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Vers un grand chamboule-tout du service public d'orientation

Erwin Canard Publié le
Vers un grand chamboule-tout du service public d'orientation
Une réforme des antennes régionales de l'ONISEP et des CIO est en préparation // ©  Stephane AUDRAS/REA
Le gouvernement prévoit de transférer aux régions les délégations régionales de l'Onisep et d'affecter les psychologues de l'Éducation nationale dans les collèges et les lycées. Ce qui viderait les CIO de leur substance. Des projets qui suscitent l'inquiétude des acteurs de l'orientation. Ils y voient la fin d'une information nationale sur l'orientation et une place accrue laissée au privé.

C'est à tout le moins un changement de paradigme, mais peut-être bien une révolution. Le service public d'orientation s'apprête à prendre un virage inédit, bien que dans les tuyaux depuis longtemps : celui de la régionalisation. Deux réformes tendraient à aller dans cette direction, avec une application pour la rentrée 2019.

Le 6 avril 2018, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a présenté le projet de loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel", qui doit passer en Conseil des ministres le 27 avril. Il précise, dans son article 10, que "les missions exercées par les délégations régionales de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Dronisep) […] sont transférées aux régions".

Les Dronisep sont actuellement des organismes administratifs rattachés aux rectorats, chargés notamment de récolter l'information sur les formations et professions de leur territoire. Ces informations sont remontées à l'Onisep, qui fabrique alors une base de données nationale. Cette base permet ensuite de produire des documents envoyés aux élèves, aux parents, aux établissements.

Le projet de loi prévoit donc de confier aux régions les antennes régionales de l'Onisep (qui, lui, resterait sous tutelle des ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur). "L'objectif est de clarifier et recentrer les positions de chacun, au service des élèves, en fonction de son périmètre", explique le ministère.

Une information régionale plus que nationale ?

"L'information serait désormais propre à chaque région. Il y a un risque de créer des inégalités : la production des données se ferait au niveau de chaque région selon des critères, des objectifs et des principes propres à chacune", s'inquiète Bernard Desclaux, ancien directeur de CIO et blogueur EducPros. Le projet de réforme a entraîné une levée de boucliers des syndicats, comme le Sgen-CFDT ou FO, et d'acteurs concernés, qui revendiquent une information nationale sur l'orientation et la formation.

"Le risque est que les régions mettent en avant les formations en fonction des besoins locaux et valorisent certains types de formations aux dépens d'autres", s'inquiète Marie-Agnès Monnier, psychologue de l'Éducation nationale (psy-EN) et responsable du collectif des psy-EN au Snes-FSU. Serait-ce la fin d'une information nationale ? "C'est un point de vigilance", assure le ministère.

Une mission a d'ailleurs été confiée à Pascal Charvet, ancien directeur de l'Onisep, autour de "la complémentarité entre les régions, l'État et les différents organismes", selon le ministère, devant aboutir à une convention cadre entre l'État et les Régions, et dont les conclusions devraient être rendues fin 2018.

En outre, si la région est responsable de l’information dans les établissements, alors, prévoit Bernard Desclaux, "elle décide de qui intervient, et là la liste est très ouverte. Elle n’a pas les moyens elle-même de réaliser ces opérations et fera donc appel à des partenaires et des prestataires…" "Elles risquent alors de laisser le privé faire ce travail…", complète Marie-Agnès Monnier. "Finalement, c'est une vieille affaire : est-ce que l'on continue à fabriquer une information nationale publique ou est-ce qu'on laisse faire le privé, ce qui pourrait être la conséquence finale de tout cela ?", demande Bernard Desclaux.

L'association des délégués régionaux de l'Onisep s'inquiète également des conséquences de cette réforme. "On comprend mal comment le fait de séparer l’Onisep de ses délégations régionales ne va pas aboutir à affaiblir l’ensemble. C’est un peu comme si on séparait le tronc d’un arbre de ses 17 branches – les délégations régionales - et que l’on replantait les branches en espérant qu’elles repoussent", écrivent-ils dans un communiqué.

