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Arnaud Martin (AUF) : "Gouverner un établissement d'enseignement supérieur suppose d’être à la fois un manager et un politique"

Sylvie Lecherbonnier Publié le
Arnaud Martin (AUF) : "Gouverner un établissement d'enseignement supérieur suppose d’être à la fois un manager et un politique"
Arnaud Martin - AUF // DR // © 
L’AUF (Agence universitaire de la francophonie) développe un Institut francophone pour la gouvernance universitaire afin d’aider les pays du Sud, notamment en Afrique, à développer leur enseignement supérieur et les compétences de leurs responsables. Des idées et des méthodes utiles aussi pour les universités européennes. Entretien avec Arnaud Martin, ancien vice-président de l’université Montpellier 2, aujourd’hui directeur de l’IFGU.

Pourquoi avoir créé l’Institut francophone pour la gouvernance universitaire ?

Le rôle de l'IFGU est de conduire des actions pour améliorer la gouvernance des universités, d’offrir des services transversaux, un échange de bonnes pratiques, dans des pays où l’enseignement supérieur est en croissance, en Afrique par exemple où les universités poussent comme des champignons en raison de l’évolution démographique et économique.

Situé à Yaoundé au Cameroun, l'IFGU est une évolution de l'Institut panafricain de gouvernance universitaire (IPAGU), projet lancé lors de la conférence mondiale sur l’enseignement supérieur de l’UNESCO de 2009. Depuis début 2013, un changement de direction, de statut et de stratégie lui donne une vocation internationale. Son conseil d’administration inaugural a eu lieu en février 2013.

Nous disposons de moyens limités aujourd’hui, avec 150.000 euros de budget de fonctionnement, mais avec l’aide de l’AUF et d’autres bailleurs de fond, comme la Banque mondiale, nous devrions monter en puissance dans les prochaines années.

Le chantier est colossal. Quelles sont vos priorités ?

Certaines questions de gouvernance sont très transversales : les relations avec les entreprises, l’insertion professionnelle, la mise en place du LMD, l’approche par compétences ou la démarche qualité. Dans les pays du Sud, s’ajoute la question des liens entre l’Etat et les établissements. L’autonomie est loin d’être de mise partout. En Afrique sub-saharienne notamment, les universités restent des foyers de contestation vifs des pouvoirs en place et les ministères peuvent s’en méfier.

Nous apportons avant tout des méthodologies, une boîte à outils. Nous travaillons avec le CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l'enseignement supérieur), qui se situe au niveau des Etats. Cela permet d’aborder des sujets qui ne dépendent pas que des établissements : les référentiels de services des enseignants-chercheurs par exemple. L'IFGU a déjà organisé des séminaires en Afrique Centrale en 2011, des audits d'universités. Il a aussi formé les recteurs des nouvelles universités du Mali (suite à la division en plusieurs universités de l'université de Bamako).

En 2013-2014, nous allons privilégier la tenue d’ateliers en Afrique mais aussi au Maghreb et en Asie. Les problématiques sont différentes selon les régions du monde. Les établissements asiatiques, par exemple, sont très portés sur les relations internationales et les questions de recrutement des meilleurs enseignants-chercheurs. En 2014, nous monterons en puissance avec la création d’outils en ligne afin de démultiplier les personnes touchées.

Ces formations ciblent-elles uniquement les présidents d’université ?

Pas forcément. Nous nous adressons aux recteurs et présidents d’université, mais aussi à leurs équipes souvent très réduites, notamment dans les universités africaines. Elles comptent un à deux vice-recteurs, un agent comptable et un secrétaire général et c’est tout. Les recteurs sont dans la politique, les vice-recteurs davantage dans l’opérationnel. C’est eux qui ont besoin de méthodologie. Nous pouvons également intervenir auprès des doyens.

Une université de près 100.000 étudiants est aussi complexe à gérer qu'une ville... mais sans pouvoir lever des moyens


Quelles sont les qualités clés pour être président d’université ou directeur d’école aujourd’hui ?

Il faudrait au moins un livre pour répondre à cette question. A mon avis, la meilleure référence, de loin, sur le sujet est "Learning to Lead in Higher Education" de Paul Ramsden.

Gouverner un établissement d'enseignement supérieur suppose des facultés de manager capable de piloter des structures où les décisions se prennent de manière collégiale dans des contraintes environnementales fortes. Il n'y a pas de MBA pour cela. Un certain nombre de principes issus des nouvelles méthodes de management enseignées dans des business schools sont utiles, mais pas suffisants.

Il faut être manager et politique. Il y a très peu d'endroit en dehors des universités où ces deux compétences doivent être combinées. Une université de près 100.000 étudiants (et il y en a beaucoup en Afrique) est aussi complexe à gérer qu'une ville... mais sans pouvoir lever des moyens. Les frais d'inscriptions sont faibles, quasi nul en Afrique francophone. Bref, c'est un métier très difficile.

Avez-vous des actions en France, où les questions de gouvernance sont également très présentes ?

Non, l'IFGU se concentre sur les pays du Sud, puisqu'une des vocations de l'AUF est de réduire les écarts entre les établissements. Les experts qui viennent du Nord sont d'ailleurs parfois surpris de constater que les problèmes des universités du Sud sont très similaires à ceux des universités du Nord, qui elles ont des moyens sans commune mesure.

A mon avis, les universités du Nord n'ont pas beaucoup d'excuses à présenter face la lenteur des réformes de leur gouvernance. Elles en ont au moins les moyens financiers. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir notamment dans le domaine de l'assurance qualité en France.

Je pense que l'innovation vient souvent des endroits où les contraintes sont les plus fortes... Alors, les universités du Sud pourront peut-être, à l'avenir, diffuser vers le Nord des solutions qu'elles ont mises en place !

Assemblée générale de l’AUF à Sao Paulo en mai 2013
L’assemblée générale de l’AUF aura lieu du 7 au 10 mai 2013 à Sao Paulo au Brésil. Organisé tous les quatre ans, cet événement réunit des responsables universitaires de près de 100 pays. Une première pour l’Agence qui se déplace dans un pays qui ne fait pas partie de la francophonie historique.

Marchandisation et massification de l’enseignement supérieur, financement des universités, professionnalisation des formations, gouvernance, place du numérique éducatif feront partie des thèmes abordés.

Plus d’infos https://ag2013.auf.org/
Sylvie Lecherbonnier | Publié le