Comment un professeur peut-il rebondir face à des remarques complotistes, négationnistes ou de concurrence des mémoires?
La première des conditions, c'est justement de ne pas confondre tous ces cas de figure, il y a parfois tout simplement une envie de comprendre, avec des objections qui ont du sens. Existe-t-il un complot juif international? Évidemment non. Mais on peut aussi faire la part des apparences trompeuses et il ne sert à rien de nier qu'il y a un jeu politique et médiatique contemporain, qui fait la part belle aux pratiques des lobbys, juif ou autres.
De ce point de vue, les enseignants ne sont plus démunis comme il y a 15 ans face à des remarques incongrues. Ils s'attendent à des remarques apparemment malveillantes ou revendicatives, et peuvent faire face aux incidents sans les sous-évaluer ni les monter en épingle, en distinguant les cas. Ils sont les mieux placés pour apprécier l'innocence d'une question, et c'est souvent le cas.
S'agissant du fond de commerce de Dieudonné, la concurrence des victimes, "l'envie" et le ressentiment à l'égard des juifs, l'hostilité à l'égard d'Israël, certaines remarques ne sont pas forcément illégitimes, elles peuvent être reformulées et traitées de façon raisonnable et constructive. Même si elles sont portées par l'émotion, l'enseignant peut élaborer les contestations.
Le vrai problème, c'est le temps. La lourdeur des programmes et la pression des épreuves sont tellement étouffantes qu'on finit par ne plus prendre le temps de discuter en profondeur de ce qui importe.
Les enseignants ne sont plus démunis comme il y a 15 ans face à des remarques incongrues
Comment expliquez-vous qu'un événement historique comme la Shoah prenne une telle place dans les commentaires et soit si régulièrement remis en question? Le sujet est à la fois très discuté et très sensible.
Pour comprendre la place prise par la mémoire de la Shoah dans nos controverses sur l'éducation, il faut revenir sur ce qu'a été l'enseignement de la morale et du civisme dans l'école et son évolution depuis l'après-guerre.
Jusqu'aux années 1960-1970, les cours de morale et de civisme transmettaient des règles de sociabilité quotidienne, ce qu'on appelle la civilité (céder sa place aux personnes âgées dans le bus...), des règles fondamentales de la morale humaniste (ne pas tuer, respecter la dignité des personnes...) et civiques (voter). Le système des valeurs s'articulait à une transmission d'histoire axiale. Il s'agissait de poursuivre dans l'esprit de la Révolution française.
Les choses se sont délitées au tournant des années 1960, sans que cela ait été ni voulu ni réfléchi. La transmission de la morale et du civisme est tombée en déshérence et n'a pu, depuis, être vraiment remise en place, malgré de nombreuses tentatives instables et peu convaincantes.