« Homo ou hétéro, nous constituons un beau couple ! » s'enthousiasme Axel Kahn, président de Paris 5, à l'adresse de Pierre Tapie, directeur général du groupe Essec. Nous sommes le 22 avril 2009, la scène se passe au CNIT, à la Défense, lieu de la conférence de presse. Les dirigeants de ces deux institutions sont réunis avec leurs responsables de formation pour présenter leur nouveau programme intégré, un double parcours « médecine-Essec ».
Masters, MBA, filières mixtes...
Pas une semaine ne se passe sans l'annonce d'un partenariat entre une université et une grande école. À l'instar de ce nouveau cursus pour happy few (seuls six étudiants sont sélectionnés), on peut citer les masters du secteur de la mode entre l'université d'Angers et l'Institut Marangoni, le MBA international commun à l'université de la Sorbonne-Nouvelle et à l'ESC Troyes, les masters bidiplômants entre l'université de technologie de Troyes (UTT) et l'EPF de Sceaux, ou encore les filières mixtes entre l'X et Paris 11, HEC et Sciences po Paris, Sciences po Paris et Paris 4 (voir encadrés ci-dessous)...
Ces quelques exemples sont loin de constituer une liste exhaustive... Et ces mariages ne sont pas tout à fait nouveaux : selon notre dernier recensement, on compte actuellement quelque cent trente masters (recherche ou professionnel) délivrés conjointement par une école (privée, consulaire) et une université.
LRU et PRES : accélérateurs de rapprochements
Pourquoi un tel engouement ? Les récentes réformes du paysage universitaire représentent un premier élément d'explication. Loi LRU, mise en place des PRES, les réformes politiques et le contexte institutionnel poussent et accompagnent ces rapprochements.
Les choses s'accélèrent un peu avec la création des PRES, convient Paul Jacquet, président de la CDEFI et directeur de l'INP Grenoble. La signature de ces pôles régionaux sont des signes forts de partenariat rapproché : les écoles d'ingénieurs veulent tenir toute leur place dans ce processus et ne pas être mises à l'écart. Mais ce rapprochement doit se faire autour de véritables projets communs comme les écoles doctorales ou les codiplômations, et pas seulement pour obtenir un effet de masse. »
Autonomie : des gouvernances plus marquées
« Avec la loi LRU, les universités sont en train d'acquérir une véritable existence institutionnelle, analyse de son côté Pierre Tapie. Le fait pour une université d'avoir une gouvernance forte nous rapproche au sein d'une même culture. Cette bonne stabilité des équipes permet plus facilement de travailler ensemble et de se projeter sur des partenariats à long terme. »
Pierre Tapie insiste d'ailleurs sur le fait qu'Axel Kahn n'est que le troisième président de Paris 5 qu'il ait fréquenté au cours de ses fonctions à l'Essec. Un signe, selon lui, de gouvernance rassurante. Et le directeur général de l'ESSEC, par ailleurs vice-président de la Conférence des grandes écoles, de vouloir clore le débat autour du traditionnel clivage dans le supérieur : « Dauphine ou Assas sont très comparables aux grandes écoles : comme nous, elles sélectionnent fortement leurs étudiants et proposent des formations de grande qualité. Dans bien des cas, la distinction universités-grandes écoles est obsolète. » La codiplômation était d'ailleurs l'une des dix recommandations du rapport de Christian Philip sur le rapprochement des deux systèmes, remis fin 2008 à Valérie Pécresse.
Des logiques de marque
Cela dit, le choix de la mariée ne se fait pas à la légère. Là encore, le rapport Philip insistait sur la nécessité de « politiques de marque fortes » entre université, écoles et organismes de recherche, essentielles pour « développer l'attractivité internationale ».
À cet égard, le rapprochement Essec-Paris 5 est emblématique de cette logique de réseau entre établissements à réputation comparable, débouchant sur de « beaux mariages ». Ces deux institutions ont déjà engagé des coopérations sur d'autres programmes (au sein de l'incubateur Paris Biotech et d'un mastère spécialisé en industries de la santé). Et l'Essec s'est également associée à Paris 2-Assas (doubles diplômes, coopération en matière de recherche).
