Tous s'accordent sur l'urgence d'agir pour fluidifier l'entrée dans le premier cycle universitaire. Le consensus est moins évident à trouver sur les moyens d'y parvenir. La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, a ouvert lundi 17 juillet 2017 une concertation sur les contrats de réussite étudiant, destinée à mettre fin à la pratique du tirage au sort dès 2018.
Avec 87.000 candidats inscrits sur Admission postbac sans proposition d'admission et 92 licences encore en tension, ces discussions doivent permettre de répondre à une double question : comment arrive-t-on dans l'enseignement supérieur et comment y réussit-on ?
Des acteurs prêts au changement
Les 25 organisations réunies autour de la table ne s'entendent pas forcément sur les réponses, hormis sur la nécessité d'améliorer l'information et l'orientation des lycéens. "Nous ne serons sans doute pas d’accord sur tout. Nous aurons des différences, des divergences. Le moment venu, le gouvernement prendra ses responsabilités pour proposer une nouvelle organisation du premier cycle aux Françaises et aux Français", prévient Frédérique Vidal, en amont des échanges. "Je souhaite que nous puissions mettre tous les sujets sur la table, que nous les abordions sans œillères, sans posture et sans tabou", ajoute-t-elle, plaidant pour "une concertation ouverte et nourrie par l’ensemble des acteurs".
D'autant que ces derniers partagent son constat – "un immense gâchis" –, et attendent beaucoup de cette discussion. "Nous n'avons pas de ligne rouge si ce n'est le statu quo, commente Stéphane Leymarie, secrétaire général de Sup'Recherche-Unsa. Cette démarche de mettre tous les thèmes sur la table nous convient assez, car il y a beaucoup de sujets qui ruissèlent : l'orientation, le baccalauréat..." Même constat du côté du Sgen-CFDT. "Il faut être imaginatif et créatif. Nous ne nous interdisons aucune piste de réflexion. Le terme de sélection ne plaît pas mais c'est pourtant déjà une réalité", observe Franck Loureiro, secrétaire national du syndicat.
Pour la CPU (Conférence des présidents d'université), "l'objectif est de mettre fin à deux scandales de sélection : celle par l'échec et une autre liée au tirage au sort". "Nous sommes ouverts à tout. On peut travailler le spectre des formations possibles", précise François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise, à la tête de la commission de la formation et de l’insertion professionnelle de la CPU.
De quels prérequis parle-t-on ?
Surtout, la CPU plaide pour l'instauration "transparente" de prérequis – compétences et connaissances attendues de l'étudiant pour chaque formation. "Parfois, ce prérequis pourrait être le type de baccalauréat obtenu par le lycéen. Pour intégrer une licence maths-info ou physique-chimie, il s'agirait d'être titulaire d'un bac scientifique", illustre Francois Germinet. "Dans d'autres cas, on pourrait envisager de regarder le dossier scolaire de l'étudiant et le niveau dans certaines disciplines", ajoute-t-il.
Si l'instauration de prérequis consiste à dire qu'il faut faire un bac S pour faire Paces, c’est le degré zéro de la discussion.
(S. Leymarie)
"Les prérequis, c'est aussi tout un socle de compétences transversales comme l'autonomie, le travail en groupe... Il n'est pas question que l'on se limite aux capacités d'accueil, au type de baccalauréat ou à la mention obtenue", nuance Frank Loureiro. "Si cela consiste à dire qu'il faut faire un bac S pour faire Paces, c’est le degré zéro de la discussion", surenchérit Stéphane Leymarie. Plusieurs acteurs plaident donc pour la prise en compte d'autres critères comme les stages ou encore l'investissement associatif.
Pas de sélection déguisée !
Pour d'autres organisations, c'est le terme même de prérequis qui pose problème. "La fin du tirage au sort est une bonne nouvelle mais pas question de remettre en place une sélection", assène Lilâ Le Bas, au sortir de la réunion. La présidente de l'Unef ainsi que 35 autres acteurs de l'enseignement supérieur sont signataires d'une tribune contre une "transformation" de l’université "en temple sélectif". "Les idées fusent pour trier les étudiants à l’entrée de l’université, sous couvert d’une sélection qui ne dit pas son nom", écrivent les auteurs.
Aussi, devant la rue Descartes, l'enthousiasme du secrétaire général du Snesup-FSU, également signataire de la tribune, est mesuré. "Nous sortons avec beaucoup de questions, peu de réponses et des inquiétudes", explique Hervé Christofol. "Il faut adapter l’offre universitaire à la demande des étudiants et non l'inverse et cela suppose des moyens supplémentaires." Selon lui, "c'est le bac qui doit donner accès à la licence. C’est ça, le prérequis !"
Des parcours de "remédiation"
Pour Stéphane Leymarie, c'est moins la notion de prérequis que les "différentes méthodes" pour les acquérir qui risquent de diviser les acteurs. "Il faut voir quel dispositif on met en place pour les étudiants qui n'auraient pas les prérequis nécessaires. Il faut inventer du postbac : des unités de remise à niveau, une année propédeutique... Bref, une période d’appropriation des acquis qui doit être valorisée dans le cursus de l'étudiant."
