"Une pratique scandaleuse", "un véritable fléau" : c'est en ces termes qu'est décrite "la banalisation des comportements sexistes dans les écoles d'art", dans un rapport d'information du Sénat sur "La place des femmes dans l’art et la culture".
"Les étudiantes témoignent ainsi devoir constamment se battre contre des propos déplacés, des sous-entendus sexuels ou des comportements ambigus, tel celui d'un enseignant qui ferme la porte à clef pendant un entretien", souligne le document.
"L'éventail des comportements sexistes est large, allant de l'insulte sexiste ou homophobe jusqu'au harcèlement sexuel", affirme pour sa part Giovanna Zapperi, professeure d'histoire et de théorie de l'art à l'École nationale supérieure d'art de Bourges, auditionnée par la délégation.
"Quant aux relations sexuelles entre professeurs et étudiantes, elles sont banalisées et tolérées par l'institution quelle que soit la nature de cette relation, a précisé l'enseignante : recours au sexe comme monnaie d'échange, relation occasionnelle consentie ou relations d'ordre sentimental".
Selon elle, "l'omerta sur le sujet résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : la sous-représentation des femmes dans le corps enseignant et aux postes de direction ainsi que l'absence d'une réflexion approfondie sur la pédagogie".
Un grand nombre d'élèves se plaint en effet que celle-ci soit souvent fondée sur des rendez-vous récurrents en tête à tête avec un chef d'atelier, et peu sur l'enseignement des techniques artistiques de base.
Rédigé par la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, le rapport a été publié en juin 2013. La partie sur les dérives sexistes n'avait cependant pas fait de bruit, jusqu'à ce que l'AndEA (Association nationale des écoles d’art) ne décide de se saisir du sujet.
Les étudiantes témoignent devoir constamment se battre contre des propos déplacés, des sous-entendus sexuels ou des comportements ambigus
Un groupe de travail au ministère de la Culture
Dans un communiqué diffusé le 16 décembre 2013, l'AndEA a tenu à réagir à cette section du rapport. "Les pratiques sexistes, homophobes et de harcèlement sont inacceptables, mais je n’ai pas apprécié le ton caricatural et le rapport à charge", indique Emmanuel Tibloux, directeur de l’ENSBA-Lyon (Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon) et président de l’ANdEA. A l’avenir, annonce-t-il, l’ANdEA intègrera des étudiants et des étudiantes en son sein afin de "poursuivre la dynamique d'ouverture engagée depuis 2012".
Emmanuel Tibloux a également fait part de son projet de monter une commission destinée à étudier précisément la réalité des pratiques discriminatoires dans les établissements.
Contactée par EducPros, Brigitte Gonthier-Maurin s'est réjouie de la création de cette commission. Elle raconte : "c'est en enquêtant sur l'égalité homme-femme dans le secteur de la culture que nous avons constaté que le sujet des pratiques sexistes dans les écoles revenait de manière récurente au cours des auditions". Et d'ajouter : "la ministre Aurélie Filippetti m'a assuré que le ministère de la Culture allait créer un groupe de travail sur cette question".
une charte de déontologie pour éviter que les conflits ne s'étalent sur internet
Le rapport du Sénat préconise aussi "d'engager une réflexion approfondie qui permette de faire remonter les problèmes, sans attendre une multiplication d'actions directes venant d'étudiants exaspérés, et de proposer une charte de déontologie professionnelle sur ce sujet qui serait distribuée à tous les étudiants dès le début de leur scolarité".
Car les étudiants n'hésitent plus à mettre le problème sur la place publique, via Internet. A l'École supérieure d'art d'Avignon, un an de bataille entre une partie des étudiants et le directeur Jean-Marc Ferrari a finalement abouti à la suspension de ce dernier le 18 septembre 2012, après que les étudiants soutenus par le syndicat SUD ont relayé les accusations de harcèlement sexuel et moral portées contre lui. Le site Epicureweb.fr qui a relaté l'affaire publie une copie du procès verbal déposé par une étudiante.
A l'École nationale supérieure d'art de Bourges, les étudiants avaient également réagi par une performance artistique à une série de propos sexistes tenus par des enseignants. Une lettre justifiant leur action a été publiée sur un blog.
Enfin, les dérives sexistes font émerger d'autres problèmes, liés à la pédagogie en particulier. Les étudiants, comme ceux d'Avignon par exemple, réclament aussi un enseignement technique plus structuré, et du coup moins sujet aux dérives.
Lire le rapport du Sénat : "La place des femmes dans l’art et la culture" (juin 2013), "fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes".