Doctorante en neurosciences, Mathilde Petton mène des recherches sur les "décrochages attentionnels", pendant lesquels notre concentration fluctue, ces moments de baisses d'attention dues à des distractions internes au cours desquels des pensées spontanées émergent.
Pour cela, elle étudie la réaction des différentes zones du cerveau, ces "petits pois" qui s'activent ou non, comme elle les décrit dans la présentation qu'elle a concoctée pour "Ma Thèse en 180 secondes". Lauréate de l'Université de Lyon, elle tentera de convaincre le jury de la finale nationale, le 31 mai, à Bordeaux.
Deux semaines plus tôt, la jeune femme de 29 ans nous recevait au laboratoire de l'Inserm où elle travaille, à Bron. Au sein du centre hospitalier Le Vinatier, celui-ci fait partie du centre de recherche en neurosciences de Lyon qui rassemble, depuis 2011, environ 350 membres répartis en 11 équipes de recherche.
9 heures : arrivée au labo et café bilan sur la finale lyonnaise de MT180
Mathilde s'engage dans les allées verdoyantes du centre hospitalier pour rejoindre le petit bâtiment qui abrite son équipe, "Dynamique cérébrale et cognition". "En général, raconte-t-elle, ma journée commence par un petit café avec Florian." Cet ingénieur travaille sur les programmes informatiques que la doctorante utilise dans sa thèse. D'autres étudiants partagent parfois ce moment : la petite cuisine aménagée dans le centre est également un espace informel d'échanges et de convivialité.
Ce matin, c'est son directeur de thèse, Jean-Philippe Lachaux, qui se joint à eux pour revenir sur la prestation de la doctorante à MT180. "Je fais partie du petit groupe de supporters de Mathilde", sourit-il, mettant en avant "l'esprit du labo : il y a un aspect village d'Astérix, reconnu et assumé !"
Au-delà de la plaisanterie, depuis le départ, le directeur de recherche a soutenu la doctorante dans sa démarche. "Participer à ce concours était pour moi l'occasion de parler de ce que je fais, de faire savoir que mon thème de recherche, le décrochage attentionnel, est en train d'être étudié", explique Mathilde, pour qui le plus difficile a été de "trouver le bon niveau de vulgarisation".
Avant de parvenir au texte présenté lors de la finale lyonnaise, elle a travaillé sur une dizaine de versions. "La première que tu m'as montrée était trop accessible", confirme Jean-Philippe. "Tu faisais un peu maîtresse de maternelle", se moque-t-il gentiment. Aujourd'hui, il est fier de la victoire locale de la doctorante, qui "donne aussi de la visibilité au laboratoire".
Si elle est stressée avant de monter sur scène, Mathilde dit "ne pas [se] mettre de pression : ce concours, c'est du bonus", estime-t-elle. L'essentiel reste sa thèse, qu'elle prévoit de soutenir en juin 2017.
Mathilde Petton avec son directeur de thèse, Jean-Philippe Lachaux, et Florian Sipp, l'un des ingénieurs du laboratoire. // © S.Blitman - mai 2016
10 heures : retour au travail de recherche
Après cette parenthèse sur MT180, Mathilde regagne le bureau qu'elle partage avec trois autres doctorants. Au total, ils sont une trentaine d'étudiants (doctorants, stagiaires de master et post-doctorants), dans l'équipe de recherche. "L'ambiance de ce labo est géniale, il y a vraiment de l'entraide, même si l'on ne travaille pas tous sur le même sujet !" insiste Mathilde, qui passe la majeure partie de son temps à l'hôpital du Vinatier où elle est employée en CDD, comme ingénieur d'études dans le service des épilepsies.
Munie de son gros chariot sur lequel elle pose des machines, un ordinateur et une manette comme celle des jeux vidéo, elle fait passer des tests à la soixantaine de patients qui ont des électrodes implantées dans le cerveau, de manière à analyser leurs réactions au niveau de la mémoire, du langage ou de l’attention.
"Cet aspect clinique est très intéressant et complémentaire à ma thèse", indique-t-elle. Son rôle consiste aussi à faire l’interface entre l’hôpital et d’autres chercheurs qui souhaiteraient mener des expériences sur les patients. Ceux-ci restent en général hospitalisés quelques jours, Mathilde adapte son emploi du temps en fonction de leur présence et de leur état de santé.
