"Disparités des moyens, différences des statuts, éparpillement des activités d'édition et de diffusion, fragilité des structures." C'est ainsi que l'Aedres (Association des éditeurs de la recherche et de l'enseignement supérieur) décrit le domaine "éclaté" de l'édition scientifique universitaire, dans un rapport remis au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en 2014.
Méconnues du grand public, les presses ou éditions universitaires sont pourtant 60 à 70 en France. Le plus souvent, elles existent sous statut associatif ou en tant que service commun de l'université. "La philosophie des presses a été dictée en 1984, dans la loi Savary, en donnant la mission aux universités de publier les résultats de leur recherche, dans des conditions plus favorables que l'édition privée", explique Jacqueline Hoareau-Dodinau, vice-présidente de l'Aedres, qui compte une quarantaine de membres.
Pourtant, à la différence des éditions reconnues d'Oxford, de Cambridge ou de Harvard, les éditions universitaires françaises sont restées plus confidentielles. "Le travail à l'égard du grand public a été fait en France par des éditeurs privés ou par les PUF (Presses universitaires de France), qui est également une coopérative privée", explique Cédric Michon, directeur des PUR, les Presses universitaires de Rennes. Historiquement tournées vers les sciences humaines, ces éditions issues de l'enseignement supérieur ont longtemps conservé l'image d'une presse réservée à un cercle restreint d'initiés.
Et s'il existe un réseau de presses universitaires qui entend essentiellement promouvoir la recherche produite par les chercheurs, certaines institutions ont l'intention aujourd'hui de s'ouvrir au grand public.
Casser l'image des "Presses de laboratoire"
C'est le cas d'une des dernières venues dans le paysage : UGA Éditions. Début 2016, l'université Grenoble-Alpes, fruit de la fusion des trois universités de la ville, relance des éditions universitaires. "Deux établissements – Grenoble 1 et Grenoble 3 – avaient une stratégie éditoriale, l'une en sciences exactes, et l'autre, à travers les collections Ellug, en littérature et sciences du langage, explique Daniel Lançon, directeur scientifique d'UGA Éditions. Au moment de la fusion, la question s'est posée de savoir quoi faire de ces deux pépites : soit on abandonnait complètement la stratégie éditoriale, soit on l'élargissait à des collections pluridisciplinaires nouvelles, impossibles à monter auparavant sans opérateur unique."
Grâce aux financements émanant de l'Idex décroché en janvier 2016, la structure d'édition, service commun de l'université, a recruté un infographiste et un commercial, en CDD, pour compléter l'équipe, qui compte aujourd'hui 15 personnes. Outre exister à l'international, les éditions veulent casser une image un peu désuète : "Nous ne voulons plus donner l'image des presses universitaires d'antan qui s'adressaient à très peu de lecteurs. Nous ne serons pas des presses de laboratoire, et fonctionneront aussi en open science pour nos périodiques", précise Daniel Lançon.
Nous ne voulons plus donner l'image des presses universitaires d'antan qui s'adressaient à très peu de lecteurs.
(D. Lançon)
Un objectif partagé par Cédric Michon, à Rennes. "La grande spécificité de l'édition universitaire française et des PUR est de projeter l'université dans la cité. La mission d'un universitaire n'est pas de s'adresser uniquement à ses collègues, à ses étudiants. C'est pourquoi nous ne publions pas de thèse brute : il y a toujours un travail de réécriture, pour rendre les textes plus accessibles."
Un tiers des publications des PUR émane des universités parties prenantes, et deux tiers de l'extérieur. Rattaché à l'université Rennes 2, le service des PUR regroupe 12 établissements du Grand Ouest, de Bretagne à Angers en passant par Nantes et La Rochelle. Orléans et Paris-Est Créteil complètent la liste. Premier éditeur scientifique institutionnel français, les PUR emploient 7 fonctionnaires et 13 contractuels, payés sur résultats commerciaux. Les éditions publient des collections notamment en histoire, littérature, géographie, philosophie, des manuels et des revues de recherche fondamentale. Les choix sont faits par un comité éditorial qui réunit tous les mois des représentants des universités.
Dans 2.500 librairies et 4.500 points de vente
Prenant souvent la forme d'un service commun, les presses ne peuvent légalement pas faire concurrence à l'édition privée, car elles bénéficient de ressources publiques. Elle ne peuvent donc que pallier une insuffisance du secteur privé. Une différence de taille avec l'édition scientifique américaine, qui ne connaît pas cette problématique de non-concurrence avec le privé, y compris dans la production de livres à vocation commerciale comme les manuels et les dictionnaires.
À Rennes 2, choix a été fait pour les PUR d'un statut exceptionnel dans le paysage de l'édition universitaire. Nées en 1984 sous un statut "traditionnel", les PUR ont pris la forme d'un SAIC (service des activités industrielles et commerciales) en 2004, composante universitaire commerciale dévolue à la valorisation de la recherche. Qu'apporte ce statut particulier ? "Nous générons de petites recettes commerciales qui font vivre la structure. Mais notre objectif n'est pas de faire de bénéfices, nous pouvons ainsi nous permettre de publier de la recherche difficile à vendre." Ce changement a été dicté également par l'évolution du paysage éditorial global. "Le marché du livre s'est rétréci. Il y a une érosion très forte des maisons d'éditions privées 'piliers' qui soutenaient un certain nombre d'ouvrages, de type biographies. Désormais, nous recevons ces manuscrits", constate Cédric Michon.
Chaque année, les PUR publient plus de 280 documents et sont présentes dans 2.500 librairies et 4.500 points de vente. "Pour Rennes 2, si cela ne rapporte rien en termes comptables, cela est bénéfique en termes d'images. De plus, c'est un service énorme rendu à la recherche française", conclut Cédric Michon.