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Écoles de commerce : l’Asie s’invite dans la danse

Laure de Charette, à Singapour Publié le
Écoles de commerce : l’Asie s’invite dans la danse
Le campus de CEIBS (China Europe International Business School) à Shanghai // DR // © 
Les business schools asiatiques montent en puissance d’année en année. Leur localisation géographique, le prestige du corps professoral, la qualité et la diversité des étudiants ou encore le coût limité des frais de scolarité contribuent à leur succès croissant. Les géants occidentaux ont désormais les yeux rivés vers l’Est : les écoles de commerce chinoises, indiennes, singapouriennes ont bien l’intention d’intégrer la cour des grands.

“La future Harvard sera en Asie !” Le Belge Arnoud de Meyer, président de la Singapore Management University, n’y va pas par quatre chemins : oui, les écoles de commerce qui fleurissent à l’est ont un potentiel immense. “D’ici quinze ans, une bonne dizaine de grandes écoles et d’universités devraient se distinguer sur le continent”, poursuit celui qui a été le premier doyen de l’INSEAD Singapour. Un enthousiasme que Hellmut Schütte, doyen de CEIBS (China Europe International Business School), nuance tout de même : “Les écoles de commerce à succès en Asie constituent encore une exception.” Soit.

EN BONNE PLACE DANS LE PELOTON

Mais elles peuvent se targuer d’avoir un niveau de plus en plus élevé. Sur les 100 écoles du classement 2013 du Financial Times, 14 sont situées en Asie-Pacifique, dont près de la moitié en Chine. Alors qu’il y a encore dix ans, le mot MBA n’évoquait pas grand-chose en Asie…
Outre l’INSEAD (dont le nouveau doyen vit pour la première fois sur le campus de Singapour, et non plus à Fontainebleau), l’université de Fudan à Shanghai, l’Indian Institute of Management à Ahmedabad et la Sungkyunkwan University à Séoul figurent en bonne place. Sans oublier les fleurons du “Top Asia Business Schools”, un groupe informel de jeunes écoles de commerce qui se sont rapprochées pour gagner en visibilité : CEIBS à Shanghai, l'Université des sciences et technologies de Hong Kong, l’Indian School of Business et Nanyang Business School à Singapour.

Il y a encore dix ans, le mot MBA n’évoquait pas grand-chose en Asie…

Étudiants et cadres sont de plus en plus nombreux à se tourner vers l’Orient. Ces cinq dernières années, les demandes d’inscription ont augmenté de 31 % à 325 % selon les écoles. En dix ans, le nombre de candidats européens à la CEIBS a même été multiplié par 65 !

Dans le top 10 des pays ayant reçu le plus de demandes d’admission en master et en MBA émanant d’étrangers en 2012, figurent l’Inde, Singapour et Hong Kong. À eux trois, ils collectent désormais 6,4 % des demandes (contre 4,4 % en 2008). Sans surprise, les établissements asiatiques ont ouvert grand les bras à ces étudiants internationaux (mieux, ils sont allés les recruter à la source, via des campagnes de communication ciblées et des salons). HKUST en accueille 93 % dans ses MBA et, à Nanyang, huit élèves sur dix ne sont pas Singapouriens. Une diversité qui participe évidemment du rayonnement de l’école.

Vue aérienne du campus de la Nanyang Business School à Singapour // DRVue aérienne du campus de la Nanyang Business School à Singapour // DR

L’OCCASION UNIQUE DE SE FORMER AU MONDE DES AFFAIRES ASIATIQUE

Côté candidats, comment expliquer un tel engouement ? “Il y a en Asie une demande très forte de bons managers, capables de prendre la tête de nouvelles entreprises en pleine croissance, explique Ravi Kumar, doyen de Nanyang. Des dirigeants formés à la culture locale, qui à la fois maîtrisent  le savoir-faire occidental et  comprennent comment fonctionne le monde des affaires en Inde ou en Chine. Voilà l’avantage unique que nos écoles offrent.”

