Elles sortent peu à peu de la zone rouge. Les universités sont moins nombreuses à rencontrer une situation de déficit, a annoncé Geneviève Fioraso à la rentrée 2014. "À quel prix ?", interroge Jean-Luc Vayssière, le président de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), dont l’université a frôlé la cessation de paiements en 2013 avant de retrouver la route de l’équilibre.
"Les difficultés budgétaires poussent les universités à grappiller de l’argent partout où elles le peuvent, pour éviter l’espèce de honte d’être en déficit", résume Marc Neveu. Le cosecrétaire général du Snesup (Syndicat national de l’enseignement supérieur) alerte sur une situation de plus en plus intenable, alors que les effectifs étudiants sont toujours en hausse. Une déclaration syndicale qui fait écho aux propos d'un grand nombre d’universitaires : la baisse des déficits serait d'abord le symptôme de la multiplication des plans d’austérité dans les établissements.
Peu de fermetures de formations
À Versailles, Paris 1 ou encore Lille 2, on annonce clairement la couleur : des plans de réduction du coût de l’offre de formations d’environ 10% sont engagés. Même tendance à Montpellier 3 et au Havre.
"Certaines filières ferment, comme la licence de Staps à Versailles, alors que cette discipline est en grande tension", souligne William Martinet, président de l'Unef.
Dans la majorité des cas cependant, il n’y a pas eu fermeture "sèche" de filière. "Aucun pan de formation n’a fermé pour des raisons budgétaires, assure Hélène Pauliat, présidente de l’université de Limoges. Sauf si une filière manquait d’étudiants." Les seuils minimaux pour ouvrir une formation (en général 10 à 15 étudiants) ont été plus strictement appliqués dans les établissements.
"Nous avons seulement conservé les cursus rares lorsque nous sommes les seuls à les proposer", précise Philippe Boutry, à la tête de Paris 1, notamment à propos de l’histoire du monde byzantin. "Jusqu’ici, en faisant des économies de bouts de chandelle, rien n’a bougé, confirme Xavier Vandendriessche, président de Lille 2. Mais on tire le diable par la queue et cela a ses limites."
Nous avons un peu plus rempli nos groupes [de TD] mais de préférence le moins possible en première année.
(Sandrine Clavel - UVSQ)
des baisses du nombre d’options
"S’il n’y a pas encore de fermetures de formations, cela se déroule de manière déguisée, en diminuant les volumes horaires et le nombre d’options dans beaucoup de filières, affirme Marc Neveu (Snesup). Finalement, on offre des formations au rabais."
"La qualité de la formation n’a pas été touchée, mais, en effet, le panel de ce que nous proposons est plus limité", nuance le président de Lille 2.
"Ce sont les enseignements qui ne sont pas le 'cœur de métier' des formations qui ont été impactés, précise le président de l’université du Havre, Pascal Reghem. La formation à la recherche documentaire, les langues, les projets professionnels, des unités d’enseignement libres les plus souvent. L’étudiant a perdu la possibilité d’avoir une ouverture sur une autre discipline, au premier semestre de L1 en tout cas." Une tendance qui va à l’encontre de la volonté affichée par la secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur de favoriser une spécialisation plus progressive en premier cycle.
À l’inverse, plusieurs universités ont augmenté le nombre d’étudiants en TD. "Nous avons un peu plus rempli nos groupes, décrit la doyenne de la faculté de droit de l'UVSQ, Sandrine Clavel. En passant de 35 étudiants à 40. Mais de préférence le moins possible en première année."
"La baisse de l'encadrement est la pire des conséquences pour les étudiants, surtout en licence, déplore William Martinet (Unef). Des TD en petits groupes sont transformés en cours magistraux, du contrôle continu disparaît, le nombre d'heures des formations est réduit..."
Premier amphi des étudiants en licence 1 de droit à l'université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines //©C.Stromboni septembre2014
Mutualiser, mutualiser, mutualiser !
C’est surtout la mutualisation qui est le maître mot des économies des universités, via le regroupement des étudiants de différentes filières dans les options communes.
"Nous avons redimensionné l’offre en fonction de ce que nous sommes capables de faire, en mutualisant des parcours", explique la présidente de Limoges. "Par exemple, si deux masters avaient un cours de droit des obligations, on a pu les réunir, détaille la juriste Sandrine Clavel (UVSQ). Pour les étudiants, cela ne change pas grand-chose d’être 100 plutôt que 80, et on ne le fait que si c’est compatible avec l’enseignement. C’est juste un casse-tête chinois en termes d’organisation des emplois du temps pour nous."
