"Vous voilà à bord d'un vaisseau spatial. Votre mission : améliorer le climat d'entente général. Pour ce faire, vous devez arpenter les couloirs bleus et entrer dans les différentes salles pour résoudre les problèmes des passagers. Oups, vous avez réveillé les bébés qui faisaient la sieste, la puéricultrice ne va pas apprécier..."
Le serious game "Odyssée" aide les étudiants en carrières sociales et en psychologie à se mettre en situation. "Cela les amène à comprendre les conflits qu'il peut y avoir entre les différents corps de métiers du secteur, pour apprendre à travailler en équipe. Ils sont très enthousiastes, car ils attendent plus de concret dans leur formation, leur stage arrivant tard dans leur cursus", détaille Judith Vari, l'enseignante-chercheuse responsable du projet.
500.000 euros ATTRIBUÉS AUX projets 2015
Ce serious game est l'un des projets qui a été financé par le BQE (Bonus qualité enseignement) numérique de l'université de Rouen. Ce fonds universitaire a été orienté "numérique" en 2013, une volonté du président de l'université, Cafer Özkul. Il servait auparavant à financer du matériel pédagogique.
Désormais, les projets retenus doivent soutenir "des actions d’innovation pédagogique impliquant le recours aux technologies de l’information et de la communication, dans la perspective d’améliorer l’acquisition et l’évaluation des connaissances et, plus généralement, de favoriser la réussite des étudiants". Le renouvellement d'imprimantes ne rentre ainsi plus dans le cadre du BQE, tandis que l'acquisition de tablettes pour permettre de créer des vidéos, si.
"Le BQE numérique a été créé à la fois pour encourager le petit nombre d'enseignants pionniers investis sur ces projets mais aussi pour encourager les autres à s'y mettre", souligne Tony Gheereart, le vice-président en charge du numérique de l'université. Le premier appel à projets, en 2014, a permis le financement de 9 propositions, dont la moitié concernait l'acquisition de matériel.
Le BQE numérique a été créé à la fois pour encourager le petit nombre d'enseignants pionniers investis sur ces projets mais aussi pour encourager les autres à s'y mettre.
(T. Gheereart)
En 2015, 31 projets ont été validés. Le budget d'"Odyssée" était de 20.000 euros pour 2014, puis de 17.000 euros la deuxième année, le jeu étant amélioré. Entre 2014 et 2015, l'enveloppe du BQE numérique est passée de 150.000 euros à 500.000 euros. Un comité de pilotage validé en CFVU (Commission formation et vie universitaire), décide des projets retenus.
"À l'heure d'Internet et de Wikipédia, il faut réfléchir à d'autres manières de faire cours", martèle Tony Gheereart. Serious game, quiz en ligne, vidéos... et même des drones pour les géographes ! Tous les formats sont utilisés, même s'il y a quelques réticences sur les Mooc. "Nous préférons les serious game. Le buzz des Mooc est actuellement en plein reflux aux États-Unis, où les universités connaissent d'importants taux de décrochage, car il y a moins de contacts entre les élèves et les enseignants", justifie le vice-président. Un Mooc consacré aux écritures numériques ouvrira cependant prochainement.
La table anatomique tactile permet de couper, de voir les nerfs ou encore de s'entraîner à faire une piqûre au bon endroit. // © Delphine Dauvergne
Le BQE numérique a également permis des investissements matériels : salles de visioconférences, tablettes, logiciels de montage vidéo... Une table de dissection anatomique virtuelle a aussi été acquise à 100.000 euros, dans le cadre cette fois-ci de l'Idefi-Remis (Initiative d'excellence en formations innovantes – Réseau des écoles de management et d'ingénierie de la santé). Unique en France, elle permet sur un écran tactile de visualiser le corps humain sous tous ses angles, avec notamment la possibilité d'isoler des organes pour les observer de plus près. Un outil qui permet aux étudiants de mieux s'entraîner.