Autre conséquence : les quelque 300 personnels des Dronisep changeraient d'employeurs et deviendraient fonctionnaires territoriaux. Ils bénéficieraient toutefois d'un droit d'option de deux ans leur permettant de pouvoir rester fonctionnaires d'État.

La fin programmée des CIO ?

L'autre pan de la réforme de l'orientation qui serait en cours concerne les psy-EN et les CIO (centres d'information et d'orientation). Il y a près de 400 CIO en France, au sein desquels travaillent environ 3.700 psy-EN. Ces derniers, selon le décret en vigueur, sont actuellement affectés à un CIO, mais partagent leur temps entre celui-ci et un, deux ou trois établissements scolaires. Le ministère prévoit en effet d'affecter désormais les psy-EN directement aux établissements, ce qui pourrait avoir pour conséquence la fermeture des CIO.

Depuis la fin du mois de mars, les organisations syndicales sont reçues au ministère de l'Éducation nationale, notamment par la conseillère sociale, Isabelle Bourhis. "Cela fait très longtemps que l'idée de fermer les CIO et de rattacher les personnels aux établissements est là", souligne Bernard Desclaux. Un projet qui ne figure pas dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

On est dans une folie : tout un tas de personnes n'auraient plus d'interlocuteurs. (B. Desclaux)

Quid des missions des CIO ?

Les psy-EN ne seraient alors plus qu'uniquement en collèges ou lycées, au sein desquels "ils sont déjà à 75 % de leur temps, précise le ministère. Il s'agit de renforcer leur présence dans les établissements, pour mieux accompagner les élèves". Conséquence, si les CIO ferment, leurs missions seraient abandonnées. "Les CIO constituent un réseau de proximité apprécié des usagers", assure Claire Krepper, du SE-Unsa.

"C'est un lieu neutre qui permet à certaines familles qui ne souhaitent pas se rendre dans les établissements d'avoir accès à du conseil et de l'information. On reçoit aussi énormément d'élèves du privé puisqu'il n'y a pas de psy-EN dans ces établissements, et les familles n'ont pas toujours la possibilité de payer des services privés", ajoute Marie-Agnès Monnier.

Les CIO accueillent également – y compris hors temps scolaire – des décrocheurs, des étudiants, des parents, des jeunes demandeurs d'emploi, en somme, tous les publics non scolarisés dans les établissements scolaires. "En août, nous recevons tous les jours des jeunes non affectés ou des élèves néo-arrivants", poursuit la syndicaliste. Et de se demander : "Qui prendra en charge toutes ces personnes ?" "On est dans une folie : tout un tas de personnes n'auraient plus d'interlocuteurs", alerte Bernard Desclaux.

Les inquiétudes ne s'arrêtent pas là, car les missions des psy-EN dans les CIO vont au-delà de l'accueil et du conseil du public. "C'est un lieu de travail collectif, d'échanges. Puis, il y a toute une partie de suivi des politiques d'orientation, de mise en commun des directives nationales et académiques qui ne sera plus effectuée", explique Claire Krepper.

De l'avis des syndicats, les situations pourraient différer selon les régions et "certaines régions pourraient garder des CIO à certains endroits, à d'autres non… Cela risque de porter atteinte à l'égalité de traitement de l'information à l'orientation des jeunes sur tout le territoire", estime Marie-Agnès Monnier. Un paradoxe au moment où l'on préconise d'être davantage mobile.


Le CESE veut "transformer l'orientation"
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié, mercredi 11 avril 2018, ses recommandations "pour garantir les conditions d’un véritable accompagnement en matière d’orientation". Le CESE propose notamment de "déplacer le palier de l'orientation de la fin de la troisième à la fin de la seconde", de réduire le nombre d'intitulés de licences pour "poursuivre l'effort de lisibilité", de développer le mentorat des jeunes par des salariés, de réformer les algorithmes d'Affelnet et Parcoursup afin de "garantir leur compréhension par tous" ou encore de "développer les relations entre école et entreprises".

Erwin Canard | Publié le