Face aux universités américaines, leaders incontestés des rankings, les établissements français peinent à se distinguer, alors même que la production nationale en recherche se situe entre la 6e et la 7e place mondiale, selon un rapport de l'OST (Observatoire des sciences et des techniques) paru en 2012. En cause : le modèle anglo-saxon des classements inadapté au système français. "On ne joue pas à armes égales avec les grosses universités américaines qui ont les moyens d'embaucher des prix Nobel et qui publient dans ‘Nature’ et ‘Science’, fustige Frank Pacard, directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École polytechnique. Les classements mettent tout le monde dans le même sac."
Pas de stratégie dédiée
L'objectif premier des classements est d'aider les étudiants à choisir leur université à l'international. Mais contrairement aux établissements anglo-saxons et aux grandes écoles qui doivent se vendre pour justifier des droits d'inscription élevés, les universités françaises sont dans une approche d'attractivité différente. "La tentation d'attirer les meilleurs ne peut pas être satisfaite dans la mesure où on ne peut pas les sélectionner, argue Jacques Bittoun, président de Paris-Sud. Un classement est davantage un thermomètre facilitant les relations internationales et je me méfie énormément des politiques destinées aux classements : faire ce qu'il faut pour être bien classé. Cela reviendrait à ce que la personne en charge de la stratégie du classement fasse aussi la stratégie de l'établissement."
Si les institutions se défendent d'avoir une politique dédiée aux classements, elles les suivent cependant avec la plus grande attention. "On en tire tout de même un certain nombre d'informations car on a besoin d'avoir des références, de se situer par rapport à l'ensemble des universités", concède Jacques Bittoun.
L'intérêt à figurer dans un classement doit dépendre de la politique et du public visé.
(Ghislaine Filliatreau)
Un arsenal de données à fournir
Malgré les réticences, universités et écoles françaises répondent d'ailleurs, pour nombre d'entre elles, à l'ensemble des questionnaires envoyés par les producteurs de rankings dans le but de collecter les données déclaratives qu'ils ne trouvent pas dans les bases de données : effectifs, budget, etc. Au prix d'un travail parfois titanesque, en particulier pour les grandes écoles qui ont des enjeux marketing forts. "Cela demande énormément de temps de remplir les dossiers de manière précise, se lamente Frank Pacard. On doit récupérer des données brutes qu'il faut ensuite interpréter, car la définition d'un enseignant-chercheur n'est pas forcément la même pour Shanghai ou le ‘Times Higher Education’."
Une activité qui noie encore plus les écoles de management, qui font l'objet de classements spécifiques. "Nous recevons entre 15 et 20 questionnaire par année", détaille Bernard Ramanantsoa, directeur d'HEC. L'institution parisienne a dû embaucher deux personnes, l'une en charge des classements, l'autre des accréditations. "On répond à l'énorme majorité des questionnaires, mais face à leur complexification, on se demande si on ne va pas devoir faire des choix plus drastiques. Il n'y a pas deux questionnaires qui se ressemblent et quelquefois un même classement varie dans le temps."
À ce propos, la directrice de l'OST, Ghislaine Filliatreau, recommande d'opérer des choix stratégiques. "Les classements internationaux doivent être lus comme des outils de communication parmi d'autres. L'intérêt à figurer dans un classement doit donc dépendre de la politique et du public visé. Et il ne faut pas oublier qu'ils comportent tous des classements par discipline, sur lesquels il est possible de tirer son épingle du jeu."
Les Comue contre-attaquent
Pour que les établissements français puissent faire reconnaître leurs performances de formation et de recherche sur la scène internationale, une partie de la réponse se situe peut-être dans les stratégies de regroupement au sein de Comue, dans lesquelles les grandes écoles peuvent aussi trouver des partenariats féconds. Ces grands ensembles se rapprochant davantage du modèle américain de la "comprehensive university", à savoir une université de bonne taille, multidisciplinaire, associant formation et recherche.
Des simulations effectuées par l'OST en 2012 ont montré Paris-Saclay au 19e rang du classement de Shanghai. Ce qui n'a pas échappé à Bernard Ramanantsoa : "J'espère que Paris-Saclay va nous permettre de figurer dans ce classement, car, seule, HEC ne pourra pas y accéder."