Des étudiants qui réussissent MIEUX
La pédagogie numérique est aussi utilisée pour l'évaluation. Dans une salle informatique, une vingtaine d'étudiants en L1 biologie se concentrent sur leurs écrans. Chacun est en train de répondre à un quiz différent, dont les questions ont déjà été abordées sur d'autres questionnaires en ligne les semaines précédentes, à l'exception d'une question. Camille sort ravie de cette évaluation, qui comptera pour sa note en contrôle continu.
"Avoir un test en ligne pour chaque chapitre de biochimie m'oblige à réviser régulièrement et cela nous incite également à travailler en groupe pour trouver certaines réponses qui ne sont pas détaillées", indique-t-elle. Hadrien est du même avis : "Jouer avec les molécules en 3D sur l'écran dans des QCM permet de faire travailler notre mémoire, même si nous sommes limités à trois essais par test."
Les étudiants en L1 biologie répondent à des QCM sur les molécules. // © Delphine Dauvergne
Élodie Rivet, enseignante-chercheuse en biochimie, a constaté qu'elle a en classe "un meilleur taux de présence que l'année dernière, preuve que la plateforme ne remplace pas les cours". Si elle salue le fait de "mettre beaucoup moins de temps à corriger des copies", elle admet que ce système d'évaluation a ses limites.
"Nous ne pouvons pas leur proposer sur la plateforme des devoirs exigeant de la rédaction, car cela prendrait trop de temps à corriger. Pourtant, il est important que les étudiants sachent rédiger un discours scientifique, sans fautes de grammaire", regrette-t-elle. Elle a d'autres idées en tête pour la suite : "faire des petits concours de vidéos en TP, des vidéos d'utilisation du matériel de laboratoire..." Mais ces projets demandent du temps.
Un début de reconnaissance pour les enseignants
Le développement des projets est freiné par l'investissement en temps que demandent ces nouvelles méthodes. "Nous passons deux à cinq fois plus de temps à préparer nos cours avec le numérique", relève Bruno Gugi, enseignant-chercheur en biologie. 20.000 euros ont été alloués par le BQE numérique pour financer les heures passées à créer les QCM en biologie. "Notre travail commence seulement à être reconnu. Beaucoup d'enseignants-chercheurs y sont hostiles, car leur implication dans ces activités chronophages n'est pas récompensée dans la suite de leur carrière", insiste-t-il.
Autre réticence, "certains enseignants-chercheurs ne veulent pas toucher au numérique, car ils considèrent que c'est de la technique et pas de la pédagogie", remarque Vincent Roy, enseignant-chercheur en neurosciences. Depuis une dizaine d'années, il met son cours et des outils de révision sur son blog et a participé activement au développement de la plateforme Moodle de l'université, intégrée en 2009.
"Par le biais de la plateforme nous pouvons voir ce qui n'a pas été compris, car les étudiants n'osent pas, notamment lorsqu'ils sont nombreux, poser des questions. L'étape suivante serait de travailler en pédagogie inversée, mais pas en L1, car cela demande de la maturité", déclare Vincent Roy.
Certains enseignants-chercheurs ne veulent pas toucher au numérique, car ils considèrent que c'est de la technique et pas de la pédagogie. (V. Roy)
Pour former l'ensemble des professeurs, des formations aux Tice (technologies de l'information et de la communication appliquées à l'enseignement) ont été mises en place ainsi que le service aux usagers du numérique (SUN), en 2014. "Nous sommes dans l'incitation, nous n'imposons rien. La prochaine étape pour reconnaître le travail des enseignants, sera d'inclure ces heures dans la plaquette de formation", annonce Sabine Ménage, vice-présidente chargée de la Commission de la formation et de la vie universitaire.
Une orientation qui porte ses fruits. Encouragés à l'innovation, certains enseignants-chercheurs arrivent à faire de leurs projets pédagogiques numériques des objets de recherche. C'est le cas de Judith Vari, enseignante-chercheuse en sciences de l'éducation, qui travaille sur de nouvelles formes pédagogiques, et qui est invitée à parler de son serious game dans des colloques. Mais cela reste marginal.
Ma vie d'étudiante en psychologie à Rouen