Au sol, des lignes jaunes, rouges, vertes, dépassent des tapis. En arrière-plan, un mur d’escalade. La grande halle du Suaps (service universitaire des activités physiques et sportives) où les étudiants nantais déambulent à l’occasion des "Têtes de l’emploi", le 3 décembre 2015, offre une belle métaphore sportive du passage de la fac au monde professionnel.
Ce forum de recrutement "Stage-Emploi", qui intervient au cœur de la "semaine Université-Entreprises", constitue le moment fort de la politique de l’université nantaise en faveur de l’insertion professionnelle de ses 38.000 étudiants. Une cinquantaine d’entreprises, installées le long des travées, sont venues avec 500 stages et offres d'emplois. Des queues d’étudiants et de diplômés, CV à la main, se forment devant les stands, dans une ambiance studieuse. Pour beaucoup, c'est le premier contact avec un recruteur.
De la difficulté d'attirer les étudiants
Romane, 21 ans, en master 1 LEA (Langues étrangères appliquées), est à la recherche d’un stage en communication pour son deuxième semestre. "On a la pression pour trouver un stage, confie la jeune fille. Mais il n'y a pas trop de directives à l’université, nous sommes très libres… Ce salon est une bonne occasion pour rencontrer beaucoup d’entreprises en même temps."
À la sortie, l’étudiante est plutôt satisfaite. "Je m’attendais à des entretiens de recrutement, là, c’était plutôt des discussions informelles, précise-t-elle. Mais je suis passée à l’espace 'Candidats', où l’on m’a donné des conseils pour me présenter aux recruteurs. C’était bien. Maintenant, je comprends mieux ce que 'travailler dans la com' veut dire."
Si l’utilité d’un tel forum peut sembler évidente, la principale difficulté reste pourtant de faire venir les étudiants ! "C’est à s’arracher les cheveux", sourit Patricia Thibaud, en charge du volet Insertion professionnelle au sein du SUIO (Service commun universitaire d'information et d'orientation). 1.300 étudiants, issus de toutes les filières de l’établissement pluridisciplinaire, sont passés sur le salon durant la journée. "Mais nous serions ravis d’en accueillir le double, sachant que nous avons déjà 7.000 étudiants en master", poursuit la responsable.
Des entreprises en recherche de profils universitaires
Faire venir les entreprises constitue un défi moins ardu. Environ un tiers des cinquante entreprises présentes sont des 'habituées' du forum, les deux autres tiers changent chaque année. Un chiffre stable pour cette cinquième édition.
L’image de la fac et de ses diplômés semble avoir bien évolué auprès des recruteurs. "L’université s’ouvre de plus en plus à l’entreprise", juge Thierry Dupau, consultant en recrutement chez Orange. Le grand groupe de télécoms participe pour la première fois au forum. "Il y a ici des profils que nous trouvons rarement, comme ces diplômés en sociologie que j’ai rencontrés ce matin. Nous avons justement deux stages pour lesquels nous recherchons ces parcours", détaille-t-il.
La responsable RH de PassionFroid, distributeur de produits frais et surgelés, est venue au forum avec offres de stages et d'emploi, mais aussi pour repérer des profils intéressants sur le long terme.
"C’est impératif d’être sur un forum universitaire, estime Maud Souchet, responsable des ressources humaines chez PassionFroid (groupe Pomona - 11.000 salariés), présente pour la troisième année sur l’événement. Nous avons besoin de nous faire connaître et d’avoir accès aux compétences des diplômés de l'université."
La responsable RH se déplace également sur des salons de recrutement plus généralistes ou d’écoles de commerce, comme celui d’Audencia, à quelques encablures. "C’est impossible de faire des généralités, mais on peut dire que, souvent, les diplômés de l’université ont peut-être une vision plus théorique du monde du travail que d'autres. En revanche, ils ont une plus forte autonomie", jauge-t-elle.
Parler différemment aux entreprises
La fac nantaise a de son côté largement évolué dans sa manière de s’adresser aux responsables des ressources humaines. Les deux membres de l’équipe du SUIO (Service commun universitaire d'information et d'orientation), qui s’attellent à les contacter plusieurs mois avant le forum, ne présentent plus l'offre de formation de manière traditionnelle.