Chasse aux accréditations et nécessité d'une recherche reconnue
En se rapprochant avec l'une des « Sorbonne », marque identifiée au-delà des frontières, l'ESC Troyes bénéficie également des retombées symboliques et médiatiques de l'institution. Cet accord de l'école consulaire avec Paris 3 et un troisième partenaire (l'université brésilienne, Universidade Federale do Rio Grande Do sul) porte sur un double diplôme MBA-master LEA.
« Nous n'avons pas d'autre choix que de nous rapprocher des universités, tranche Christian Henri, directeur des programmes de l'ESC troyenne. Pour obtenir les accréditations ou décrocher la masterisation, nous devons afficher de bonnes performances en recherche. Toutes les écoles de management tentent de recruter des enseignants-chercheurs ayant un rayonnement national ou international, avec des publications et une équipe de recherche. »
Alliances multiples
Dans cet exemple, la communication autour de ce double diplôme est essentiellement le fait de l'ESC Troyes, déjà partenaire par ailleurs de l'université de Reims (dans le cadre d'une école doctorale) et de l'université de technologie de Troyes.
« Ces doubles diplômes sont aussi avantageux pour nos étudiants qui peuvent ainsi acquérir une compétence très pointue que notre école ne pourrait pas leur offrir toute seule, poursuit Christian Henri. Par exemple, le programme en management du sport proposé à nos étudiants n'a pu s'élaborer qu'avec le partenariat avec l'UTT car c'est un domaine trop spécialisé pour notre établissement. Une dizaine d'étudiants se sont d'ailleurs spécialement inscrits chez nous pour suivre ce programme. »
Des cursus destinés aux happy few
Diversifier et enrichir l'offre de formations auprès des étudiants, profiter de l'expertise et des réseaux professionnels du partenaire font partie des arguments mis en avant dans ce type de coopération. Mais, au final, ces rapprochements semblent en priorité servir la stratégie d'établissements soucieux de renforcer leur image sur un marché de plus en plus concurrentiel et conscients de la nécessité de regrouper leurs forces. Les avantages pour les étudiants restent en revanche plus limités. Dans les faits, seuls une poignée d'entre eux bénéficieront de ces doubles diplômes, produits d'appel pour sélectionner une élite.
Institut Marangoni-université d'Angers : plus qu'une histoire de mode
L'Institut Marangoni et l'université d'Angers ont signé en 2009 un partenariat sur la mode. « Sans ce partenariat avec l'Institut Marangoni, notre établissement n'aurait jamais pu jouer aussi fortement la carte des formations en mode », reconnaît Jean-René Morice qui a suivi ce dossier pour le compte de l'université d'Angers (à travers son institut spécialisé IMIS-ESTHUA).
Le partenariat porte sur une délivrance commune de masters en management des métiers de la mode et de la création. Au départ, c'est l'institut italien spécialisé dans la mode (implanté à Milan, Londres et depuis deux ans à Paris) qui, recherchant un partenaire universitaire français pour pouvoir délivrer à ses étudiants un master, a sollicité l'université d'Angers.
Ce choix était justifié par l'existence dans cet établissement de plusieurs formations touchant aux secteurs de la mode et de l'art de vivre : master management international des arts de la France et licence professionnelle mode et haute technologie en partenariat avec le lycée de la mode à Cholet. L'université place ce partenariat - qui a nécessité plus d'un an de négociations - sous l'angle de la « mutualisation des réseaux et des moyens ».
« Pour l'université, l'avantage est de s'appuyer sur un partenaire avec une histoire, des compétences professionnelles et un réseau d'anciens, mais aussi sur un fort rayonnement international », indique Jean-René Morice.
