pour donner envie", argue Yves Jean. À compter de la rentrée 2015, l'équipe prévoit de délocaliser des cours ouverts dans différents lieux de la ville, telles les maisons de quartier, la médiathèque, des associations... "Nous sommes conscients que les locaux de l’université sont intimidants", ajoute Stéphane Bikialo. Une nouvelle campagne d'affichage est d'ores et déjà programmée pour accompagner cette évolution du dispositif.
La plupart des universités hébergent des universités "du temps libre", "de toutes les cultures", "inter-âges" ou encore "ouvertes". Celles-ci proposent des cycles de conférences-débats pour permettre à tous de se cultiver, quel que soit l'âge. Les étudiants doivent s'acquitter des droits d'inscription (99 euros l'année à l'université inter-âges de Poitiers).
Les citoyens peuvent également s'inscrire dans les universités populaires, à l'instar de l'université populaire de Caen, créée par Michel Onfray en 2002. Au programme : des conférences gratuites et ouvertes à tous, sans inscription préalable, organisées dans des théâtres, cafés, musées, etc.
- Lire la biographie de Yves Jean