Alors que la loi Fioraso votée à l'été 2013 prévoit de favoriser l'accueil des bacheliers technologiques en IUT, peu nombreux sont les recteurs qui s’aventurent à imposer un pourcentage minimum. Il faut dire que face à des directeurs d’instituts placés sous l’autorité des présidents d’université, les représentants du ministre peinent à imposer leur volonté. Alors, plutôt que de seuil, on parle de cap et d'objectifs.
Des ambitions variables d’une académie à l’autre
À Strasbourg, le recteur, qui vise 30 % de bacheliers techno admis en IUT d’ici 2016 (contre 25 % actuellement), a fixé un pourcentage indicatif pour chacun des établissements de l’académie. "L’idée est de sensibiliser les directeurs de ces instituts à la question et non de chercher à leur imposer quoique ce soit", explique Emmanuel Percq, le CSAIO (chef du service académique d'information et d'orientation) alascien.
À Nantes, après un long travail de sensibilisation et la signature d’une convention visant à rapprocher les lycées techno des IUT, chaque conseil des six instituts que compte l’académie s’est donné un objectif chiffré pour la rentrée 2014 "qui va jusqu’à 40 % de bacheliers techno pour l’IUT d’Angers, contre 25 % en moyenne ailleurs", se félicite le CSAIO Xavier Vinet. Même démarche à Créteil. "Nous souhaitons que les IUT accueillent davantage de bacs techno (32 % des admis en 2013). Pour cela, nous leur demandons, dans le cadre d’une convention, de s’engager à travailler de concert avec les lycées. Cette convention engagera les présidents d’université” prévient Mehdi Cherfi, CSAIO du rectorat cristollien.
À Lyon, où moins d’un étudiant d’IUT sur quatre est issu de la voie technologique, le discours se veut davantage volontariste : "Cette année, on parle d’objectifs vers lesquels les IUT doivent tendre. Mais si l’an prochain, on ne constate pas d’évolutions satisfaisantes, on mettra en place des mesures plus coercitives", affirme Patrick Desprez, à la tête du SIAO lyonnais – sans toutefois préciser lesquelles [NDLR du 19.05.2014 : le rectorat revient sur le terme "coercitives", préférant parler "d'autres mesures"]. Même tonalité du côté de Caen : "Ce n’est pas parce que le recteur ne peut pas fixer d’autorité des objectifs qu’il ne sera pas attentif à la manière dont les IUT vont s’ouvrir aux bacheliers techno", précise le CSAIO Martial Salvi.
En 2013, moins de 20 % des bacheliers techno ont demandé un IUT en premier vœu sur le portail APB
Manque de candidats
Mais au-delà des quotas se pose la question de la demande. Or, d’aucuns s’accordent à reconnaître que les bacheliers techno ne se bousculent pas aux portes des IUT. "Auxquels ils ont tendance à préférer les STS (sections de techniciens supérieurs)", constate André Eyssautier, secrétaire général de l’académie de Versailles.
Pour preuve, en 2013, moins de 20 % des bacheliers techno ont demandé un IUT en premier vœu sur le portail APB (Admission-postbac) au niveau national. Conclusion : "On réserve des places pour ces élèves, et elles ne sont pas prises", regrette Eric Dupuy, CSAIO de l’académie de Toulouse. Pour pallier ce déficit de candidatures, un travail de sensibilisation auprès des lycéens de la série technologique a été entrepris dans la plupart des académies. L’objectif ? "Leur donner envie d’être plus ambitieux, martèle Eric Dupuy. Les bacheliers techno pensent qu’ils ne sont pas bien armés pour suivre en IUT, c’est faux."
Pour les persuader du contraire, les rectorats multiplient les initiatives : opération "tentez l’IUT" à Toulouse, mise en réseaux des IUT et des lycées en Ile-de-France et à Nantes… Le principe est simple : les enseignants de terminale techno sont invités à se rendre dans les IUT, et réciproquement. "L’idée est de convaincre ces professeurs que les IUT sont à la portée de leurs élèves", explique André Eyssautier.
Des universitaires sur la réserve
S’il est vrai que les bacheliers techno ne se bousculent pas aux portes des IUT, du côté de ces derniers, on ne voit pas nécessairement l’arrivée de ce public avec beaucoup d’enthousiasme. À en croire Guillaume Bordry, président de l’ADIUT (Association des directeurs d’IUT), cela n’a rien d’étonnant : "Les enseignants sont très attachés au principe de sélection. Plutôt que de parler de 'quota', il aurait été beaucoup plus adroit de sensibiliser les équipes à l’idée de former un public diversifié en leur donnant les moyens de le faire par des cours complémentaires ou des stages de remise à niveau".
En creux, la crainte de ne pas parvenir à "gérer" un groupe d'élèves hétérogène, voire de niveau trop faible. "On nous demande de faire réussir des étudiants peu préparés à la poursuite d’études en IUT, cela a un coût : en temps et en capacité d’innovation réelle des équipes pédagogiques", s’inquiète Marc César, enseignant à l’IUT de Bobigny.
On nous demande de faire réussir des étudiants peu préparés à la poursuite d’études en IUT, cela a un coût (M. César)
Un bac rénové
Cette frilosité des universitaires à recruter des bacheliers technologiques apparaît d’autant moins "compréhensible" aux yeux des enseignants de ces séries que les référentiels ont été rénovés en vue de mieux coller aux attentes des IUT. "Le nouveau bac STMG est nettement plus exigeant que ne l’était le bac STG", affirme Christine Crillou, professeur de droit en terminale à Rennes.
Côté IUT, les programmes ont également été revus : moins de cours magistraux et plus de TP. "Ils sont mieux adaptés à l’accueil de ces nouveaux publics", concède Guillaume Bordry de l'ADIUT. Pour Mehdi Cherfi, CSAIO de Créteil, "la réserve de certains enseignants d’IUT à recruter des bacheliers techno provient surtout d’une méconnaissance de ces nouveaux bacs. Il faut donc que professeurs de lycées et universitaires se rencontrent".
Et il y a urgence. À défaut d'entrer en IUT, les bacheliers techno sont aujourd'hui nombreux à postuler en STS (près de 38 % des admis à la rentrée 2012). Sections dans lesquelles les bacheliers professionnels sont désormais prioritaires.