Alors que les écoles d'ingénieurs et les entreprises souhaitent intégrer plus de femmes, leur nombre au sein des formations scientifiques ne décolle pas. Environ un quart des élèves inscrits aujourd'hui dans une école d'ingénieurs sont des étudiantes. Et, depuis les années 2000, la proportion de filles ne gagne qu'entre 0,5 et 3% par année. Une progression fragile, même si ce chiffre global masque des réalités bien différentes entre des écoles de mécanique (qui rassemblent moins de 20% de filles), des écoles de chimie (qui en comptent entre 50 et 60%) et les écoles d'agronomie (qui affichent des taux supérieurs à 65%).
À la recherche des ingénieurEs
Que cela soit pour leur image, les obligations de parité dans leur direction, ou encore leur efficacité, les entreprises sont donc à la recherche de mixité dans leurs équipes. "30% des employés d'IBM France sont des femmes, elles représentent 25% de l'effectif de nos managers mais nous manquons encore cruellement de candidates, nous leur portons donc une attention toute particulière pendant le recrutement et, à compétences égales, elles ont de grandes chances d'être choisies", admet Jean-Louis Carvès, responsable de projet diversité de l'entreprise.
Face à ces attentes, "le processus de changement dans les écoles prend du temps, car le phénomène est culturel", analyse Charlotte Giuria, chargée de mission communication, formation et société au sein de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs).
"Notre école a diplômé pour la première fois une femme en 1976, le campus était alors entièrement pensé pour des hommes (installations sanitaires...), il a fallu faire des aménagements, ce qui n'est pas évident pour les écoles centenaires", souligne Didier Desplanche, directeur général de l'ECAM Lyon.
Centrale Paris délivre une bourse à certaines de ses élèves, pour financer leurs études // ©CentraleParis
un champ d'action limité
Sites Internet, concours, bourses, conférences, interventions dans les établissements du secondaire... Les écoles d'ingénieurs ont un champ d'action limité, car l'orientation des jeunes filles se décide au lycée, voire au collège. En dehors des actions de sensibilisation qu'elles mènent sur ce public, elles peuvent également essayer d'agir sur les spécialisations de leurs étudiantes. Mais, "une fois en école d'ingénieurs, elles sont déjà orientées vers une voie bien définie, que ce soit l'informatique ou la chimie", souligne Charlotte Giuria.
L'action qui semble la plus efficace reste le marrainage. "Je crois beaucoup à la force des témoignages et à cet engagement personnel de rôle modèle", a déclaré la ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, le 9 octobre 2014.
"Mettre en relation des jeunes et des femmes en activité permet de les plonger dans la réalité du métier et de répondre à leurs questions", explique Charlotte Giuria. Encore faut-il frapper à la bonne porte. "Nous avions fait du marrainage dans des lycées proches, dans l'Essonne, mais nous avons décidé d'arrêter car les jeunes filles n'étaient pas forcément intéressées par les métiers scientifiques, nos interventions n'étaient pas assez ciblées", regrette Aude Durand, élève en troisième année à Polytechnique. Elle participe à l'association étudiante X au féminin, qui organisera fin janvier une journée pour faire venir des lycéennes sur leur campus.
mutualiser pour plus d'efficacité
Pour Alexandrine Urbain, directrice de la communication à Centrale Paris, "le rôle de modèle n'est pas suffisant, car ce sont souvent des personnes trop éloignées des inquiétudes des jeunes, les rencontres entre étudiantes et lycéennes ont plus d'impact". Depuis 2007, l'école multiplie les initiatives de sensibilisation, mais "chaque année les compteurs sont remis à zéro, nos actions sont noyées comme une goutte d'eau dans l'océan, il faudrait agir à plusieurs pour avoir plus de portée", admet Alexandrine Urbain.
"Avec l'ensemble des acteurs de l'université Paris-Saclay, nous avons fait le choix d'agir ensemble dans les lycées, pour être plus efficaces et en visiter davantage, mais aussi pour éviter de se contenter de prêcher seulement pour sa paroisse lors des interventions", justifie Alice Fiorina, responsable du pôle diversité et réussite de l'X. "Les écoles d'ingénieurs se sont mises récemment à agir pour la mixité, il est encore trop tôt pour établir un diagnostic, mais étant donné les capacités dont elles disposent, elles gagneraient à mutualiser leurs actions", conseille Claudine Schmuck, l'auteure de l'étude des Mutationnelles.
Il faudrait déployer une communication nationale sur le sujet, marteler un discours comme ce qui est fait pour la sécurité routière.
(Didier Desplanche - ECAM Lyon)
Déployer une communication nationale
Très peu d'écoles ont aujourd'hui un budget dédié à la parité. "À Polytechnique, ce sera le cas pour 2015, nous comptons lever des fonds via notre fondation mais aussi recevoir des financements d'entreprises. Jusqu'alors, la question de la parité était diluée dans l'ensemble de nos projets, même si nous avons déjà un service spécifique dédié et ne nous contentons pas d'un service de communication", explique Alice Fiorina.
Quant à l'Epita, son budget 2013-2014 consacré à la mixité était de 200.000 €. Elle a été récompensée en 2014 par les Ingenieuses'14 de la Cdefi, pour le Trophée de l’école la plus impliquée pour l’accès des femmes aux métiers du numérique. "Le principal souci pour la portée de nos actions, comme par exemple nos portes ouvertes accompagnées, c'est que nous avons le sentiment de toucher seulement les jeunes filles déjà sensibilisées, les autres restent imperméables", constate Joël Courtois, directeur général de l'Epita.
Ce travail à petite échelle a pour l'instant peu d'effets et les écoles regrettent que peu de mesures soient prises au niveau national. "Le problème doit être pris en charge plus tôt, il faudrait que des cours de programmation, de code, soient mis en place dès la sixième pour que les jeunes filles puissent voir si cela leur plaît", préconise Joël Courtois. Pour Didier Desplanche, "il faudrait déployer une communication nationale sur le sujet, marteler un discours comme ce qui est fait pour la sécurité routière".
Les actions des universités restent pour leur part limitées, malgré la signature de chartes visant à œuvrer pour la mixité. "Le mentorat est trop difficile à mettre en œuvre à l'université, par manque de financement, on peut seulement l'envisager dans certaines filières, mais en aucun cas le généraliser", constate Philippe Liotard, chargé de mission pour l'Égalité entre les femmes et les hommes à l'université Lyon 1.
Seul enseignant-chercheur chargé du dossier, il n'est même pas détaché pour cette mission. "Nous n'avons pas les mêmes moyens que les écoles d'ingénieurs", conclut-il amèrement.