Le dynamisme de la région joue aussi un rôle fondamental. “Depuis toujours, les pôles d’excellence en matière d’éducation suivent les grands centres économiques, souligne Arnoud de Meyer. De grandes universités ont éclos en Angleterre, en France et en Allemagne au moment de l’apogée de l’Europe, puis, durant la seconde moitié du XXe siècle, c’est aux États-Unis qu’elles ont gagné beaucoup de terrain. Il est donc logique que, aujourd’hui, les meilleurs établissements se multiplient en Asie puisque c’est là que la croissance économique y est la plus intense.”

à LA CONQUêTE DES MEILLEURS PROFS

L'afflux d'étudiants va de pair avec la montée en gamme de la qualité de l’enseignement (les matières sont à 75 % identiques à celles étudiées aux États-Unis ou en Europe). La plupart des doyens, des chefs de département et des enseignants ont officié dans de prestigieuses universités américaines et participent à des sommets internationaux, à l'instar d'Hellmut Schütte, présent au Forum économique de Davos 2013). Ils signent dans des publications renommées et conseillent multinationales et gouvernements. À Nanyang, on trouve ainsi le meilleur “business professor” de 2013 selon l’Economist Intelligence Unit.

“À CEIBS, précise quant à lui Hellmut Schütte, nous rémunérons nos professeurs à notre guise, notamment en fonction de leurs performances. Cela nous permet d’attirer les meilleurs !” L’école emploie même un chasseur de têtes chargé de repérer en Europe les enseignants de haut niveau susceptibles de mettre le cap sur la Chine.

Vous payez moitié moins cher pour un programme mieux classé (E. Lambert, Forbes)

Autre facteur déterminant de l’attractivité croissante des MBA asiatiques : leur faible coût. Comme le résume Emily Lambert, du magazine Forbes, “le MBA de l’université américaine de Duke est 20e [selon le classement 2011 du FT] et coûte 100.000 $, hors hébergement et livres. Alors que l’Indian School of Business coûte 45.750 $ tout inclus et est 13e. Vous payez moitié moins cher pour un programme mieux classé !” Dans le même ordre de grandeur, un cursus à CEIBS coûte 48.000 $, contre 106.000 $ à Harvard.

Or le salaire moyen d’un jeune diplômé d’une école de commerce d’Asie n’a rien à envier à celui offert à son homologue à l’ouest : 134.406 $ à l’ISB indienne, contre 136.563 $ pour un diplômé de Duke, selon Forbes.

Enfin, la notoriété croissante de certains anciens élèves joue aussi. Sur les bancs de CEIBS sont passés le tycoon chinois qui a voulu racheter un bout d’Islande, la présidente de Qunar, le plus gros voyagiste chinois en ligne, ou encore le maire de Chongqing, une des plus grandes villes du monde avec 33 millions d’habitants. Nanyang a notamment formé le P-DG de Singtel, l’entreprise de télécommunications numéro un à Singapour, et le ministre du Commerce de Singapour.

La Nanyang Business School de Singapour : le futur Hub de l'apprentissage (''Learning Hub'') qui doit être achevé en 2014 // DR
Nanyang Business School : le futur Hub de l apprentissage (''Learning Hub'' ) qui doit être achevé en 2014 // DR

OBJECTIF : ASSEOIR SA RéPUTATION

Reste que ces écoles ont de gros défis à relever : “Les mêmes qu’une entreprise comme le constructeur de PC Lenovo, estime Hellmut Schütte : offrir des services de qualité dans un contexte de croissance ultrarapide. Nous voulons par exemple laisser à nos enseignants du temps pour la recherche.” Autre difficulté : “Créer une marque prend du temps”, reconnaît Ravi Kumar. Après tout, Harvard a près de 400 ans et Cambridge plus de 800.

En fait, plutôt que concurrencer Harvard, une mission impossible dans un monde fortement occidentalisé, les dirigeants de ces établissements ont un autre rêve, plus oriental : “Que les écoles de commerce d’Asie produisent des concepts différents, qu’elles donnent au monde entier une nouvelle impulsion intellectuelle”, conclut, rêveur, Hellmut Schütte.

Laure de Charette, à Singapour | Publié le