Une formation universitaire en prise directe avec les entreprises locales, un encadrement et une pédagogie assurés par des enseignants-chercheurs et des recruteurs, une large place donnée à la pratique... Le cocktail qui fait le succès de la licence professionnelle est bien connu.
Ce cursus se décline aujourd'hui sur plus de 2.200 spécialités avec 48.000 diplômés en 2012 et un taux d'emploi à trois ans qui flirte avec les 90%. La licence pro fait ainsi figure d'élève modèle dans le paysage de l'enseignement supérieur. Et pourtant, quelques défis s'imposent aujourd'hui à ce diplôme à bac+3 inauguré en 1999. Pour garder sa spécificité et son efficience à l'heure de la réforme attendue du premier cycle universitaire.
Une offre à adapter
Premier défi : maîtriser l'offre de formations. "Nous devons éclaircir le paysage, estime Bernard Lickel, directeur de l'IUT Robert Schuman d'Illkirch et président de l'association régionale des IUT d'Alsace. Un grand nombre de licences professionnelles ont été créées dans la même spécialité avec des effectifs faibles et un spectre étroit de métiers. A Strasbourg nous avons fait le choix de nous limiter à deux licences pros par domaine, avec une trentaine d'étudiants par formation avec des diplômes à spectre large."
L'heure est donc à la rationalisation avec pour premier critère : la qualité de l'insertion. "C'est déterminant pour maintenir ou non une licence pro", souligne Marie-Agnès Peraldi-Frati, maître de conférence en informatique à l'IUT de Nice Sofia Antipolis. Par exemple, faute de débouchés suffisants cet IUT a abandonné l'an passé la spécialité 'imagerie et jeux vidéos' au profit de l'option 'développement d'applications multimédias' en forte croissance avec l'essor des tablettes numériques. Aussi, dans le contexte actuel de réduction budgétaire, une licence pro n'est souvent ouverte que si elle est autofinancée par la taxe d'apprentissage et la région.
Des diplômes simplifiés pour être plus visibles
Chaque année, environ 5% des licences pros sont modifiées à travers les processus d'habilitation. "Il s'en crée toujours plus qu'il n'en disparaît", note Gérard Mary, président de la commission nationale d'expertise des licences professionnelles, qui estime que quelques secteurs d'activités restent à couvrir, notamment dans les énergies renouvelables, l'aide aux personnes, le tourisme ou encore les métiers de l'animation. "Mais les niches de spécialités sont aujourd'hui assez rares et les besoins y sont, par définition, assez vite comblés", souligne à son tour Gilles Raby, président du comité de suivi de la licence générale et professionnelle. D'où une tendance très nette à voir des licences pros qui couvrent des activités plus larges, moins hyperspécialisées.
"Cette tendance à moins d'hyperspécialisation accompagne l'évolution actuelle des métiers et des besoins des entreprises, souligne Gérard Mary. Et c'est ce qui fait la force de ce diplôme à bac+3 par rapport au bac+2 : une ouverture d'esprit, une capacité à évoluer, à s'adapter." Responsable de la licence pro commerce à l'université Paris-Sorbonne, Evelyne Girard en atteste dans son domaine : "C'est la formation commerciale très transversale de nos diplômés que les entreprises apprécient, notamment les PME, c'est-à-dire du commercial back et du front office, mais aussi du juridique, de la gestion, du marketing, etc". Conséquence de cette moindre spécialisation, les licences pros n'échappent pas à cette nécessité "d'être simplifiées et plus visibles" comme le note Denis Poulain, directeur du CFA de l'UPMC.
Pas assez d'étudiants issus de L2
Deuxième défi : la diversification des recrutements. A leur création, les licences professionnelles étaient censées "favoriser une mixité", c'est-à-dire des étudiants de L2, de L3 ou en reprises d'études en plus des diplômés à bac+2. Treize ans plus tard, cet objectif n'est pas atteint. Plus des trois quarts des inscrits en licences pros viennent d'un BTS ou d'un DUT. Les L2 représentent moins de 10% des effectifs. "Ces étudiants ne viennent pas car même s'ils sont parvenus à valider, avec difficulté, leur L2, ils sont le plus souvent tentés de finir leur licence générale pour poursuivre en master", constate Gérard Marty. Quant aux étudiants en échec dès la première année, la licence professionnelle ne peut rien pour eux.