10 h 30 : coups de fil à l'hôpital et changement de programme
Afin de prendre des nouvelles de ses patients, Mathilde appelle l'hôpital. "Finalement, je n'y vais pas cette après-midi, annonce-t-elle en raccrochant. Un patient vient d’être désimplanté. Celui que je devais également visiter a fait une crise la nuit dernière. Je vais donc attendre avant de le rencontrer." Pas de problème : "Je suis habituée, il y a toujours des imprévus."
11 heures : organisation du "club intra" du lendemain
Après avoir trié quelques mails, Mathilde finalise l’organisation d’une réunion prévue le lendemain. "Je coordonne les ‘clubs intra’ qui ont lieu tous les mois, explique-t-elle. Lieux d'échange et de réflexion, ils rassemblent des chercheurs et des médecins qui travaillent avec la technique des électrodes intracérébrales, d’où leur nom."
Cette fois, deux étudiantes vont venir présenter leur sujet de thèse. Mathilde se charge de prévenir la quarantaine de personnes du club, et d’affiner avec les étudiantes ce qui est attendu d’elles. Un travail qui fait également partie de sa mission de doctorante.
Mathilde est amenée à travailler avec Florian sur des programmes informatiques. // © S.Blitman - mai 2016
12 h 30 : déjeuner au labo
En fin de matinée, Mathilde retrouve Florian et d’autres membres du labo pour déjeuner. La pluie les contraint à rester à l’intérieur, mais dès qu’il fait beau, ils aiment profiter du petit espace vert qui s’étend devant le centre et se lancer des défis au ping-pong. "Il n’y a pas de compétition entre les membres du centre, sauf autour de cette table !" sourit Mathilde.
13 h 30 : réglages sur un programme informatique en 3D
Après la pause déjeuner, la doctorante fait le point avec Adrien Gannerie, un autre ingénieur du centre, sur un programme informatique permettant de visualiser en 3D les résultats des tests passés par les patients épileptiques. "Le programme agglomère les informations de tous les patients sur un même cerveau, alors que, jusque-là, je devais 'tout faire à la main'. Cela me fera gagner un temps incroyable !" s’enthousiasme la jeune femme, qui teste le programme au fur et à mesure pour détecter les éventuels bugs.
Mathilde utilise un programme informatique en 3D mis au point par les ingénieurs du laboratoire, dont Adrien Gannerie. // © S.Blitman - mai 2016
14 h 30 : rédaction des comptes-rendus des tests réalisés sur les patients
Mathilde consacre le reste de l’après-midi à rédiger les comptes-rendus des tests pour les médecins. Concrètement, il faut anonymiser les fichiers, faire tourner un programme informatique analysant les données recueillies et produisant des genres de cartes montrant à quel moment les différentes régions du cerveau sont sollicitées lors de telle ou telle activité.
Mathilde élabore ensuite une synthèse pour chaque patient. "Les médecins se concentrent sur la dimension pathologique. Pour ma part, le bilan que je fais permet de renseigner sur la fonction des différentes régions du cerveau, explique-t-elle. Cela peut être intéressant si une chirurgie est envisagée."
19 heures : fin de la journée de travail
En fin de journée, la Bretonne regagne le centre de Lyon où elle vit, pour l'instant. Rien ne dit qu'elle restera là après sa thèse. Pour Mathilde, l'avenir reste ouvert, tant d'un point de vue géographique que sur le plan professionnel. La doctorante se laisse encore un peu de temps pour décider si elle se lance dans une carrière purement universitaire, ou bien si elle s'installe en tant que neuropsychologue. Une chose est sûre, néanmoins : elle n'abandonnera pas la recherche et ses petits pois.
- 2009-2010 : master 1 de psychologie cognitive et neuropsychologie (Lyon 2)
- 2010-2011 : stage à Montréal au centre d'évaluation neuropsychologique et d'orientation pédagogique, une coupure dans ses études qui la convainc de poursuivre en neuropsychologie
- 2011-2012 : master 2 en neuropsychologie et neurosciences cliniques (Lyon 2)
- 2012-2013 : master humanité et sciences humaines (Lyon 2) - titre de psychologue spécialisé en neuropsychologie
- 2013 : entame un doctorat en neurosciences (Lyon 1), tout en travaillant comme ingénieur d'étude dans le service des épilepsies de l'hôpital neurologique de Lyon, ce qui lui permet de financer sa thèse.