Ils ne s'appellent pas Hachette, Nathan, L'Harmattan ou PUF... mais leur souci est bien de pénétrer le système éducatif français. À l'instar des éditeurs de livres, les éditeurs de logiciels redoublent d'ingéniosité pour être référencés par les enseignants et surtout utilisés par les étudiants.
Il y a encore vingt ans, ils étaient attachés à développer un produit et une technologie... Avec l'avènement du cloud, qui permet de s'abonner à un logiciel et non plus de l'acheter, les éditeurs se sont placés dans une logique où l'expérience utilisateur est devenue reine. Les géants du numérique ont donc tout intérêt à sensibiliser au plus tôt les futurs professionnels quant à la "qualité" de leurs produits.
Délivrance de licences gratuites
Depuis la rentrée 2014, l'éditeur américain Autodesk, spécialisé dans la modélisation 3D pour les entreprises du bâtiment et du génie civil, a rendu une bonne partie de ses solutions gratuite pour les IUT et les écoles d'ingénieurs. "Cela représente 680 millions d'étudiants dans le monde. En France, nous avons évalué l'investissement annuel à plus de 68 millions d'euros", explique Emmanuel di Giacomo, chargé des relations avec le monde académique pour Autodesk.
À l'instar des éditeurs de livres, les éditeurs comme Autodesk travaillent à la création d'exercices et de fiches d'utilisateurs destinés aux enseignants et à leurs étudiants. "Je fais un travail de pédagogie tant au niveau des enseignants que des académies. Il s'agit évidemment de présenter nos solutions mais aussi d'évoquer notre secteur", poursuit Emmanuel di Giacomo tout en soulignant que "certains intervenants professionnels qui enseignent dans ces formations sont eux-mêmes utilisateurs de nos solutions et constituent à ce titre des ambassadeurs".
le système d'abonnement se généralise
Lorsqu'ils ne sont pas gratuits, les logiciels sont proposés "à des tarifs très préférentiels quand les étudiants sont les utilisateurs finaux. C'est une réalité que l'on observe d'autant plus depuis le développement des logiciels SaaS [ou cloud] qui, par le système d'usage par abonnement, permet de passer outre l'avis de la direction des systèmes d'information des établissements", note Hugues Ponchaut, responsable des systèmes d'information à l'Amue (Agence de mutualisation des universités et établissements d'enseignement supérieur ou de recherche).
Dans cette perspective Dassault Systèmes ne pratique pas non plus la gratuité car "ce qui est gratuit n'a pas de valeur et n'est pas un gage d'usage", avance Thierry Collet, vice-président de Dassault Systèmes, chargé des relations académiques. "C'est ainsi que nous pouvons affirmer qu'aujourd'hui 104 millions d'étudiants au sein d'environ 40.000 écoles dans le monde utilisent nos solutions", poursuit-il.
Pour parvenir à ses fins, le groupe français a mis au point une stratégie mondiale de production de contenus pour l'enseignement supérieur et de différenciation en termes d'offre vis-à-vis des établissements.
"Contrairement aux logiciels, ces cours sont gratuits. Nous permettons aussi aux enseignants de créer leur propre contenu dans un espace placé dans le cloud avec la possibilité pour les étudiants de travailler sur des projets multidisciplinaires et interétablissements dans une logique d'innovation pédagogique", précise Thierry Collet.
Une stratégie d'affichage et de notoriété
À l'inverse, le géant américain Oracle affirme par la voix de son DRH Europe, Pierre Farouz, qu'il "ne travaille pas sur une diffusion de ses produits comme cheval de Troie pour réussir à pénétrer ce marché".
Ainsi, le spécialiste des bases de données fonctionne davantage sur le mode du partenariat – sans don d'argent –, comme c'est le cas avec Grenoble École de management. Oracle parraine un mastère big data de cette école. "Évidemment, on y parle d'Oracle mais c'est d'abord parce que nous avons des équipes de R&D qui se trouvent à Grenoble que nous intervenons", avance Pierre Farouz, qui, par ailleurs, soutient des interventions à Montpellier Business School dans le cadre de l'alternance et de l'apprentissage.
don de matériels
Voilà quelques semaines, l'École supérieure de génie informatique (Esgi) a annoncé un partenariat avec Avaya. Ce spécialiste des télécommunications d'entreprise n'avait pas encore de partenariat académique en France. Ce sera donc chose faite à la rentrée prochaine avec le don de matériels informatiques à l'Esgi, qui transformera ainsi une salle de cours en "laboratoire cloud computing".
"Ce partenariat avec l'Esgi permet de former des étudiants aux technologies d'Avaya et de faciliter leur insertion en leur proposant des opportunités d'embauche chez nous ou chez l'un de nos partenaires. Les étudiants profitent des technologies Avaya et nous bénéficions en échange de futurs ingénieurs informaticiens répondant à nos besoins", justifie Erwan Salmon, directeur général d'Avaya France.
du prérecrutement
Chez SAS, le plus gros éditeur de logiciels américain non coté en Bourse, l'enseignement supérieur n'est pas pris à la légère. D'autant moins que son président Jim Goodnight, qui a fondé l'entreprise spécialisée dans l'analyse de données statistiques en 1976, est lui-même issu des rangs universitaires. Au-delà de logiciels et de supports de cours qu'elle met gratuitement à disposition du monde académique depuis de nombreuses années, SAS propose aux étudiants une certification attestant de la bonne maîtrise de ses outils. Chaque année une centaine d'étudiants français sont ainsi certifiés et intègrent un fichier que SAS met à disposition d'entreprises partenaires ou clientes en vue de les recruter. Une démarche également mise en place par Dassault Systèmes et Avaya.
Un partenariat fort avec l'université d'Orléans permet à nombre d'étudiants du master d'économétrie et statistique appliquée d'être ainsi référencés. "Au moment de la réforme LMD, nous avons fait le choix de nous spécialiser sur un logiciel. Nous avons choisi celui-ci car il était, et reste à ce jour, leader mondial sur ce secteur", explique Sébastien Ringuedé, maître de conférences en économie. Quid du risque de se trouver pieds et poings avec cet éditeur ? L'enseignant-chercheur répond : "On s'en fiche ! Notre baromètre, c'est que les étudiants trouvent un travail enrichissant en sortie d'études."