On ne peut pas dire à un étudiant : tu auras ton diplôme à telle vitesse car tu as fait tel bac !
(T. Mahraoui)
Par un bac+1 ? Le Premier ministre, Édouard Philippe, a évoqué la création de diplômes de qualification à bac+1, après le baccalauréat professionnel pour lutter contre l'échec en licence. Une idée à laquelle s'opposent les organisations étudiantes et notamment la Fage : "On ne peut pas dire à un étudiant : tu auras ton diplôme à telle vitesse car tu as fait tel bac !, juge Tarek Mahraoui, son vice-président. On peut permettre à chacun d'avancer à son rythme [du moment] qu'on ne créé pas un parcours coercitif." L'organisation souhaite la création de licences "pluridisciplinaires permettant une spécialisation progressive".
Quatre scénarios possibles pour la CPU
Pas question, non plus, d'une année supplémentaire pour Lilâ Le Bas. "D'autant que ces étudiants viennent souvent des catégories les plus populaires et qu'une année en plus a un coût !" Idem pour Hervé Christofol : "Il faut proposer des pédagogies adaptées et différenciées selon les bacheliers. Nous n’avons pas de tabou sur ce sujet, sauf à imposer une année de remise à niveau à certains."
De son côté, la CPU imagine quatre scénarios possibles. "Soit l'étudiant n'a pas tous les prérequis et on lui propose une licence avec un rythme adapté, de quatre ans par exemple au lieu de trois. Soit il n'a pas du tout le bon bac et on lui propose une année zéro, de remise à niveau", liste François Germinet. Troisième option : la création de licences professionnalisantes "permettant d'acquérir un métier" au bout trois ans. "Enfin, on peut imaginer un travail sur la formation tout au long de la vie. Le jeune entre en entreprise et est suivi par le service de l'orientation de l'université, et son entrée dans l'enseignement supérieur est différée", détaille François Germinet. Des pistes de réflexion qui ne sont pas sans rappeler celles évoquées par Frédérique Vidal elle-même.
Un consensus possible ?
Autre point de crispation : le caractère national ou local des prérequis. Pour l'Unef et le Snesup, la solution doit être prise nationalement pour ne pas créer d’inégalités entre les territoires. Sur ce point également, les avis divergent. "Il faut cadrer sans pour autant tomber dans le tout national", juge Stéphane Leymarie. Le représentant de la fédération de parents d'élèves Peep, Samuel Cywie, le rejoint sur ce point : "On ne peut pas comparer la situation des universités en Île-de-France avec celles des autres régions", observe-t-il.
Pour la CPU, ces prérequis devront sans aucun doute être définis dans toutes les universités et surtout pour chaque licence. Pas uniquement celles en tension. "On le voit bien avec la création des pastilles vertes sur APB, le problème se reportera toujours sur une autre formation. C'est le système des vases communicants", relève François Germinet.
Dès lors, cette discussion peut-elle aboutir à un consensus ? "Tout le monde est prêt à faire un pas car la situation est devenue inacceptable", avance le président de l’université de Cergy-Pontoise. "Une majorité d'organisations peuvent s'entendre. On l'a vu sur le décret master où nous avons réussi à nous mettre d'accord pour ne pas laisser perdurer une situation injuste", rappelle Franck Loureiro. De son côté, Stéphane Leymarie se montre moins confiant. "Ce sera plus compliqué... Certaines organisations sont un peu plus échaudées aujourd'hui... Mais depuis quelques semaines, tout le monde parle de ce dossier et adhère au même objectif. Ce serait dangereux de ne pas avancer sous pretexte que l'on voit une sélection sèche derrière le terme de prérequis..."
Le ministère de l'Enseignement supérieur a réuni autour de la table, lundi 17 juillet, 25 organisations pour lancer la concertation sur l'entrée en premier cycle : lycéennes (Fidl, SGL...), étudiantes (Fage, Unef, UNI...), syndicales (Sgen-CFDT, Sup'Recherche-Unsa, SNPTES, FO, Snesup-FSU...), acteurs de l'enseignement supérieur (CPU, Cdefi, Curif...), représentants de parents d'élèves (Peep et FCPE) ainsi que le Medef.
Les échanges se poursuivent mardi 18 et mercredi 19 juillet dans le cadre de rencontres bilatérales. Une nouvelle réunion se tiendra la dernière semaine du mois d'août pour identifier les thèmes et constituer des groupes de travail qui se réuniront tout au long du mois de septembre. Objectif : lister des propositions en octobre pour "renouveler notre manière d’accueillir et d’accompagner les étudiants avant la rentrée 2018 et en finir ainsi avec le tirage au sort", martèle Frédérique Vidal.
Cette concertation démarre en parallèle d'une autre négociation au ministère de l'Éducation nationale sur la réforme du baccalauréat. Sur ce dossier connexe, le gouvernement souhaite entamer les discussions avec les syndicats à la rentrée 2017 pour une mise en place "complète" à la session 2021 de l'examen.