"J'ai perdu un an." Ce constat amer est celui de Delphine*, 22 ans, étudiante dans l'académie de Versailles. Sa licence AES (administration économique et sociale) en poche, après quatre refus de candidature en master de management et marketing, elle a saisi le recteur à la mi-septembre 2017 pour faire valoir son droit à la poursuite d'études.
"Mon dossier a été accepté, puis j'ai reçu des appels me disant que les universités ne donnaient pas de réponse ou qu'il n'y avait plus de place. Depuis, je n'ai aucune nouvelle", témoigne la jeune femme. Delphine fait partie des plus de 700 étudiants restés sans réponse sur la plate-forme trouvermonmaster et ce, malgré un dossier complet.
L'heure du bilan
Alors que la sélection à l'entrée en master a été instaurée pour la première fois en 2017, l'heure du bilan a sonné au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Sur les 173.000 inscrits en L3, plus de 3.300 d'entre eux ont saisi le recteur dans le cadre du droit à la poursuite d'études.
Et ce, principalement dans certains champs disciplinaires comme l'économie-gestion, la biologie, la psychologie et les langues vivantes. Un peu plus de la moitié des dossiers, soit 2.000, ont été retenus par les rectorats, car jugés complets. En tout, la procédure aura permis à 735 étudiants de trouver une place dans un master.
Un premier bilan "finalement plutôt positif" pour les syndicats et la CPU (Conférence des présidents d'université), au regard des inscrits en M1. "Le nombre de dossiers en suspens est infime par rapport à la masse des étudiants de licence et de master. Les universités ont joué le jeu afin d'en intégrer le plus possible", estime François Germinet, président de l'université de Cergy-Pontoise, à la tête de la commission formation et insertion professionnelle de la CPU.
Le nombre de dossiers en suspens est infime par rapport à la masse des étudiants de licence et de master.
(F. Germinet)
Ces cas particuliers restent cependant "gravissimes" pour le mouvement étudiant PDE. "Plus de 700 étudiants n'ont pas eu de réponse malgré la loi", déplore son président, Quentin Panissod. L'association a décidé de former une action de groupe en justice pour obtenir une solution pour ces étudiants "lésés".
Le ministère a quatre mois pour répondre à la mise en demeure. "Si ce n'est pas le cas, nous saisirons le Conseil d'État qui choisira la juridiction chargée de statuer", expose Florent Verdier, l'avocat en charge du dossier.
Revoir le décret master...
Pour éviter que d'autres ne se retrouvent dans cette situation à la rentrée 2018, la Rue Descartes a entamé des discussions avec les syndicats et organisations syndicales, lundi 12 février 2018. Objectif : modifier le décret accolé à la loi réformant l'entrée en master et alléger "cette ingénierie colossale". En témoignent les 52.000 demandes d'affectation faites par les recteurs aux présidents d'universités pour seulement 2.000 dossiers. "Surtout qu'il pourrait y avoir beaucoup plus de saisines l'an prochain, une fois que la procédure sera bien connue des étudiants", relève Orlane François, élue nationale de la Fage.
Trois axes de réflexion se dessinent : harmoniser le calendrier, fluidifier les démarches des acteurs et personnaliser l'accompagnement des étudiants. Sur le premier point, les universités devraient avancer leur jury de L3 avant l'été, afin de répondre aux demandes d'inscription dans les masters à la mi-juillet au plus tard. Pour faciliter le déroulement de la procédure, davantage d'informations devraient être demandées aux étudiants et fournies aux universités, comme les notes en dernière année de licence.
Le ministère souhaiterait également que les étudiants de licence émettent plus de vœux qu'ils ne le font actuellement. Pour saisir le recteur, le nombre de refus de candidatures en master à justifier, aujourd'hui fixé à deux, devrait ainsi être revu à la hausse.
Alors que certains pointent le manque de coopération des universités, un délai de réponse de quinze jours pourrait être imposé aux établissements. De même que la possibilité de leur demander une contre-proposition, en cas de refus. Enfin, pour faciliter la recherche des étudiants, une nouvelle version du site trouvermonmaster", mieux renseignée et plus ergonomique, devrait voir le jour.
... Mais pas la loi
Ces solutions, encore au stade de la réflexion, restent trop limitées pour certains. "On fait exercer le droit à la poursuite d'études au recteur alors qu'il n'a pas le dernier mot. Je ne vois pas comment, dans ces conditions, on peut imposer quoi que ce soit aux établissements", pointe Stéphane Leymarie, secrétaire général d'Unsa Sup Recherche.
Un changement de taille qui imposerait de revoir la loi, mais qui n'est pas à l'ordre du jour. D'autant que la CPU ne voit déjà pas d'un bon œil la réécriture du décret. "Je ne suis pas certain qu'il faille se lancer dans des aménagements à la marge. Le système se met en place. Il faut lui donner une année de plus", juge François Germinet.
En attendant ces éventuels aménagements, Delphine, elle, espère toujours une place en master tout en recherchant aujourd'hui un emploi. "Ce n'est pas du tout ce que je voulais faire mais je n'ai pas eu le choix. C'est totalement injuste : pourquoi certains peuvent intégrer un master et d'autres non ? Je veux qu'on me garantisse une place pour la prochaine rentrée. Je ne peux pas attendre un an de plus."
* Le prénom a été changé à la demande de l'étudiante.
Master : la moitié des étudiants obtiennent leur diplôme en deux ans
52 % : c'est la proportion d'étudiants inscrits en 2013 ayant obtenu son master à l’issue des deux années de formation, selon les derniers chiffres publiés en février 2018 par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. "Leur réussite cumulée en deux ou trois ans (64 %) est à peine inférieure à celle de la cohorte précédente (65 %). De fait, la réussite en master est restée quasiment stable sur les trois dernières années", souligne le service statistique de la Rue Descartes. La réussite en master dépend essentiellement du passage en M2. Une fois admis, les étudiants sont près de 90 % à obtenir leur diplôme en fin d’année.
Des différences s'observent selon les disciplines. Le taux de poursuite de licence en master atteint 85 % en droit mais n’est que de 62 % en lettres, langues, arts. De même, la réussite en master atteint 75 % dans en sciences mais dépasse à peine 50 % en psychologie et en Staps.
Au final, un bachelier 2009 sur cinq aura obtenu un diplôme de master, cinq ou six ans après son entrée en licence.