Chaque année, près de 1.500 étudiants étrangers viennent étudier le persan à l'Institut Dehkhodâ. Dans cet établissement créé il y a 27 ans et rattaché à l'université de Téhéran, toutes les nationalités sont représentées. Mais, depuis quelques mois, le nombre de Français est en hausse : "En 2015, avant la signature de l'accord sur le nucléaire et en prenant en compte les difficultés d'obtention du visa, nous avions accueilli 65 Français sur toute l'année. En comparaison, nous avons déjà accueilli 25 Français en un mois", s'enthousiasme Azam NavVabi, responsable des étudiants au sein de l'Institut.
Si le nombre d'étudiants français en Iran augmente, le nombre d'Iraniens apprenant le français suit une croissance similaire, avec 40.000 apprenants et 800 enseignants dans tout le pays. Pour un cycle de formation de trois mois, le centre de langue française compte cette année 1.200 inscrits contre 900 il y a deux ans. Pourtant la France n'est que le neuvième pays d'accueil d'étudiants iraniens.
Pour Thierry Mandon, secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, l'objectif de sa visite en Iran, du 11 au 12 décembre 2016, est d'augmenter l'attractivité de l'enseignement supérieur français mais aussi et surtout de renforcer les échanges de coopération entre établissements et de développer de nouveaux programmes de recherche.
L'accord nucléaire, une impulsion
Si les relations culturelles et universitaires entre la France et l'Iran n'ont jamais réellement été coupées, l'accord de Vienne sur le nucléaire, signé en juillet 2015, a clairement changé la donne. Le texte, signé par les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France et l'Union européenne, acte la limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins dix ans et lève les sanctions contre l'Iran.
Le retour de la République islamique sur la scène internationale a ainsi permis le rétablissement des relations diplomatiques. En quelques mois, les promesses de collaborations entre universités françaises et iraniennes et les échanges entre professeurs se sont multipliés. "Du côté français il y a clairement plus d'intérêt, les professeurs émettent plus de propositions pour organiser des conférences, il y a plus de groupes qui viennent", affirme Esfandiar Esfandi, professeur assistant à la faculté des langues étrangères de l'université de Téhéran.
L'heure est désormais à la concrétisation des échanges. Cette année, l'université de Téhéran accueille cinq étudiants de Science Po Lyon venus passer un an en Iran dans le cadre d'un accord entre les deux établissements. De même, un accord a été signé en février 2016 entre l'École polytechnique et l'université de Sharif à Téhéran.
"Ce sont des accords généraux que nous enrichissons actuellement avec nos partenaires", concède Frank Pacard, directeur de l'enseignement et de la recherche à Polytechnique. Pour ce dernier, l'objectif principal est de lier les communautés scientifiques. Dans cette optique, une conférence en mathématiques appliquées est prévue pour l'année 2017 et Polytechnique organise de nouveau le concours d'entrée en cycle ingénieur polytechnicien en Iran, interrompu depuis 2006. Enfin, un programme doctoral a également été remis en place cette année.
Thierry Mandon l'affirme, la stratégie de l'enseignement supérieur français vis-à-vis de l'Iran est d'intensifier les coopérations dans des domaines d'excellence tels que les mathématiques et la médecine et de soutenir les projets communs dans les domaines de l'environnement, le développement durable, la géologie et la biodiversité.
Le pays a besoin de personnes rompues à travailler avec des groupes internationaux.
(J. Oubéchou)
les entreprises, attirées par la double culture
L'enjeu est de taille, alors que les entreprises européennes, et notamment françaises, cherchent à pénétrer le marché iranien. La connaissance des deux pays est un atout pour les étudiants, à faire valoir auprès de futurs employeurs. Le projet de création d'une filière francophone en droit des affaires, au sein de l'université Shahid Beheshti de Téhéran, va dans ce sens. L'AUF (Agence universitaire de la francophonie), dont fait déjà partie l'université de Téhéran, dote ainsi l'établissement de livres de droit.
L'objectif : faciliter la formation de jeunes juristes iraniens francophones, qui pourraient intéresser les entreprises françaises implantées en Iran. "Le pays a besoin de personnes rompues à travailler avec des groupes internationaux", affirme Jamel Oubéchou, conseiller de coopération et d'action culturelle à l'ambassade de France en Iran.
le financement des projets en question
Toutefois, les acteurs du secteur nuancent l'enthousiasme en pointant une limite, celle du financement des projets. "Nous attendons de l'État français qu'il mette des moyens. La France a compris qu'elle avait un intérêt à développer de nouveau ses relations avec l'Iran. L'important maintenant, c'est qu'elle ne se laisse pas dépasser", insiste Armel de La Bourdonnaye, vice-président de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles française d'ingénieurs) et directeur de l'École nationale des ponts et chaussées, qui accompagne Thierry Mandon. Il faut dire que la concurrence est rude : les autres pays européens, tels que l'Allemagne, sont aussi dans les starting-blocks.
Pourtant, selon Jamel Oubéchou, le budget en matière d'actions culturelles avec l'Iran a été augmenté. En 2015, l'ambassade de France a ainsi organisé, en collaboration avec l'Université Shahid Beheshti et l'AILLF (Association iranienne de langue et littérature françaises), le premier forum international sur l'enseignement du français en Iran. Près de 1.000 personnes ont répondu présentes au rendez-vous.
En termes de coopération scientifique, le programme Gundishapur, crée en 2005, soutient la mobilité entre chercheurs. Un outil qu'Armel de La Bourdonnaye souhaiterait voir se développer : "La question est de savoir combien de bourses sont proposées par ce programme. Je pense qu'il faudrait l'amplifier", plaide-t-il.
"Les enjeux sont énormes et on ne peut pas seulement regarder du côté des crédits publics", prévient cependant Jamel Oubéchou. Le regard se tourne donc vers les entreprises qui, en proposant des bourses, comme le fait par exemple Total, ou en finançant des formations, pourraient faire un investissement de long terme. Une solution qu'Armel de La Bourdonnaye considère outefois comme n'ayant pas le même pouvoir d'attraction, car elle manque de visibilité a priori.
Thierry Mandon préfère tempérer : "Il me semble que les financements que nous avons à ce stade peuvent absorber les projets de coopérations. Ce qu'il faut surtout, maintenant, c'est les lancer."