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Roger Establet : "La France possède le record des inégalités sociales"

Propos recueillis par Sophie de Tarlé Publié le
Le sociologue Roger Establet, auteur de l'ouvrage Le Niveau monte, sort le 12 mars 2009 un nouveau livre avec Christian Baudelot intitulé "L’élitisme républicain, L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales". Les deux chercheurs analysent les résultats de l'enquête internationale PISA et tirent des conclusions  sur le système d'éducation français peu reluisantes : record d'inégalités sociales, fort taux d'élèves de faible niveau scolaire, inefficacité du redoublement... Entretien avec Roger Establet.

Quels reproches peut-on faire à l’école française à la lumière de l’enquête Pisa menée par l’OCDE ?  

D’abord, la France possède le record des inégalités sociales. C’est dans notre pays que l’écart de points entre les élèves dont le statut économique social et culturel des parents est élevé et ceux dont le statut économique social et culturel est faible reste le plus élevé. En culture scientifique, il est de 122 en France alors qu’il n’est que de 63 en Finlande, 68 au Canada et 87 en Espagne. En compréhension de l’écrit et en mathématiques, nous sommes avant dernier, ce qui n’est pas plus glorieux. Cela montre qu’il y a des pays qui parviennent à limiter les inégalités, mais que ce n’est pas le cas de la France. On voit aussi que les systèmes qui atténuent les inégalités possèdent une efficacité globale plus forte. Les pays de l’OCDE qui limitent les effets de l’héritage social et culturel sont caractérisés par un meilleur niveau scolaire. Les systèmes scolaires les moins inégalitaires socialement sont aussi les plus efficaces.

Ensuite, la France produit beaucoup d’élèves très faibles. En effet, la part des élèves de 15 ans au niveau le plus bas est passée de 15,2 % en 2000 à 21,8 % en 2004. Mais ce qui est encourageant, c’est de se dire que contrairement à ce qu’on entend souvent la massification ne contribue pas à l’affaiblissement général du niveau. En effet, l’enquête Pisa montre clairement que moins un pays a d’élèves en échec, plus son élite est brillante. Contrairement à ce qu’on peut penser, en aidant les plus démunis, on aide aussi l’élite. Je ferai un parallèle avec le sport : le développement du sport de masse a permis de faire émerger une élite de sportifs de haut niveau, Zidane entre autres.

Il n’est pas bon de faire redoubler les élèves. L’enquête Pisa le montre avec beaucoup de clarté. C’est dans notre pays que la pratique du redoublement est la plus répandue. En 2003,  40 % des Français de 15 ans étaient « en retard ». A l’inverse, les pays qui obtiennent les meilleurs scores ne font jamais redoubler leurs élèves (Islande, Norvège, Japon, Corée du sud). Il n’est pas bon non plus de sélectionner de façon précoce les élèves. La création du  collège unique en Pologne a permis de faire grimper significativement le niveau des élèves. En France aussi nous avons un collège unique, mais il n’est qu’un leurre, car en réalité, il existe des classes de niveau et des collèges de niveau très différent selon les quartiers. On voit bien qu’il n’est pas efficace de mettre à part les mauvais élèves. En sport toujours, quand  Zidane était là, c’est toute l’équipe de France qui jouait mieux !
 
En 1989, vous écriviez « Le niveau monte », l’enquête Pisa montre que le niveau scolaire des Français a baissé entre 2000 et 20006. Est-ce que vous vous seriez trompé ?

Sur le long terme, le niveau a clairement monté. Les enquêtes menées par le ministère de la Défense montrent bien cela. Un exemple : en 1914, 5 % des conscrits signaient d’une croix, ce qui n’existe plus aujourd’hui. Par contre, depuis dix ans, le niveau scolaire des élèves a baissé, l’enquête de Pisa le montre bien. Entre 2000 et 2006, les Français ont perdu 17 points en compréhension de l’écrit et 15 points en mathématiques. Mais ce n’est pas une fatalité. Ainsi, pendant la même période la Pologne a gagné 28 points en compréhension de l’écrit et cinq points en mathématiques.

Dans quelle mesure les différences de moyens expliquent les résultats entre les différents pays ?

Les moyens financiers sont très importants. En effet, on voit bien que les pays  riches sont aussi les plus performants. Les pays les plus pauvres comme la Turquie et le Mexique sont clairement les pays où les performances sont les plus faibles. L’énorme investissement que le pays a fourni a porté ses fruits. Néanmoins, l’argent n’explique pas tout car à richesse égale les performances peuvent être très différentes. Les méthodes d’enseignements ont un énorme impact. Ainsi, au Canada qui obtient d’excellents résultats, les élèves passent leurs heures de cours non pas à écouter un cours, mais à faire des exercices. Et lorsqu’ils ne comprennent pas, ils viennent voir le professeur qui leur explique. C’est le  fameux « learning by doing » expliqué par l’Américain John Dewey. En France, c’est l’inverse, les élèves écoutent le cours en classe, et font les exercices à la maison.    

Roger Establet et Christian Baudelot de span style="font-style: italic;">L’élitisme républicain, L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, éditions du Seuil, 2009, 10,50 €.

Bio express
Ancien professeur émérite de l’Université de Provence, Roger Establet est un sociologue spécialisé dans l’éducation, né en 1938. Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, il a écrit avec Christian Baudelot plusieurs livres majeurs comme Le niveau monte (1989), et Allez les filles (2006).  

Propos recueillis par Sophie de Tarlé | Publié le