Outre l'échange de professeurs et de compétences, l'accord stipule que l'Institut Marangoni s'engage à financer le prix de la formation de master 2 - délivrée dans les locaux parisiens de l'institut - à deux ou trois étudiants de l'université par le biais d'une bourse. Un investissement minime, au regard des soixante à quatre-vingts inscrits attendus à la rentrée 2009, mais qui, compte tenu du coût de la scolarité, semble convenir à l'université. « Si l'on considère nos frais d'inscription (434 €) et les leurs (12 800 €), nos établissements sont certes dans des logiques différentes, et cela a d'ailleurs donné lieu à des discussions en CEVU, concède Jean-René Morice. Mais nous avons travaillé pendant un an et demi à rédiger la convention entre les deux parties afin de ne pas donner un chèque en blanc. Par exemple, nous faisons une véritable sélection conjointe des candidats et refusons tous ceux qui n'ont pas le profil ou le diplôme requis. Et le projet a été voté à l'unanimité par le conseil d'administration. »
Double diplôme entre l’X et Paris-Sud 11 : une signature en grande pompe
L’instant se voulait solennel. L’Ecole polytechnique et l’université Paris-Sud 11 ont signé le 19 mai 2009 un accord de double diplôme, dans les salons du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en présence de Valérie Pécresse. Chacun des acteurs a insisté sur le caractère symbolique et exemplaire de ce nouveau « cursus intégré de très haut niveau ».
Dans un contexte politique mouvementé avec une contestation universitaire qui n’en finit pas, la ministre a souhaité saluer le franchissement de cette « ultime frontière » qui « s’inscrit pleinement dans l’action engagée par le gouvernement pour rapprocher universités et grandes écoles ». Une démarche qui entre aussi dans le cadre de l’opération campus du plateau de Saclay
Un cursus de licence renforcé
Mais de quoi s’agit-il réellement ? Les meilleurs étudiants de licence de l’université Paris Sud seront encouragés à passer le concours de l’Ecole polytechnique dédié aux diplômés universitaires. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils suivront des modules de formation complémentaire. « Nous nous appuierons sur nos magistères qui accueillent déjà nos meilleurs éléments à partir de la troisième année de licence », détaille Guy Couarraze, le président de l’université. Une fois à Polytechnique, les étudiants suivront les trois années du cursus puis ils reviendront à l’université pour une dernière année de master afin de recevoir les deux diplômes. Une vingtaine d’étudiants de Paris-Sud 11 devraient être concernés à terme.
Une prépa à l’université
Ce double diplôme répond à la volonté de l’Ecole polytechnique de diversifier ses recrutements. Dix places étaient jusqu’à présent réservées pour des diplômés universitaires français par le biais d’un concours spécifique mais l’Ecole peinait à le faire savoir. Ce nouvel accord permet donc à l’X de se doter d’ « une prépa au sein de l’université », selon les mots de Marion Guillou, la présidente du conseil d’administration de Polytechnique. Un concept qui pourrait s’étendre à d’autres établissements.
L’Ecole polytechnique et l’université Paris-Sud 11 ne souhaitent pas s’arrêter là. Après un double diplôme, neuf masters co-habilités et des projets de recherche commun, la création d’une filière pluridisciplinaire en mathématiques, physique et biologie est aujourd’hui à l’étude.
Sylvie Lecherbonnier
Paris 4 et Sciences po sur les plates-bandes des prépas
Paris 4-Sorbonne et Sciences po Paris ouvrent à la rentrée deux parcours de trois ans : sciences sociales-lettres et sciences sociales-philosophie. Soixante bacheliers de l'année seront sélectionnés sur dossier et entretien par des jurys mixtes aux deux institutions. La troisième année se passera à l'étranger, dans l'un de leurs établissements partenaires.
Ce cursus débouchera sur la licence de Paris 4 et sur un « diplôme maison » de Sciences po, ce dernier n'étant pas habilité actuellement à délivrer une licence. Les étudiants pourront ensuite intégrer un de leurs masters. « Nous cherchons à attirer de très bons candidats littéraires qui auraient envisagé de s'inscrire en classe prépa », conclut Nicolas Bauquet de Sciences po.