Le numérique entre parfois en scène également, avec, par exemple, la mise en place de l’enseignement C2i (informatique) à distance, à Paris 1, pour des raisons d’économie.
Réduire les coûts de fonctionnement
Sur un ensemble de missions de fonctionnement, les universités tentent aussi de réduire la voilure : TVA, coûts d’affranchissement, contrats téléphoniques et autres marchés publics, covoiturage pour limiter les frais de déplacement, rationalisation des abonnements électroniques et papiers des bibliothèques…
"Nous limitons aussi les investissements au strict minimum, c'est-à-dire à la sécurité, confie le président de l’université du Havre, Pascal Reghem. Cette année, nous avons légèrement repris les achats de matériel pédagogique, mais nous avons deux ans de retard. Nous commençons donc à rencontrer des pannes et dysfonctionnements."
Geler les postes : la solution la plus répandue
Reste la véritable marge de manœuvre des universités : la masse salariale, qui représente plus de 80% des budgets. "Si nous sortons du déficit, c’est en grande partie en ne publiant pas les offres de postes", reconnaît le président de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une quinzaine d’emplois sont toujours 'rééchelonnés'" [dans le temps, c'est-à-dire gelés ndlr], précise le responsable. Au Havre, qui reprend des couleurs après d’importants déficits, c'est une cinquantaine de postes sur lesquels on n’embauche pas.
D’où une certaine discordance entre le discours du ministère, qui annonce créer 1.000 postes par an, et les faits, les universités ne créant pas une partie de ces postes pour conserver le soutien financier et éviter de se retrouver dans le rouge. À l’Upem (université Paris Est Marne-la-Vallée), c’est même l’IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche) qui recommande à l’université de geler la totalité des postes d’enseignants et d’administratifs, confie Marc Neveu (Snesup).
"Nous renonçons à des projets de formation, dont les besoins viennent pourtant du secteur économique, en logistique par exemple, s’énerve Pascal Reghem (Le Havre). Parce que nous n’avons pas d’enseignants à mettre en face des étudiants… On ne peut avoir d’ambition car on manque de bras !"
Les personnels croulent sous le travail
Le gel des postes a surtout une conséquence moins visible que les fermetures de formations : l'impact sur les personnels. "Les enseignants font de plus en plus d’heures complémentaires. Les vacataires ne peuvent boucher tous les trous. Du fait du manque de personnels administratifs, ils ont aussi de plus en plus de tâches administratives à remplir, comme la gestion des emplois du temps", relate la doyenne Sandrine Clavel (UVSQ).
Et d’ajouter : "Les charges pédagogiques, comme la gestion d'un diplôme, sont elles aussi réparties sur un nombre toujours plus réduit de personnes. Les personnels qui restent sont à bout de souffle", décrit la juriste, qui a dû fermer l’un de ses masters 2 en droit public, l’un de ses professeur étant en arrêt maladie. "C’est une fermeture temporaire mais, il y a quelques années, j’aurais pu trouver une solution, là personne ne peut prendre la relève. On est sur la corde raide et il n’est plus possible de gérer les 'accidents normaux', tels qu'un arrêt maladie, un congé maternité ou une mutation."
"Nos enseignants doivent aussi gérer les vacataires et les contractuels, puisqu’il y a de moins en moins de titulaires", fait remarquer Pascal Reghem.
TD à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Centre Tolbiac //©C.Stromboni octobre2013
Un avenir inquiétant
"Cette tension sur les capacités d’enseignement mais aussi la détérioration des conditions de recherche engendrent une grande lassitude, ajoute Philippe Boutry (Paris 1). De plus, la course aux appels d’offres demande une énergie invraisemblable par rapport aux résultats."
"C’est là le plus inquiétant, souligne le président du Havre. On se dirige vers une rupture au niveau des équipes de recherche : les 'anciens' vont partir, sans qu’on puisse les remplacer. On sera face un trou générationnel dans certaines spécialités, il n’y aura pas de passage de relais."
"Et lorsqu'on voit le budget 2015, il est clair que cela ne peut que s'aggraver, conclut William Martinet (Unef). Ce qui est totalement contradictoire avec l'objectif de réussite étudiante affiché par le ministère."
- La biographie EducPros de Philippe Boutry (Paris 1)
- La biographie EducPros de Pascal Reghem (Le Havre)
- La biographie EducPros d'Hélène Pauliat (Limoges)
- La biographie EducPros de Xavier Vandendriessche (Lille 2)
- La biographie EducPros de William Martinet (Unef)