"Nous sommes ouverts à tous les profils d'étudiants mais les candidats ne sont pas assez nombreux à se présenter", regrette Bernard Lickel. Dans les spécialités industrielles, les licences pros souffrent d'un problème d'image et, en commerce, elles sont en concurrence avec les écoles de management qui recrutent à bac+2. De la concurrence certes, mais pour Gérard Mary les universités ont aussi leur part des responsabilités vis-à-vis des étudiants de deuxième année de licence générale. "La licence professionnelle devrait plus clairement apparaître comme l'une des continuations normales de la licence générale", plaide ainsi le président de la commission d'expertise des licences professionnelles. Un message qui fait écho à la réforme en cours du premier cycle.
La licence professionnelle devrait plus clairement apparaître comme l'une des continuations normales de la licence générale (Gérard Mary)
Le piège de la poursuite d'études
Mais si la licence peine à diversifier ses recrutements c'est aussi parce que, par essence, ce diplôme n'attire pas les étudiants qui souhaitent poursuivre au-delà du bac+3. Et là, les responsables de licences sont pris entre deux impératifs contradictoires que résume Bernard Lickel : "Le paradoxe est que pour éviter les étudiants tentés de poursuivre nous évitons les trop bons dossiers". Car la poursuite d'études, c'est un peu l'angoisse du responsable de licence pro et la limiter, le troisième défi à relever. Car ce phénomène prend de l'ampleur. "Soit parce qu'ils retrouvent une appétence aux études, soit parce qu'ils veulent reculer leur entrée dans le monde du travail, on voit de plus en plus des étudiants sont tentés de poursuivre", témoigne Evelyne Girard, à l'université Paris Sorbonne. Plus de la moitié de ses diplômés de licence pro commerce poursuivent au-delà du bac+3. En moyenne, toutes spécialités confondues, environ 20% des diplômés de licences professionnelles poursuivent leurs études.
Officiellement, rien ne l'interdit. Le diplôme de licence professionnelle donne droit à intégrer un master. Sauf qu'il n'a pas été conçu et que les responsables de ces diplômes sont très clairement incités à limiter les vocations. "Un élève qui a réellement un potentiel ne sera pas empêché de poursuivre ses études mais nous veillons à prévenir les étudiants à l'entrée", note Denis Poulain, directeur du CFA de l'UPMC. "Le risque est qu'à avoir trop de poursuites d'études, une licence perde son habilitation", précise Denis Poulain.
Si la menace est prise au sérieux, elle n'a jamais été mise à exécution. Mais ce point est surveillé de près. "Il faut faire attention à ne pas faire avec les licences pros ce qui a été fait avec les DUT qui, dans la plupart des cas, sont aujourd'hui des diplômes de poursuites d'études", estime Gilles Raby. L'enjeu est clair : si les licences professionnelles se "généralisent" à l'heure où les licences générales se professionnalisent, il y aurait un risque de télescopage... Un risque écarté tant que les licences pros misent sur la carte du métier.
Selon l'enquête Céreq Génération 2007, trois ans après l'obtention de leur diplôme, 88% des diplômés d'une licence professionnelle occupaient un emploi, 78% d'entre eux étaient en CDI (contrat à durée indéterminée), avec 19% de cadres et 59% de professions intermédiaires. Aussi, par rapport aux diplômés bac+2, cette année supplémentaire semble clairement profitable à l'embauche en termes de responsabilités et de revenus ! Le salaire mensuel médian à l'issue d'une licence pro est de 1.620 euros nets par mois, un niveau supérieur à celui des bac+2 (+120 € par rapport aux DUT, et +220 € par rapport aux BTS).
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