"Les entreprises n’y comprenaient rien, sourit la directrice du SUIO et de l’insertion professionnelle, Anne Reboud. Aujourd’hui, nous leur détaillons directement la liste des compétences qu’elles vont trouver en venant sur ce forum, en partant des fonctions qu’exercent nos diplômés."
Nos étudiants ont de sacrés profils, mais ils ont une grande tendance à l’autodépréciation (P.Thibaud - SUIO)
Un continuum d’actions
Ce rendez-vous n'est que le point d’orgue d’un continuum d’actions tout au long de l’année, pour préparer les étudiants au monde du travail. Au total, 10.000 étudiants sont touchés par des ateliers du SUIO - très nombreux durant les deux mois précédant le forum -, des rencontres avec des conseillers insertion, des demi-journées thématiques... L’université vient également de se lancer sur la plateforme "Career center" de JobTeaser, qui donne accès à des offres d’emploi et de stage, jusqu’ici utilisée principalement par des écoles.
Outre l'accueil des étudiants en demande d'informations sur le monde professionnel, le SUIO de Nantes touche 10.000 étudiants via des ateliers tout au long de l'année et des séminaires pour les jeunes diplômés.
"Et même après le diplôme, nous poursuivons notre accompagnement", explique Patricia Thibaud. Huit séminaires "Jeunes diplômés" d’une semaine ont lieu, entre septembre et janvier. "Cela permet de ne pas laisser nos diplômés seuls face à la recherche d’emploi", décrit la responsable.
Un coaching qui vise aussi à redonner confiance en soi. "Nos étudiants ont de sacrés profils, mais ils ont une grande tendance à l’autodépréciation, c'est incroyable, souligne-t-elle. On entend 'j’ai juste fait la fac', alors qu’ils ont de supers CV. Ils n’ont pas conscience de leurs compétences, ils ne voient pas tout ce qu’ils peuvent valoriser. Nous sommes là pour leur tendre le miroir."
L’insertion pro, mission intégrée par l’université
Le profil de l’équipe de SUIO - 20 personnes au total - n’est pas étranger au développement de cette stratégie de longue haleine. "La majorité d'entre nous ne vient pas de l’université : nous avons quasiment tous une expérience dans l’accompagnement de demandeurs d’emplois ou dans le recrutement dans le privé ou hors de la fac", décrit sa directrice, Anne Reboud.
C'est aussi le sentiment d'être soutenue par la présidence de l'université qui paraît fondamental à la responsable : le service a pu s’étoffer de quatre postes, ces cinq dernières années.
Ce qui n’était pas gagné d’avance. L’insertion professionnelle ne fait pas partie des missions historiques de l’université, elle n’a été ajoutée qu’en 2007 avec la loi LRU et elle n'est pas forcément considérée comme le cœur de métier des facs.
"Notre mission est aujourd'hui bien perçue par les enseignants, décrit Patricia Thibaud. Quand je sollicite les responsables de masters, sur les enquêtes 'insertion' par exemple, j’ai une avalanche de mails en retour que je n’avais pas avant. Nous sommes invités dans les conseils de perfectionnement des formations, on est sollicité par les composantes... Nous comprenons très bien que les enseignants ne puissent pas s'en charger, ce n'est pas leur métier et ils ne peuvent pas tout faire. D'où notre place : on se vit comme des prestataires de services."
Les chiffres de l'insertion professionnelle ne reflètent en revanche pas cette montée en puissance des actions du service. "Nous avons toujours une bonne insertion, stable d'après la dernière enquête, décrit la directrice, Anne Reboud. Mais nous n'avons de toutes façons pas le recul suffisant - la dernière enquête porte sur les diplômés 2012 - et il ne faut pas oublier l'importance de la conjoncture."
Pour la responsable, l'écart entre écoles et universités qui persiste tient surtout au manque de confiance des diplômés. D'où le combat du SUIO pour toucher le plus grand nombre d'étudiants possible.
Les chiffres de l'enquête "Insertion professionnelle" publiée le 16 décembre 2015